A la fin de la seconde Guerre
mondiale, Billy Wilder retourne dans son Autriche natale et découvre avec effroi
la mort de ses proches, exterminés dans des camps de concentration. De retour à
Hollywood, Wilder décide, avec La Valse
de l'Empereur, de revenir à ses origines mais en privilégiant la comédie,
en réaction aux horreurs de la guerre.
Une caricature d'opérette viennoise. Situé dans l'Autriche Hongrie
d'avant guerre, le film de Wilder narre les aventures d'un commis voyageur
américain qui essaye de vendre des gramophones (association entre Amérique et
consumérisme, cf. Un, deux, trois) et
qui cherche à tout prix, dans ce but, à rencontrer l'empereur François-Joseph.
Faute de pouvoir entrer dans le palais, il séduit une comtesse pour mieux s'introduire
à la Cour.
Dans ce "film de
fantômes" (pour reprendre la terminologie de Noël Simsolo[1]),
Wilder semble vouloir recréer un monde qui n'existe plus et accumule les
clichés sur son pays[2]:
Tyrol de carte postale, culottes bavaroises, chants de yodel, fêtes populaires
d'un côté et militaires ampoulés, valses de Strauss (la valse de l'empereur
justement), châteaux fastueux et un François-Joseph avec favoris (qui n'est
qu'une caricature de lui-même) de l'autre. Dans ce festival de caricatures sur
le Mitteleuropa, on trouve même un médecin qui psychanalyse les animaux !
Avec cette caricature d'opérette
viennoise, Wilder marche donc dans les pas de son mentor Ernst Lubitsch, qui
avait adapté La Veuve Joyeuse en
1934. Comme le souligne Jérôme Jacobs[3],
on retrouve dans de La Valse de
l'Empereur la formule de départ de l'opérette de Léhar: une jeune veuve, un
jeune premier coureur de jupons ainsi qu'une ironie subtile à se jouer de la
censure.
Entre conventions et satire. Produit de prestige de la Paramount, La Valse de l'Empereur est un film en
costumes aux couleurs chatoyantes et qui bénéficie du faste des décors et de la
reconstitution. Mais tout sonne faux dans cette Autriche de pacotille, à la
limite du kitsch. A en juger l'affiche originale du film, on pourrait penser
qu'il s'agit d'une production de Walt Disney: on retrouve un côté comédie
musicale pour enfants (Bing Crosby pousse la chansonnette), un romantisme béat
(un conte où un roturier épouse une princesse), une confusion typiquement
hollywoodienne dans la recréation de la vieille Europe (les apparitions de
François-Joseph sont accompagnées par "God Save the Queen"...). Comme
au temps du muet, le film file une métaphore animalière où les amours canines expliquent
celles des protagonistes. Les rapports conflictuels de ceux-ci dissimulent en
fait une attraction mutuelle, réelle mais refoulée (grand poncif de la comédie
américaine de l'époque).
Mais derrière les ficelles
conventionnelles de La Valse de
l'Empereur, se cache une satire sociale où l'on reconnait le mauvais esprit
de Billy Wilder. D'un côté, il critique la Cour d'Autriche-Hongrie, snobe et intolérante, cupide et frivole
d'intrigues. François-Joseph semble lui plus intéressé par le mariage de ses
chiens que par la gestion de son empire. De l'autre, Wilder tourne en dérision
les valeurs de l'Amérique à travers le personnage de Bing Crosby,
"salesman" à la recherche du profit, sûr de lui et mal élevé. Le
réalisateur se fait un malin à plaisir à opposer deux mondes, l'un
traditionnel, aristocratique et en déclin, l'autre moderne, populaire et en
pleine expansion[4].
Wilder met en scène sa farce avec
désinvolture et alterne le comique théâtral et situationnel (quiproquos) avec
de véritables moments de cartoons (course grotesque d'un chien en accéléré,
accompagné par l'ouverture du Guillaume
Tell de Rossini comme dans les Tex Avery). La Valse de L'Empereur apparaît donc comme un étrange mélange de
blague kitsch et de souvenir nostalgique sur l'Autriche avec une satire
insolente. Après cette féérie, Wilder retourne à la réalité avec La Scandaleuse de Berlin où il filme
avec gravité les ravages du nazisme dans l'Allemagne d'après guerre. Le film
apparait comme le pendant de La Valse de
L'Empereur, dans une sorte de diptyque que tout oppose.
08.03.2013.
[1] dans son
ouvrage sur Wilder publié chez les Cahiers du Cinéma.
[2] Il faut dire que, dans les premières années
d’après-guerre, Preminger dirige A Royal
Scandal (1945), Lubitsch That Lady in
Ermine (1948), et Max Ophuls Letter
from an Unknown Woman (1948). Même Lang, à cette époque, développe un
projet A Scandal in Vienna, également
situé à la cour de François-Joseph. Tous ces films marquent un refus de
représenter la réalité du Vieux Continent au sortir de la guerre et
entretiennent l’illusion d’une Europe éternelle, d’une Vienne, d’un Berlin ou
d’un Paris de la fin du XIXe siècle.
[3] dans son ouvrage sur Wilder publié chez Rivages
Cinéma.
[4]
On retrouve ce même jeu de décalage social et culturel dans le film suivant de
Bing Crosby dans sa filmographie, Un
Yankee à la Cour du Roi Arthur (1949) de Tay Garnett, où le crooner se
retrouve transposé en plein Moyen-âge.