Un retour à l'Antique. Alors qu'à la même époque, Pier Paolo
Pasolini réinterprète le mythe antique d'Œdipe (Œdipe Roi, 1967) avant d'adapter le grand classique de la
littérature italienne Le Décaméron (1971)
d'après Boccace, Federico Fellini adapte le
Satyricon, d'après l'auteur latin Pétrone[1].
Comme Pasolini, le retour de Fellini aux grands classiques de la littérature italienne
est autant mue par une volonté de retourner aux sources de la culture nationale
que par un amour de ces textes violents et baroques que l'époque des années 60
pouvait enfin aborder sans modification et atténuation.
L'œuvre de Pétrone, satire des
mœurs romaines, séduit naturellement le réalisateur de La Dolce Vita dont on connait la fascination pour la décadence. Le
climat est malsain et libidineux: les esclaves sont autant asservis socialement
que sexuellement. Fellini nous livre des impressionnantes scènes d'orgies
teintées d'exotisme et scande son film de scènes de nus et de pédérastie. Le
texte incomplet de Pétrone et sa forme picaresque permettent à Fellini de
développer une intrigue complètement décousue, assurément onirique: on suit les
mésaventures d'Encolpe, jeune romain amoureux de son esclave, qui se ballade de
festin en bordel, devient prisonnier dans une galère, kidnappe un
hermaphrodite, parcourt le désert, combat le minotaure...
Mais un film moderne et pop. L'univers érotique du Fellini-Satyricon évoque les fresques
coquines de Pompéi. Mais l'on pense aussi aux peintures académiques comme
celles luxueuses d'Alma Tadema ou Le
Marché aux esclaves de Gustave Boulanger. Mais Fellini réinvente le visuel associé
à l'Antiquité en poussant jusqu'à l'extrême une vision délirante qui s'illustre
par des obsessions personnelles récurrentes (le goût du grotesque, des obèses et
des nains) ou un sens du grandiose, de l'artifice (la taille des décors, les
scènes de folie collective). Trash, surréaliste, le Fellini-Satyricon apparait bien comme un film de son temps, à
l'heure du psychédélisme des années 60: le film aurait d'ailleurs été présenté
en avant-première à New York, devant un public des milliers de jeunes sous
emprise de drogue...
Cette adaptation d'un classique
de la littérature romaine frappe donc par sa violence et sa modernité. Fellini
se prête même à des anachronismes volontaires (le personnage principal se
promène un moment dans une gallérie d'art à l'aspect "pop") et a fait
appel à des musiciens pionniers de la musique électro (le turc İlhan Mimaroğlu et l'américain Tod Dockstader) pour
seconder Nino Rota dans une bande-son planante et expérimentale. Deux ans
après, Fellini allait poursuivre cette voie d'un cinéma déjanté avec Fellini-Roma.
25.06.13.
[1]
Une autre adaptation du Satyricon,
est sortie simultanément au film de Fellini. À cause du réalisateur Gian Luigi
Polidoro qui l'a devancé de quelques mois dans la réalisation de sa version du Satyricon (1968), Fellini a dû rajouter
son nom au titre de son film, après avoir perdu son procès contre Polidoro.