En
1949, Ida Lupino, actrice sous contrat à la Warner Bros, surnommée la
"Bette Davis du pauvre", fonde avec le soutien de Collier Young,
ancien patron de la Columbia et mari de la comédienne, la « Emerald » qui
devient en 1950 « The Filmmakers ». Avec Dorothy Arzner, Lupino devient l'une
des premières réalisatrices de l'histoire du cinéma. Lupino aborde des sujets
durs et originaux: Outrage (1950)
s’intéresse au destin d’une jeune fille violée; Never Fear (1950) décrit le désespoir
mental d’une femme gravement malade, Hard
Fast and Beautiful (1951) dénonce l’exploitation professionnelle
d’une joueuse de tennis.
Après ces projets ambitieux, elle
réalise Le Voyage de la Peur
(1953), qui demeure peut-être son film le plus connu. Ce film criminel, réalisé
dans des décors naturels avec un petit budget, met en scène un duo d'amis sous
l'emprise d'un auto-stoppeur inquiétant, un meurtrier en fuite. La figure de lauto-stoppeur
avait déjà inspiré le cauchemardesque Detour (1945) d'Edgar G. Ulmer[1].
Dans Le Voyage de la Peur,
l'autostoppeur a les paupières paralysées et terrorise ses otage:
ces derniers ne peuvent donc pas le surprendre lors de son sommeil à cause de
son regard inflexible.
Si Le Voyage de la Peur semble parfois flirter avec
le police documentary et prétend montrer un fait réel, le film se
présente surtout comme un thriller dont l'objectif est de tenir en haleine le
public pendant les 70 minutes de film. Les deux otages s'avèrent deux citoyens lambda
auxquels les spectateurs sont sensés s'identifier: mariés, sans problème, les
deux amis, un dessinateur et un garagiste, étaient simplement partis pécher. Le
physique banal de leurs interprètes, Edmond O'Brien et Frank Lovejoy, vient souligner
le côté américain moyen des personnages.
A l'inverse, le tueur inquiétant,
campé par William Talman, incarne la menace pour l’Amérique et la négation des
fondements de la société. On apprend ainsi qu’il a été délaissé par ses parents
à sa naissance. Le tueur dénonce donc une société médiocre, too
"soft", plein de bons sentiments. Il déclare être libre parce que,
lui, il ne doit rien à personne alors que ses otages pourraient s'enfuir s'ils
arrêtaient de dépendre l'un de l'autre. La charge critique du Voyage de la Peur,
écrit par un scénariste blacklisté non crédité au générique (Daniel
Mainwaring), est néanmoins balancée par la folie du personnage du tueur,
véritable névrosé.
Original et intelligent, fauché et
efficace, Le Voyage de La Peur
apparaît comme un excellent film noir, une série B de qualité.
23.08.2012.
[1]D'autres films reprendront la trame du Voyage de La Peur, le thriller sur l'auto-stoppeur
menaçant. Citons parmi eux Autostop rosso
sangue (1977) de Pasquale Festa Campanille, The Hitcher (1987) de Robert Harmon qui a fait l'objet d'une suite
en 2003 et d'un remake en 2007 ou encore The
Pass (1998) de Kurt Ross.