Français d'origine suisse (et
né à Téhéran !), Barbet Schroeder apparaît comme un cinéaste singulier,
apparemment attiré par des productions étrangères ou internationales. Sa
filmographie, à la fois française et allemande, compte également des films
tournés aux Etats-Unis (Le Mystère Von
Bullow, Kiss of Death...) ainsi qu'un détour en Colombie (La Vierge des Tueurs). Avec Inju, Barbet Schroeder a fait un séjour
au le Japon.
Dans la lignée de Yakuza de Sidney Pollack ou de Vengeance de Johnnie To, Inju met en scène un occidental perdu en
Asie dans le contexte d'un polar. Alex Fayard, le personnage principal
interprété par Benoît Magimel, est un écrivain français passionné de
littérature nippone, fraichement arrivé à Kyoto pour y faire la promotion de
son roman. L'insistance sur le décalage entre l'Orient et l'Occident est
primordiale pour le spectateur qui, comme le personnage principal, perd ses
repères dans une culture qui lui échappe et apprend à se découvrir.
Bien que tourné au Japon avec
une équipe locale, Inju entretient volontairement
des images d'Epinal du Japon. Il s'agit d'une adaptation d'une œuvre écrite en
1928 par le célèbre auteur de romans policiers horrifiques Edogawa Rampo, un grand
amateur d'Edgard Allan Poe (son nom de plume est d'ailleurs une transcription
littérale de l'appellation japonaise de l'auteur américain). Inju explore ainsi l'imaginaire et le
folklore de la culture populaire nippone en ce qu'il s'agit des personnages
(geisha fatales, yakuzas intouchables ou encore méchant terrifiant aux airs de
monstre) et des décors (maisons de thé, carnavals...). A la violence
(décapitation, sang) et à la peur (scènes de cauchemar, aspect thriller, récit
de chasse à l'homme) s'ajoute un érotisme tendance SM, réminiscence des films
d'Oshima ou du roman porno.
Exercice de style naïf et au
premier degré, cette série B n'est pas pour autant idiote et développe un récit
ludique. En effet, Fayard est confronté à son maître spirituel, un mystérieux
écrivain de romans policiers, dont il ignore l'identité et qui le menace de
mort. Ce personnage de Shundei Oe, avatar de Rampo lui même, va orchestrer une
machination diabolique, en donnant vie à son œuvre de fiction et en piégeant le
personnage principal ainsi que le spectateur. En critiquant la naïveté du héros
et en mélangeant les fantasmes des écrivains et la réalité, Inju instaure un audacieux jeu de mise
en abyme avec la fiction.
Courageuse tentative de
modernisation de la culture populaire japonaise, Inju semble avoir fait peur au public qui a pu lui reprocher sa
candeur ou son artifice: le film, dont le budget s'élève à 12 millions d'euros,
a été un échec commercial et n'a été vu
que par 70 000 spectateurs en France. Il s'agit assurément d'une injustice si
l'on prend ce film pour ce qu'il est, c'est-à-dire un charmant hommage aux
stéréotypes de la culture japonaise.
03.06.13.