Inédit en France, Je veux seulement que vous m'aimiez, est
ressorti sur nos écrans en 2011. Ce film tourné en 1976 pour la télévision allemande
révèle que l'œuvre de Fassbinder est aussi vaste que riche et que les œuvres
pour le petit écran ont autant de valeur que celles conçues pour le grand.
Comme de nombreux films de
Fassbinder, Je veux seulement que vous
m'aimiez apparait comme une radioscopie de l'Allemagne à un moment donné, à
travers un portrait psychologique. Ici, Fassbinder parle de son temps et filme
la misère de Peter, un jeune ouvrier, qui emménage à Munich après son mariage.
Peter est la manifestation des névroses de son époque: victime d'un capitalisme
fou, il se tue au travail et collectionne les heures supplémentaires sur les
chantiers pour acheter des biens de consommation courante. Les crédits
contractés et leurs échéances mensuelles s'accumulent. L'asservissement de Peter
par le consumérisme le conduit dans une spirale dramatique: au malaise dans le
couple, s'ensuit un endettement conséquent, une plongée dans la folie jusqu'à
l'homicide.
Fassbinder ne contente pas de
critiquer les maux du capitalisme mais tente de revenir sur ses origines. Les
réponses qu'il apporte relèvent principalement de la psychanalyse. Peter, qui a
toujours été très attentionné envers ses parents, n'a jamais reçu de preuves
d'amour de leur part. Le titre du film révèle ce complexe de solitude et
d'incompréhension qui sous-tend la consommation frénétique et le désir de
normalité. Alors que Peter est un simple maçon, ses parents, eux, sont des
petits bourgeois qui ont fait fortune dans le commerce. Le miracle économique
s'est fait au détriment des sentiments et cette froideur est responsable d'un
malaise social. La nouvelle génération est victime de l'ancienne: les parents
de Peter n'habiteront même pas la maison que leur fils lui a construit et
celle-ci restera à l'abandon.
Il est intéressant de comparer
le protagoniste Je veux seulement que
vous m'aimiez avec celui de Despair (1977),
le film suivant de Fassbinder. Terrassé par la fatigue, Peter cache à son
épouse qu'il ne va plus au travail et qu'il erre dans les rues. Le capitalisme a
eu raison de Peter et lui a enlevé son âme. Sombrant dans la folie, Peter en
vient à confondre son père avec un patron de café dont le meurtre le mènera
droit en prison. Victime d'une société qui le rejette, "castré" par
ses parents, le maladif Peter n'est pas éloigné du schizophrène Hermann Hermann
dans Despair, autre incarnation d'une
Allemagne gangrénée, celle de Weimar. Eux deux se trompent sur leur situation,
sur leur identité et sur celle des autres.
15.11.12.