Il est donc grand temps de réhabiliter Hôtel du Nord, film qui est bien plus que cette simple tirade, et d’expliquer en quoi cette œuvre est à juste titre l’une des plus belles et importantes du cinéma français. Film majeur du Réalisme poétique, Hôtel du Nord est un film très grave et très sombre sur la réalité humaine, empreint de l’habituel pessimisme de son auteur Marcel Carné.
A cette époque, Marcel Carné connait l’apogée de sa fructueuse collaboration avec le poète Jacques Prévert : ils ont travaillé ensemble sur Jenny (1936), Drôle de Drame (1937) et Le Quai des Brumes (1938) d’après un roman de Pierre Mac Orlan. Mais au moment de la mise en chantier d’Hôtel du Nord, Prévert voyage aux Etats-Unis. Il est alors remplacé par Jean Aurenche et Henri Jeanson, scénaristes qui feront plus tard la gloire de la Qualité française. Ceux-ci sont donc chargés d’adapter le roman populaire homonyme de 1929 écrit par Eugène Dabit, membre des « écrivains prolétaires » des années 30.
Le film se concentre sur la vie agitée des habitants de l’hôtel du Nord, situé le long du canal Saint-Martin à Paris. Le quartier a été subtilement reconstitué en studio mais le décor est assez criant de vérité. Pourtant, dans d’autres scènes, l’artifice n’est jamais loin (scènes de nuit avec brume et éclairage factices). Là réside donc la force du Réalisme poétique qui consiste à mêler la réalité sociale avec une certaine forme de poésie.
Ici, le réalisme passe par la peinture de l’époque, l’argot et le langage de la rue. Les personnages, très bien croqués, sont pittoresques : le patron paternaliste de l’hôtel, sa femme attachante, le jeune homme efféminé, l’éclusier débile… Sortent du lot deux couples : celui des jeunes tourmentés Pierre (Jean-Pierre Aumont) et Renée (Annabella) et celui de la prostituée Raymonde (Arletty) avec Monsieur Edmond (Louis Jouvet), ancien voyou qui se planque.
A l’origine, le film devait être centré sur les jeunes tourtereaux mais, Jeanson a préféré développer les relations entre Raymonde et son « homme ». Ces deux personnages sont hauts en couleurs : Raymonde est une femme de caractère, indépendante alors qu’Edmond parvient à demeurer attachant en même temps qu’étrange. Il faut dire que Jouvet, qui jouait déjà dans Drôle de Drame (1937) de Carné, y est formidable avec son costume gris, son chapeau bas et sa démarche tranquille.
Néanmoins, l’histoire principale d’Hôtel du Nord reste quand même celle de Renée, qui, influencée par son amant Pierre, décide de le suivre dans son suicide. Cependant, cette mort programmée ne va pas fonctionner : les deux amoureux dépressifs louent une chambre à l’hôtel du Nord pour s’y tuer mais, Pierre n’a plus le courage de passer à l’action. Renée s’en sort difficilement avec une balle dans le ventre alors que Pierre se fait arrêter.

Si l’on y réfléchit, il y a au moins trois suicides dans Hôtel du Nord: celui raté de Renée et de Pierre, celui évité de Prosper et celui accompli par Edmond qui s’offre consciemment aux balles des tueurs qui l’attendaient. Ce final criminel (brillamment monté en parallèle avec une fête bruyante en pleine nuit) annonce à ce titre le film noir et surtout Les Tueurs (1946) de Robert Siodmak.
Pourtant, dans ce monde du mal-être et de l’échec prédominant, survit toujours l’appel du large. Il s’agit là d’une thématique récurrente du Réalisme poétique et de l’œuvre de Carné. Dans Le Quai des Brumes (1938), Jean se faisait tuer en pleine rue alors qu’il avait décidé de tout quitter pour Nelly alors que dans Hôtel du Nord, comme dans Pépé le Moko (1936) de Julien Duvivier, c’est le port qui symbolise la figure carcérale de l’impuissance à partir. Partir au loin signifie une deuxième vie, un espoir possible. Pierre et Renée auront justement le droit à cette autre chance suite au sacrifice mortel d’Edmond.
Film désespéré sur les marginaux, Hôtel du Nord est un film émouvant et touchant. Pour Carné, la dureté de la vie n’épargne personne et encore moins les jeunes gens. Il nous décrit un monde gris de misère et de lassitude. La seule lumière dans ce pessimisme reste en fait la poignante solidarité qui s’instaure entre les êtres.
11.04.09.








Le film fait aussi allusion à d’autres films de Bogart : la scène au début de l’opération de chirurgie esthétique vient des Passagers de la Nuit (1947) de Delmer Daves ; le règlement de comptes final sur le bateau renvoie à celui de Key Largo (1948) de John Huston. Enfin, le personnage de Robert Sachi enfile un moment le même costard blanc que Bogart dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz. L’exotisme de certains films de Bogart est aussi abordé avec le personnage du pacha turc interprété par l’acteur de westerns spaghetti Franco Nero.

Transformer le western en film d’action, pourquoi pas ? Cependant, il faut tout de même rappeler qu’il n’y a pas plus bavard que le western. C’est pourquoi rajouter de la psychologie au film de Daves paraît un peu bancal. D’autant plus que Mangold modifie les enjeux de l’histoire. En 2007, il ne s’agit plus des mêmes préoccupations.

L’ambigüité, l’ambivalence des personnages est donc poussée jusqu’à ce que les frontières se troublent. Qu’est ce qui sépare le bien du mal ? Pour Daves, il s’agit de la loi, seule barrière entre ces deux ennemis pourtant semblables. En fait, chacun incarne symboliquement un idéal: Wade lutte contre les contraintes de la société et prône la liberté ; Evans prêche la beauté de la vie simple et stable, refusant la tentation du mal. Après de fortes tensions, les deux hommes arrêteront cependant de se juger mutuellement. En apprenant à se connaitre, ils finiront par se respecter et s’apprécier.
Mais ce retournement final n’est pas le seul élément déroutant de ce western pas si classique que cela. En effet, le film arrive à annoncer à partir d’une seule scène le western crépusculaire. Il s’agit de celle sensuelle, pleine de gros plans, où Wade séduit Emmy, la barman du saloon. Cette dernière, ancienne chanteuse de cabaret, rêve de sa gloire passée et attend de façon désespérée l’homme qui pourrait la sortir de cette sombre période. L’évocation de la triste fin d’un monde nous fait alors penser aux futurs westerns crépusculaires de Sam Peckinpah. C’est ce même Daves qui allait d’ailleurs esquisser le western crépusculaire avec Les Cordes de la Potence (1959) avec Gary Cooper.
