mercredi 24 avril 2013

The Emperor Waltz / La Valse de l'Empereur (1948) de Billy Wilder



A la fin de la seconde Guerre mondiale, Billy Wilder retourne dans son Autriche natale et découvre avec effroi la mort de ses proches, exterminés dans des camps de concentration. De retour à Hollywood, Wilder décide, avec La Valse de l'Empereur, de revenir à ses origines mais en privilégiant la comédie, en réaction aux horreurs de la guerre. 

Une caricature d'opérette viennoise. Situé dans l'Autriche Hongrie d'avant guerre, le film de Wilder narre les aventures d'un commis voyageur américain qui essaye de vendre des gramophones (association entre Amérique et consumérisme, cf. Un, deux, trois) et qui cherche à tout prix, dans ce but, à rencontrer l'empereur François-Joseph. Faute de pouvoir entrer dans le palais, il séduit une comtesse pour mieux s'introduire à la Cour.
Dans ce "film de fantômes" (pour reprendre la terminologie de Noël Simsolo[1]), Wilder semble vouloir recréer un monde qui n'existe plus et accumule les clichés sur son pays[2]: Tyrol de carte postale, culottes bavaroises, chants de yodel, fêtes populaires d'un côté et militaires ampoulés, valses de Strauss (la valse de l'empereur justement), châteaux fastueux et un François-Joseph avec favoris (qui n'est qu'une caricature de lui-même) de l'autre. Dans ce festival de caricatures sur le Mitteleuropa, on trouve même un médecin qui psychanalyse les animaux !
Avec cette caricature d'opérette viennoise, Wilder marche donc dans les pas de son mentor Ernst Lubitsch, qui avait adapté La Veuve Joyeuse en 1934. Comme le souligne Jérôme Jacobs[3], on retrouve dans de La Valse de l'Empereur la formule de départ de l'opérette de Léhar: une jeune veuve, un jeune premier coureur de jupons ainsi qu'une ironie subtile à se jouer de la censure.

Entre conventions et satire. Produit de prestige de la Paramount, La Valse de l'Empereur est un film en costumes aux couleurs chatoyantes et qui bénéficie du faste des décors et de la reconstitution. Mais tout sonne faux dans cette Autriche de pacotille, à la limite du kitsch. A en juger l'affiche originale du film, on pourrait penser qu'il s'agit d'une production de Walt Disney: on retrouve un côté comédie musicale pour enfants (Bing Crosby pousse la chansonnette), un romantisme béat (un conte où un roturier épouse une princesse), une confusion typiquement hollywoodienne dans la recréation de la vieille Europe (les apparitions de François-Joseph sont accompagnées par "God Save the Queen"...). Comme au temps du muet, le film file une métaphore animalière où les amours canines expliquent celles des protagonistes. Les rapports conflictuels de ceux-ci dissimulent en fait une attraction mutuelle, réelle mais refoulée (grand poncif de la comédie américaine de l'époque).
Mais derrière les ficelles conventionnelles de La Valse de l'Empereur, se cache une satire sociale où l'on reconnait le mauvais esprit de Billy Wilder. D'un côté, il critique la Cour d'Autriche-Hongrie, snobe  et intolérante, cupide et frivole d'intrigues. François-Joseph semble lui plus intéressé par le mariage de ses chiens que par la gestion de son empire. De l'autre, Wilder tourne en dérision les valeurs de l'Amérique à travers le personnage de Bing Crosby, "salesman" à la recherche du profit, sûr de lui et mal élevé. Le réalisateur se fait un malin à plaisir à opposer deux mondes, l'un traditionnel, aristocratique et en déclin, l'autre moderne, populaire et en pleine expansion[4].
Wilder met en scène sa farce avec désinvolture et alterne le comique théâtral et situationnel (quiproquos) avec de véritables moments de cartoons (course grotesque d'un chien en accéléré, accompagné par l'ouverture du Guillaume Tell de Rossini comme dans les Tex Avery). La Valse de L'Empereur apparaît donc comme un étrange mélange de blague kitsch et de souvenir nostalgique sur l'Autriche avec une satire insolente. Après cette féérie, Wilder retourne à la réalité avec La Scandaleuse de Berlin où il filme avec gravité les ravages du nazisme dans l'Allemagne d'après guerre. Le film apparait comme le pendant de La Valse de L'Empereur, dans une sorte de diptyque que tout oppose.

08.03.2013.



[1] dans son ouvrage sur Wilder publié chez les Cahiers du Cinéma.
[2] Il faut dire que, dans les premières années d’après-guerre, Preminger dirige A Royal Scandal (1945), Lubitsch That Lady in Ermine (1948), et Max Ophuls Letter from an Unknown Woman (1948). Même Lang, à cette époque, développe un projet A Scandal in Vienna, également situé à la cour de François-Joseph. Tous ces films marquent un refus de représenter la réalité du Vieux Continent au sortir de la guerre et entretiennent l’illusion d’une Europe éternelle, d’une Vienne, d’un Berlin ou d’un Paris de la fin du XIXe siècle.
[3] dans son ouvrage sur Wilder publié chez Rivages Cinéma.
[4] On retrouve ce même jeu de décalage social et culturel dans le film suivant de Bing Crosby dans sa filmographie, Un Yankee à la Cour du Roi Arthur (1949) de Tay Garnett, où le crooner se retrouve transposé en plein Moyen-âge.