A la fin des années 50, le
producteur Arthur Brauner invite plusieurs réalisateurs allemands exilés aux
Etats-Unis à revenir dans leur pays. Il propose ainsi à Fritz Lang de diriger
une série de remakes. Lang accepte de tourner une suite du Docteur Mabuse ainsi qu’un remake du Tombeau hindou, un film des années 20 réalisé par Joe May. En
revanche, il refuse une nouvelle version des Nibelungen (1922) et une nouvelle version de Die Herrin der Welt (1920). La première sera tournée par Harald
Reinl en 1966, la seconde par William Dieterle en 1960. Comme Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, Die Herrin der Welt est un remake d'un serial des années 20, réalisé
par Joe May et scénarisé par Fritz Lang.
Une rénovation du serial. Le titre français de Die Herrin der Welt, Les
Mystères d'Angkor, renvoie aux Mystères
de Paris, roman feuilletonesque fondateur, écrit par Eugène Sue en 1843.
Complètement invraisemblable et mené tambour bâtant, le récit des Mystères d'Angkor accumule les
péripéties, les courses-poursuites et les bagarres ou autres scènes d'action.
Cette impression est renforcée par le fait que le film, coupé en deux parties
en Allemagne, est sorti en France dans une version unique de 2h10.
On voyage beaucoup dans Les Mystères d'Angkor, film inconstant
en termes de décor: Stockholm, Marseille, Nice, Naples, Hong
Kong, Macao, le Népal, Bangkok puis le
Cambodge. Cette "bougeotte" maladive donne presque au film un
air de prospectus de voyage... Selon le magazine Der Spiegel, Les Mystères d'Angkor,
avec son budget de près de cinq millions de Deutsche Mark, était l'un des
films allemands les plus chers de la période d'après-guerre. Grosse
superproduction internationale (d’où la présence d’acteurs aussi divers que
l’allemand Wolfgang Preiss, la française Micheline Presle, les italiens Gino
Cervi et Lino Ventura, l’américaine Martha Hyer et l’argentin Carlos Thompson…)
en couleurs, Les Mystères d'Angkor alterne
les décors intérieurs en carton pate avec des scènes en décors naturels dont un
final tourné dans le temple bouddhiste d'Angkor Vat.
Un condensé de poncifs et d'absurdités. La trame des Mystères d'Angkor annonce celle de L'Homme de Rio (1964) de Philippe de
Broca, un autre film qui remet au goût du jour le serial et l'exotisme: une
jeune fille parcourt le monde à la recherche de son père, un scientifique
kidnappé par des criminels. L'enlèvement d'un savant vers des pays lointains
évoque également un album de Tintin: Le
Temple du Soleil (1948). La voix-off omnisciente (?) du film fait elle
penser aux récitatifs des bandes dessinées, c'est-à-dire les panneaux
généralement situés au bord des vignettes et servant aux commentaires. Naïf,
idiot et spectaculaire, Les Mystères
d'Angkor ressemble en effet à une bande dessinée.
Le McGuffin des Mystères d'Angkor tente de révéler une
peur du nucléaire et une dénonciation d'un monde moderne en perdition mais le
film, voulant recréer avec un premier degré le serial des années 30, apparait
comme un film réactionnaire en termes cinématographiques... Les personnages du
film sont caricaturaux: le héros est un agent secret suédois, beau et
intelligent, avec une classe à la James Bond (même si son costume "de
jungle" évoque lui Indiana Jones); la méchante est une femme cruelle et
impitoyable, à la tête d’un réseau d’espions internationale, accompagnée de
sbires cupides et de natifs asiatiques crétins; la fille du scientifique se
promène toujours dans des robes années 50 très élégantes et se fait des soucis
pour son vieux père... Les séquences elles mêmes sont déjà vues, aussi absurdes
que grossières: explosion nucléaire dans un laboratoire scientifique, réunion
des agents secrets du monde entier (Interpol ? L'OTAN ? Mystères...), filatures
depuis un aéroport, assassinat de nuit dans un garage, règlement de comptes
dans un cimetière, rendez-vous secret dans un bar du port, traversée de la
jungle avec enlisement dans la boue et morsure de serpent...
Avec ses couleurs délavées et
ses acteurs sans relief, le spectacle puéril des aventures exotiques des Mystères d'Angkor impressionne et
séduit. Ce film est certes idiot mais il dégage un charme et un plaisir
certains.
29.09.13.