Deux ans après le succès de Quand passent les Cigognes
(1957) de Mikhaïl
Kalatozov, récompensé à Cannes par la Palme d'Or, La Ballade du soldat marque un nouveau sommet du cinéma dit du
dégel, amorcé par l'avènement de
Khrouchtchev.
Comme le film de Kalatozov, le film de Tchoukhrai, prend pour cadre la
seconde guerre mondiale. Les
deux films mettent en évidence non plus le sacrifice
héroïque au nom de l’idéologie s'attachent des destins individuels meurtris par
l'Histoire. Ici, Aliocha, un
jeune soldat rongé par la peur de mourir se couvre malgré lui de gloire sur le
front russe et obtient une permission pour aller embrasser sa mère dans son
village[1]. Son
voyage en train va lui révéler les horreurs de la guerre: un soldat mutilé
appréhende de retrouver son épouse, un camarade confie au héros le soin de
donner du savon à sa femme mais celle-ci le trompe avec un autre... Derrière
les lignes du front, la guerre continue aussi: ce sont bombardements et destructions,
pénurie et chaos. Lorsque Aliocha rencontre Choura, ils s'éprennent l'un
l'autre d'un amour pur. Mais la guerre est impitoyable: elle sépare les
amoureux comme elle sépare les mères[2] de leurs
enfants.
A l'instar de Quand
passent les Cigognes, l'histoire de la Ballade du soldat est élémentaire et prône des valeurs simples: le
pacifisme et l'amour. L'imagerie est très similaire: des combats militaires
dans les steppes, des scènes de foule et de désordre, la séparation d'un couple
sur le quai de la gare. De même, les scènes de romance sont transcendées
par le jeu très naturel et la jeunesse des interprètes. La mise en
scène lyrique de Tchoukhraï, moins voyante que celle de Kalatozov, n'en
est pas moins virtuose et pleine de fougue.
Comme Sergeï Bondarchouk, qui
à la même époque signe Le Destin d’un
Homme[3]
(1959), Grigori Tchoukhraï est un ancien combattant qui s'inspire de ses
souvenirs de guerre. La Ballade du soldat
s'inscrit dans un certain genre du film de guerre soviétique des années 50-60,
centré sur un soldat perdu au front et dont le retour s'avèrera douloureux.
Citons ainsi, par exemple, dans cette veine, The Ore (1964) de Vasili Ordunsky où un soldat rentrant du front
découvre que sa femme est partie avec un autre ou encore Le père du Soldat (1965) de Revaz Tchkheidze où un paysan géorgien
se met en route pour rendre visite à son fils blessé et réussit à se faire
enrôler dans l’armée.
11.02.13.
[1]
Le récit centré sur la permission du soldat et son retour difficile au pays
fait penser à un chapitre centrale de A
L'Ouest rien de nouveau d'Eric Maria Remarque ainsi qu'au Temps d'aimer et de mourir (1958) de
Douglas Sirk.
[2]
La mère d'Aliocha, qui attend sagement son fils
dans les champs de blé, incarne le courage de la nation. Cette "Mère Patrie"
russe est très présente dans le cinéma (et la culture) russe, à commencer par La Mère (1926) de Vsevolod Poudovkine.
[3]
Le titre du film de Bondarchouk indique bien la dimension individuelle du récit
qui raconte le destin d'un homme
et non la gloire de l'armée soviétique.