Refusant les conventions du mélodrame ou les règles de la comédie, James Gray préfère aborder la question de l’amour avec simplicité, en prenant un exemple à la fois très concret et universel. Car, comme l’indique l’affiche, Two Lovers est tout simplement une « histoire d’amour », sans artifices et sans détours.
Joaquin Phoenix, qui était déjà de l’aventure des deux derniers films de Gray [The Yards (2000) et La Nuit nous appartient (2007)], y incarne le très tourmenté Leonard Kraditor. Profondément marqué par une déception amoureuse, Leonard se jette dans l’Hudson river et c’est sur cette douloureuse tentative de suicide avortée que s’ouvre le film.
En rentrant chez lui, il retrouve l’appartement familial aux murs exigus, prison d’affection étouffante qui ne fait que renforcer son malheur. A 30 ans, Leonard vit toujours chez ses parents mais, en même temps, son comportement d’enfant (démarche d’autiste, élocution difficile, blagues et mimiques de gamin) semble justifier cette « punition ». En effet, Leonard souffre d’un problème assez souvent représenté dans le cinéma américain contemporain : c’est un éternel adolescent, un adulte dans un corps d’enfant.
Comme le personnage paradoxal de Leonard, Two Lovers procède par associations de contraires. Le cœur de Leonard va se déchirer en deux idéaux, entre deux femmes. Son père va lui présenter Sandra, fille d’une bonne famille juive associée en affaires avec les Kraditor. Sandra représente donc la constance, la tranquillité, l’entente.
Mais, Leonard pense à une autre. Michelle, sa nouvelle voisine, est belle, mystérieuse et envoutante. Attirante figure de la liberté et de l’originalité, elle est cependant pleine de dangers et de failles : elle se drogue, entretient une liaison avec un homme marié et paraît souvent anxieuse.
Pour Leonard, il s’agit d’un dilemme clair mais pénible : il doit choisir entre la raison et la passion, la tempérance et l’aventure, la brune et la blonde. Et tout le film repose sur ces antithèses : si Leonard parle à Sandra de La Mélodie du Bonheur, film tendre mais niais, il préfère discuter avec Michelle de la photographie, art de l’insaisissable et de l’imprévu. La scène d’amour avec Sandra sera chaude, sensuelle alors que celle avec Michelle, sur un toit, est étrange, glaciale et inédite.
Alors qu’il semble avoir fait son choix, Leonard va être rattrapé par son destin. Devant une réponse négative de Michelle pour laquelle il était prêt à tout quitter, il déambule jusqu’à une plage. L’appel froid de la mort, encore une fois. Et l’on pense que la boucle du début va se refermer de façon parallèle. A ce moment désespéré, un cadeau de Sandra tombe de la poche de Leonard : un gant, une main du destin qui va le ramener à la raison.
On retrouve donc dans Two Lovers les thématiques des œuvres précédentes de Gray, notamment celles de La Nuit nous appartient : le retour du fils à la maison et la dualité. Mais encore une fois de plus, si le choix entre bien et mal et la question du bon côté de la loi semblent avoir été remplacés par le combat entre devoir et désir, le rôle de la famille est toujours aussi important. C’est lui qui est au centre du conflit de l’individu qui peine à acquérir sa véritable indépendance.
Two Lovers est un film touchant, émouvant, magnifique. Sans sombrer dans la caricature, il pose vraiment les questions que nous connaissons ou comprenons tous. Jamais le problème n’a été aussi clairement énoncé. Car oui, dans la vie, on est toujours confronté à des idéaux opposés, vers lesquels on semble tendre avec plus ou moins d’hésitation. Et, on est toujours seul au milieu de la voie lorsqu’il y a un embranchement. Et, à défaut de prendre soi-même la décision, on attend souvent que le destin nous offre sa main.
15.02.09.






Le film fait aussi allusion à d’autres films de Bogart : la scène au début de l’opération de chirurgie esthétique vient des Passagers de la Nuit (1947) de Delmer Daves ; le règlement de comptes final sur le bateau renvoie à celui de Key Largo (1948) de John Huston. Enfin, le personnage de Robert Sachi enfile un moment le même costard blanc que Bogart dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz. L’exotisme de certains films de Bogart est aussi abordé avec le personnage du pacha turc interprété par l’acteur de westerns spaghetti Franco Nero.

Transformer le western en film d’action, pourquoi pas ? Cependant, il faut tout de même rappeler qu’il n’y a pas plus bavard que le western. C’est pourquoi rajouter de la psychologie au film de Daves paraît un peu bancal. D’autant plus que Mangold modifie les enjeux de l’histoire. En 2007, il ne s’agit plus des mêmes préoccupations.

L’ambigüité, l’ambivalence des personnages est donc poussée jusqu’à ce que les frontières se troublent. Qu’est ce qui sépare le bien du mal ? Pour Daves, il s’agit de la loi, seule barrière entre ces deux ennemis pourtant semblables. En fait, chacun incarne symboliquement un idéal: Wade lutte contre les contraintes de la société et prône la liberté ; Evans prêche la beauté de la vie simple et stable, refusant la tentation du mal. Après de fortes tensions, les deux hommes arrêteront cependant de se juger mutuellement. En apprenant à se connaitre, ils finiront par se respecter et s’apprécier.
Mais ce retournement final n’est pas le seul élément déroutant de ce western pas si classique que cela. En effet, le film arrive à annoncer à partir d’une seule scène le western crépusculaire. Il s’agit de celle sensuelle, pleine de gros plans, où Wade séduit Emmy, la barman du saloon. Cette dernière, ancienne chanteuse de cabaret, rêve de sa gloire passée et attend de façon désespérée l’homme qui pourrait la sortir de cette sombre période. L’évocation de la triste fin d’un monde nous fait alors penser aux futurs westerns crépusculaires de Sam Peckinpah. C’est ce même Daves qui allait d’ailleurs esquisser le western crépusculaire avec Les Cordes de la Potence (1959) avec Gary Cooper.
