Victime du maccarthysme,
l'américain Jules Dassin s'exile en Europe au tournant des années 50: il tourne
Les Forbans de la Nuit (1950) en
Angleterre, Du Rififi chez les Hommes
(1954) en France, Celui qui doit mourir
(1957) en Grèce et La Loi en Italie. Adapté
d'un roman de Roger Vailland, lauréat du Goncourt de l'année 1957, La Loi est un film sur la mafia avec des
airs de tragédie grecque.
Contemporain du Défi de Francesco Rosi, La Loi est située dans le Sud de l'Italie
et entend révéler les coutumes de la mafia locale. L'action est située dans un petit
village arriéré de pêcheurs des Pouilles, croulant sur la chaleur du soleil. L'inspecteur
de police est corrompu et le juge impuissant et Don César (Pierre Brasseur), un
riche seigneur, respecté mais mourant, règne sur la ville. L'emprise de la
bourgade est aussi disputée par Matteo Brigante (Yves Montand), un truand qui
entend bien « faire la loi». Non seulement Brigante porte bien son nom mais il
affublé d'un couteau à cran d'arrêt et d'une balafre à la joue droite. La loi
du titre du film renvoie elle à un jeu traditionnel, un jeu de boisson qui veut
que le vainqueur dicte ses règles aux vaincus. Autoritaire et violent, Brigante
veut appliquer les règles arbitraires de ce jeu au petit village qu'il
tourmente.
Une servante
"sauvageonne" (campée par... Gina Lollobrigida) va se confronter au
caïd et affirmer son indépendance dans une région où l'homme règne encore en
maître, en utilisant son corps et la ruse. Ce personnage féministe et
débrouillard va gagner sa bataille contre la mafia avec le soutien de son amant
(joué par Marcello Mastroianni), un agronome qui, parce que venu du Nord du
pays, incarne la raison et l'Etat de droit. A la représentation du Sud, à mi-chemin
entre le document (les séquences de pêche sont proches du néoréalisme) et le
mythe, La Loi propose une vision
optimisme de réforme et de modernisation.
Dans La Loi, le film sur la mafia se double d'un tragédie grecque. Les
thématiques principales de La Loi
sont en effet la quête du pouvoir et le hasard (le jeu de la loi). Don César,
par son nom à consonance romaine, par son interprète (Pierre Brasseur, un
acteur au jeu théâtral) et par son rôle (le patriarche mourant dont la fortune
est convoitée par plusieurs femmes et collectionne des œuvres de l'antiquité)
apparaît comme un personnage dramatique. Melina Mercouri[1]
interprète une Anna Karérine (elle
lit même le roman de Tolstoï), une épouse mature qui veut fuir son
fonctionnaire de mari pour un beau jeune homme. Enfin, assis sur un banc dans
la place principale, les villageois oisifs (dont le jeune Joe Dassin, fils de
Jules) commentent l'action tel un chœur antique.
Avec ses nombreux personnages
et son intrigue complexe, La Loi a
ses défauts et accuse des longueurs. Mais il bénéficie aussi et surtout d'une
mise en scène inspirée de la part de son réalisateur. Jules Dassin inaugure
ainsi son film par un mouvement de caméra descendant sur la façade d'un
immeuble et s'arrête à chaque étage pour révéler les préoccupations de chacun
des habitants. La Loi séduit par son
aspect sensuel, notamment dans ses scènes de violences (flagellation de la
Lollobrigida) ou osées (celles où Gina Lollobrigida ou Melina Mercouri
aguichent les hommes). Plus ambitieux mais moins réussi que Du Rififi chez les Hommes, La Loi n'en est pas moins une œuvre
impressionnante dans la filmographie de Jules Dassin: le film illustre le
progressisme de Dassin, paradoxalement associé à un sens du tragique.
27.04.13.