Avec Un Nouveau Russe (2001) de Pavel
Lungin, Le Retour, récompensé par le Lion d'or au festival de Venise de
2003, marque le renouveau du cinéma russe au début des années 2000. Ce premier
film frappe par sa rigueur dramatique et sa puissance esthétique.
Le Retour ressemble à un conte, à une légende tant le récit qu’il met en scène est
simple et se base sur un nombre limité de personnages: Andrei et Ivan, deux
jeunes frères vivant dans le Nord de la Russie, sont bouleversés par la
réapparition de leur père qu'ils ne connaissent qu'à travers une photographie
vieille de dix ans. Le lendemain, l'homme,
énigmatique, propose à ses
enfants de partir en voiture pour une partie de pêche. Le voyage se prolonge
par une étrange virée vers une île abandonnée où le père trouvera
accidentellement la mort.
Le Retour apparait comme un conte moderne et renvoie aux mythes
anciens: le retour de ce père sur une île évoque le retour d'Ulysse à Ithaque dans
L'Odyssée. Quant à la mort du père, causée
indirectement par un de ses fils, elle s'inscrit dans la lignée de la Télégonie, la suite de l'épopée troyenne,
citée directement par le réalisateur dans des interviews, et dans laquelle
Ulysse se fait assassiner par son fils Télégonos, dans un récit aux accents fort
œdipiens. Comme dans le mythe antique, c'est la simplicité de l'histoire qui
permet la multitude d'interprétations et qui permet à l'œuvre d'accéder à l'universalité.
Car privilégiant le mystère, Le Retour ne donne
aucune explication rationnelle quant à l'identité véritable du père, personnage taciturne
et autoritaire qui conserve son aura et son mystère. Lorsque les deux enfants l'aperçoivent pour la première fois, il apparaît
hirsute, endormi et allongé de dos sur un lit, évoquant ainsi une peinture du Christ
ou d'un martyre. Commandant ses enfants sur la barque qui les emmène à l'île,
le père, affublé d'un manteau à capuche, rappelle un moine inquisiteur ou Charon
sur le Styx. Le père est-il un saint ou un fantôme ? Qu'en est-il du trésor
caché qu'il déterre sur l'île ? L'épave du grand bateau au bord de l'île
n'est-il pas un vestige de l'ère soviétique ? Le récit s’ouvre alors à
l’interprétation politique : la Russie d’aujourd’hui tue-t-elle ses
ainés ? Le trésor, n’est-ce pas une prospérité rêvée, illusoire ?
Le Retour peut également être appréhendé sous un autre angle:
tout en doutant du lien de paternité, les enfants vont apprendre la dureté du
voyage et de la vie au côté de leur prétendu père. Ivan, l'enfant le plus
méfiant vis-à-vis du père, refuse de l'appeler papa jusqu'à ce que, finalement,
la barque qui porte son cadavre commence à couler. Ce père n'était peut-être
pas le leur mais le chemin parcouru ensemble a sûrement soudé les liens qui les
unissaient. On pourrait donc concevoir Le
Retour comme un récit d'apprentissage ou comme un road-movie.
Entretenant
le secret et privilégiant la contemplation devant les paysages naturels
splendides de la Russie, Le Retour semble
marcher sur les pas du cinéma métaphysique et méditatif de Tarkovski. Après Le Retour, Zviaguintsev a réalisé deux films qui ont été salués par les critiques
occidentaux lors des festivals.
06.09.13.