Un
British Noir: faux film de gangsters, véritable spiv movie. Avec Il Pleut Toujours le Dimanche
(1947) de Robert Hamer, Huit Heures de
Sursis (1947) et Le Troisième Homme
(1949) de Carol Reed, Brighton Rock
est un classique du film noir britannique. Comme les films américains de
l'époque, ce qui retient avant tout l'attention dans Brighton Rock, c'est son atmosphère sombre et nocturne où
sont privilégiés une expression graphique de la violence et les éclairages de
clair-obscur. Comme leurs homologues de l'autre côté de
l'Atlantiques, les frères Boulting (John à la réalisation, Roy à la production)
privilégient ainsi une noirceur thématique et visuelle.
Bien que le personnage principal soit
un gangster, Brighton
Rock est très éloigné de
la trame classique du film de gangsters à l'américaine, fondée sur l'ascension
et la chute du truand.[1] En effet, le film s'apparente davantage à un genre endogène au
film de gangsters qu'est le spiv movie, lequel évoque la dure réalité sociale
de l'Angleterre de l'Après-guerre. Le personnage principal de Brighton Rock,
"Pinkie" Brown, est un "spiv": il en a l'apparence (il s'habille
avec des costumes rayés) et l'activité (c'est un criminel qui vit du marché
noir). A la suite d'un règlement de comptes, il élimine un mouchard. Pour
éviter qu'on l'identifie, Pinkie se marie avec l'unique témoin afin de
l'empêcher de parler. Il l'accule au suicide mais finit par être lui-même abattu
par la police.
La
touche de Graham Greene: grandes roues du destin et catholicisme. On sent
derrière Brighton
Rock et son histoire complexe (nombreux personnages et péripéties),
une source romanesque, dense et une importance portée à la psychologie. Pour le
film des frères Boulting, Graham Greene se prête lui-même à l'adaptation de son
propre roman. En explorant la profondeur du
mal, Graham Greene développe ses thématiques préférées, insistant sur la
prédestination tragique de son héros et sur son catholicisme marqué. Interprété
par un tout jeune Richard Attenborough, Pinkie est un tueur inquiétant: froid,
calme et impassible, il perturbe également par son maniement maladif d'un jeu
d'élastique et par son visage poupon, son caractère juvénile. Le titre même de
l'histoire de Graham Greene, en faisant référence aux fameuses sucreries
locales, vient sceller l'association entre le crime et une jeunesse perdue,
comme condamnée d'avance. Le mal se cache derrière une apparence trompeuse et
inflexible[2].
Le récit de Graham Greene révèle les
dessous de la misère sociale: Pinkie est entouré d'un avocat véreux sans le sou
et il s'entiche d'une serveuse de café, pauvre et naïve. Le film des Boulting
est principalement tourné en décors réels mais Brighton, la station balnéaire,
n'est pas une ville de plaisirs et des agences de voyage. Au contraire, elle se
révèle être un décor de crime et de violence. L'une des scènes les plus
marquantes du film reste l'assassinat du mouchard dans le train fantôme: on
verra beaucoup par la suite cette association entre le crime et la fête foraine
(univers de gaité qui peut se révéler angoissant), que l'on retrouvera, par
exemple dans Too Late for Tears
(1949) de Byron Haskin, Woman on the Run
(1950) de Norman Foster ou encore Le
Troisième Homme (1949) de Carol Reed, également d'après Graham Greene. Plus
que son discours religieux embrouillé, on retiendra de Brighton Rock cette scène dans le roller coaster et d'autres
(principalement les scènes de violence) qui font du film l'un des points
d'orgue du noir anglais.
01.11.2012.
[1]
Cela n'a pas empêché les Américains de
distribuer le film sous le titre de Young Scarface en insistant sur la balafre à la joue de
Pinkie dans la deuxième partie du film.
[2]
"Regardez moi. Je n'ai jamais changé. C'est comme ces bâtons de
rocher: mordez-les tout du long, vous lirez toujours Brighton. C'est la nature
humaine" déclare Pinkie.