La folie créative de la Nouvelle Vague
tchèque. Avec
Milos Forman, Ivan Passer, et Věra
Chytilová, Jiri Menzel est l'un des principaux représentants de la Nouvelle
Vague tchèque, mouvement marqué par une grande liberté de ton qui prendra fin
après la répression du Printemps de Prague en 1968. Des trains étroitement surveillés est
l'une de ses manifestations les plus célèbres, sûrement en raison de sa
présentation à la cérémonie des oscars en 1967 où il remporta le prix du
meilleur film en langue étrangère. Il est vrai que ce film tragi-comique est
une réussite certaine.
A en croire les
quelques aperçus que l'on a pu avoir, la culture tchèque apparaît pour le moins
excentrique: en littérature, l'univers inquiétant de Kafka nous a terrifié; au
cinéma, des films comme Au feu les
Pompiers (1968) de Milos Forman ou Limonade
Joe (1964) d’Orldrecht Lipsky nous ont particulièrement intrigué par leur
sens du bizarre et du surréalisme. Des
trains étroitement surveillés s'inscrit lui aussi dans un cadre
spatio-temporel étonnant. Le film de Menzel est en effet centré sur les
mésaventures amoureuses de Milos, jeune "sous-chef" de gare dans une
petite ville de province, pendant la seconde guerre mondiale (peut-être dans la
tradition du cinéma soviétique). Alors que la guerre fait rage, la morne vie de
Milos consister à regarder les trains passer. Ici, par le récit d'un destin
individuel, la petite histoire se mélange à la grande et l'une finira par
anéantir l'autre.
Les
problématiques de la Nouvelle Vague: la jeunesse partagée entre conformisme et
rébellion. Doux-amer, Des trains
étroitement surveillés ressemble aux autres films des Nouvelles Vagues de
l'époque, français italiens ou encore anglais, car il partage avec eux une
préoccupation commune, à savoir la difficulté de la jeunesse à grandir et à se
démarquer des conventions de la société. En effet, cette problématique demeure
le cœur de biens des premières réalisations et d'ailleurs on peut voir dans le
personnage de Milos, qui n'arrive pas à séduire la jolie contrôleuse un
lointain cousin des timides Antoine Doinel ou Andrzej Leszczyc (le
personnage joué par Jerzy Skolimovski dans ses premiers films polonais). Comme lui
dit le médecin, Milos souffre d'un problème d' "ejaculatio praecox"
et de plus, il ne parvient pas à copuler avec sa copine car l'oncle de cette
dernière est omniprésent. Le sentiment d'échec de Milos le conduira à tenter de
se suicider: malgré l'apparente gravité de ce geste, l'attention amusée domine.
Milos est d'autant plus une victime qu'il
est soumis à ses supérieurs hiérarchiques qui lui imposent de respecter des
codes absurdes: saluer au passage des trains, uniforme strict. Une règle prohibe
même de parler avec les contrôleuses. Discipliné, le chef de gare copine avec
les forces d'occupation mais ce personnage grotesque ne parvient pas à
maintenir l'ordre dans son petit monde. Malgré le décalage temporel, la
critique de la bureaucratie peut donc se lire comme une satire du régime
communiste de l'époque.
Face à ce conformisme et ce formalisme
risibles, la tentation est celle de la rébellion. Et la révolution va se faire
tant contre l'oppresseur extérieur (les nazis) que contre l'oppresseur interne
(les autorités). Dans un moment d'excitation, le collègue de Milos tamponne les
fesses d'une fille, geste symbolique d'une révolte qui "tâche" et qui
dérange. Après sa "première fois", Milos s'engage lui soudainement
dans la résistance et meurt en sabotant un train. Sa mort, aussi brusque
qu'absurde, rend ainsi son engagement politique ridicule. Mais peu importe si
notre révolté est mort, l'explosion qu'il a provoquée engendre un vent de
folie, qui comme le film, libère les carcans.
04.11.2012.