Tourné après Huit Heures de sursis (1947), Première Désillusion est la première des
trois collaborations du cinéaste Carol Reed avec le romancier Graham Greene.
Comme Le Troisième Homme (1949) et Notre Agent à la Havane (1959), Première Désillusion révèle la réunion concluante
du ton décalé de Greene avec le style expressionniste de Reed.
Comme son titre l'indique, Première Désillusion raconte la perte
d'une innocence et s'inscrit parfaitement dans l'œuvre pessimiste de Graham
Greene. L'originalité du film tient à son point de vue, le récit étant suivi à
la hauteur du regard d'un enfant. En l'absence de ses parents, Philippe, un
fils de diplomate, est confié à Baines, le majordome de l'ambassade. Celui-ci
lui raconte des aventures extravagantes qui lui sont arrivées en Afrique. Mais
la réalité est bien différente: un soir, sa femme meurt accidentellement alors
qu'il est en présence de sa maitresse. Déçu par son "idole", Philippe
est persuadé que c'est le majordome qui l'a tué.
Avec ce conte cruel, Graham Greene
nous montre comment un enfant est perverti par le monde des adultes qu'il peine
à comprendre. Dans un élan de méchanceté, Mrs Baines tue sa vipère alors que M.
Baines lui raconte des mensonges. Seul sans ses parents, Philipe est livré à
lui-même, abandonné. Influencé par les adultes, il se met lui-même à mentir à
la police, pensant que la dissimulation de la vérité est une protection plus
efficace. Malgré sa fin en apparence heureuse, Première Désillusion s'avère donc être un faux récit
d'apprentissage et donc un récit initiatique destructeur[1]:
les relations humaines sont faussées par les perspectives (la situation
géographique et donc sociale de chacun).
Un plan récurent de Première Désillusion, montrant le hall
de l'ambassade, résume bien la dialectique du film. A travers la rambarde de l'escalier,
Philippe regarde de haut et de loin le monde froid (sol en marbre) des adultes,
où règnent fissures secrètes et hypocrisies manifestes. Pour souligner
l'alternance (la distance puis rapprochement) avec laquelle Philipe connait
tour à tour avec ce monde, Carol Reed multiplie les plans avec une large
profondeur de champ et où notre jeune protagoniste se rapproche de la caméra. La
scène du cache-cache nocturne dans l'ambassade et celle de la fuite de Philipe
dans les rues désertes de Londres après l' "accident" annoncent
grandement Le Troisième Homme: Reed y
excelle dans une mise en scène "expressionnisante", accumulant les
cadrages de biais et la photographie en clair-obscur. Ces séquences signatures
concernent donc principalement la partie criminelle du film, volet important du
drame.
21.11.2012.
[1]
De même, dans Le Troisième Homme,
Holly Martins n'est-il pas, en définitive, un enfant qui désapprouve les
failles de son idole ?