Fuyant le Printemps de Prague
de 1968, le tchèque Milos Forman s'installe aux Etats-Unis et obtient en 1977
la nationalité américaine. Quatre ans après, il se lance dans Ragtime, un vaste projet sur l'Histoire
de l'Amérique du début du siècle.
Adaptation d'une œuvre de E.
L. Doctorow, auteur de romans historiques, Ragtime
évoque des faits et personnages réels qui ont marqué l'Amérique des années 1900
jusqu'à la Première Guerre Mondiale: le «crime du siècle» ou l'assassinat de
l'architecte Stanford White par le millionnaire Harry Kandall Thaw[1];
les exploits du magicien Houdini; l'acquisition par le banquier JP Morgan de la
bible de Gutenberg pour sa bibliothèque privée; la réception du premier
noir-américain Booker T. Washington à la Maison Blanche par le Président Théodore
Roosevelt; ou encore les prouesses du New York City Police Commissioner de
l'époque Rhinelander Waldo.
A ces évènements authentiques, Ragtime associe le destin d'une famille
bourgeoise de New Rochelle, banlieue cossue de New York. Cette famille,
apparemment sans histoire, va être confrontée à la question noire: elle
recueille une jeune domestique de couleur dont le mari, un pianiste de ragtime,
va être victime de discriminations et d'humiliations. Le musicien refuse de
voir son honneur et ses droits bafoués et va se lancer dans un conflit armé et
sanglant afin d'obtenir réparation.
Mélangeant la fiction et la
réalité, combinant les destins individuels avec le sort d'une Nation sur une
période d'une dizaine d'années, Ragtime
relève de la fresque épique. La durée du film (2h30) et l'importante production
de Dino De Laurentis sont d'autres éléments qui confortent la grandeur du
spectacle. Il faut noter que le fond musical (les airs de la Belle époque et le
ragtime, c'est-à-dire des valses européennes et la construction d'une musique
vernaculaire) semble être un fil directeur de cette histoire de l'Amérique, au
même titre que dans le contemporain American
Pop (1981) de Ralph Bakshi.
L'intérêt porté pour cette
histoire de l'Amérique du début du siècle et des immigrants se retrouvera
également dans Il était une fois en
Amérique (1984) de Sergio Leone, film assez proche visuellement et où l'on
retrouve la comédienne Elisabeth McGovern. Comme le film de Leone, le film de
Forman, bercé par une musique mélancolique d'un autre temps (ici, la bande son
est signée par Randy Newman) est emprunt d'une certaine nostalgie, celle de la
part d'un réalisateur étranger qui regrette une histoire fondatrice qu'il n'a
jamais connue.
Selon certaines sources, le
projet de Ragtime aurait d'abord été
proposé à Robert Altman. Il est vrai que le film épouse plusieurs
caractéristiques du cinéma d'Altman à savoir un cinéma choral, où différents
destins s'entrecroisent, et une critique acerbe de l'Amérique. Chronique de la
modernisation et de l'urbanisation d'un pays, Ragtime revient sur racines contestables de l'Amérique: le racisme
et la violence, la difficile construction d'un état de droit, les clivages
sociaux, la cupidité et l'individualisme. Le père de la famille de Ragtime, peine à rassembler ses proches:
son beau-frère rentre dans le terrorisme armé de la cause noire, sa femme
s'éloigne de lui, alors que lui-même oublie de s'occuper de son fils. On sent que
la sympathie de Forman, réalisateur d'origine tchèque, est portée sur les
pauvres issus de l'immigration: un charismatique juif d'origine juive finit par
devenir metteur en scène à Hollywood.
Fresque épique, Ragtime revient sur les fondements de
l'Amérique moderne et Milos Forman, reconnaissant mais critique comme bien des
cinéastes immigrés (Wilder, Sirk...), la célèbre tout en en dénonçant ses
travers. Forman allait poursuivre dans cet exercice de
mythification/démythification avec son film suivant sur Wolfgang Amadeus
Mozart.
26.04.13.
[1] Cet
évènement avait déjà donné lieu au film La
Fille sur la Balançoire (1955) de Richard Fleischer.