Sorti
la même année que Planeta Bur[1] de Pavel Klushantsev en 1962, L'Homme Amphibie marque le renouveau du film de science-fiction dans le
cinéma soviétique[2].
Grand succès populaire (plus de 65 millions de spectateurs), L'Homme Amphibie est adapté d'un roman
de 1928 écrit par Alexandre Belaiaïev, écrivain majeur de la littérature russe
de science-fiction.
Le
récit de L'Homme Amphibie ressemble,
par sa simplicité, à un conte. Le film se situe dans un village portuaire
indéterminé qui évoque l'Amérique latine (on voit des sombreros et des églises
catholiques) bien que le film fut tourné sur les côtes de l'Ukraine. L'homme
amphibie du titre, qui sème la panique chez les pécheurs locaux, finit par
s'éprendre d'une jeune femme qu'il sauve d'une attaque de requin. Mais l'union
des deux amoureux est impossible: l'homme amphibie est victime du rêve fou de
son scientifique de père, qui souhaite créer une république sous-marine
parfaite et son amoureuse est sous l'emprise d'un méchant patron qui veut
exploiter l'homme amphibie afin de récupérer des perles dans la mer...
Variation
sur les motifs de la belle et la bête (le monstre amoureux de la belle femme[3]) et de la petite sirène
(l'incapacité de l'homme marin à vivre en dehors de l'eau), L'Homme Amphibie reprend aussi le motif
tragique d'un amour impossible à la Roméo et Juliette. Le film exploite
également de nombreux archétypes de la science-fiction dont l'absurde utopie
d'un scientifique (fou, comme il se doit) qui a installé son laboratoire
"hight tech" dans un repaire rocheux à la capitaine Nemo (comprendre
des décors de carton-pâte et bidons avec des portes automatiques). Le film
emprunte pleinement à la culture populaire et se termine même par une séquence
d'évasion de prison (avec course-poursuite !). L'Homme Amphibie veut donc faire rêver le spectateur russe en lui
offrant un cinéma de genre haut en couleurs.
Si L'Homme Amphibie se présente comme un divertissement
populaire, le film n'en est pas moins dénué de sous-texte politique. Ainsi, le
mari de l'amoureuse de l'homme-amphibie, le riche bourgeois qui loue les
service des pécheurs pour les recherches de perles, incarne le méchant
capitaliste, cupide et insensible. Si le film embrasse la doctrine du réalisme
socialiste, il étonne néanmoins en montrant une méfiance envers le progrès
scientifique (le père de l'homme-amphibie recherchait le bonheur de son fils mais
a engendré son malheur) et envers la justice (elle se range du côté du mauvais
patron et est prête à emprisonner les journalistes qui dérangent...). Autre
séquence surprenante: la déambulation nocturne de l'homme-amphibie dans la
ville, une "city" à l'américaine avec jazz et panneaux lumineux...
Avec
son mélange d'audace et de naïveté, L'Homme
Amphibie dégage une poésie évidente. Si les séquences aquatiques séduisent
par leur beauté, le costume en paillette (façon Claude François) de
l'homme-amphibie frôle lui le ridicule. La mise en scène, qui impressionne par
son sens du cadrage héritier du cinéma muet (usage récurrent de la contre
plongée et du cadre de biais) contribue également à la splendeur du spectacle
désuet mais charmant de L'Homme Amphibie.
12.01.14.
[1]
Le film fut remonté et "retravaillé" par Roger Corman pour une
distribution américaine avec Voyage to
the Prehistoric Planet (1965) de Curtis Harrington puis avec Planet to the Planet of Prehistoric Women
(1968) de Peter Bogdanovich.
[2]
Aelita (1924) de Yakov
Protazanov est souvent considéré comme le premier grand film de
science-fiction du cinéma soviétique.
[3]
véritable poncif du cinéma fantastique que l'on
retrouve dans King Kong, L'étrange créature du Lac noir, qui par
sa poésie naïve et par ses séquences sous-marines évoquent le film russe