Après Back Street (1932), John Stahl adapte de nouveau la romancière
Fannie Hurst (auteure également de Humoresque
ou Four Daughters) avec Imitation of Life, et signe l'un des
films majeurs de sa série de mélodrames tournée pour la Universal. Le film
apparait comme un sommet du genre mélodramatique, marqué par l'exacerbation des
situations dramatiques et des émotions, à partir de la vision de destins
individuels et familiaux complexes. Mais bien avant le mélodrame des années 50,
favorisant la réflexion sur l'artifice, le mélodrame des années 30 frappe par
l'accent porté sur l'aspect social.
La question noire: attention et compassion mais pas d'évolution. Le
film de Stahl met en scène la success story de l'association entre une jeune
veuve et sa nounou qui se lancent dans une entreprise de pancakes qui assurera
leur fortune. Beatrice, la blanche, et Delilah, la noire, sont partenaires,
dans l'entreprise. Néanmoins, malgré l'association fructueuse des deux classes
de population, le regard sincèrement attentionné porté sur les gens de couleur
s'arrête là: Delilah ne détient que 20% des parts de la société (alors que c'est
elle qui a trouvé la recette !) et elle se complait dans son rapport de soumission
à sa maitresse. Ainsi, lorsqu'on lui propose de disposer de biens propres et de
vivre sa vie, Delilah, caricature de "mammy" noire, préfère rester au
service de sa patronne, dont elle continue à masser les pieds le soir... Dans
un plan magnifique, Stahl résume la situation en cadrant un escalier en spirale:
si la maîtresse monte à l'étage, la bonne noire descend de son côté par
l'escalier de service.
L'attention portée à la question
noire dans Imitation of Life est donc
pour le moins paradoxale. A travers le personnage de Peola, la fille métis de
Delilah, il procède à une dénonciation du racisme en même temps qu'il semble
prôner un strict respect de la ségrégation. En effet, en reniant sa mère et ses
origines noires pour mieux intégrer le monde des blancs qui la rejette, Peola
apparaît comme une victime mais c'est aussi un personnage cruel qui court à sa
perte et qui causera celle de sa mère, morte de chagrin. Lorsque Peola
comprendra l'ampleur de son échec, elle reviendra pleurer sur la tombe de sa mère:
le monde des blancs n'est pas pour les noirs, même s'ils sont métis. Sous le
vernis d'un progressisme apparent, Imitation
of Life semble affirmer la doctrine même de la ségrégation: "equal but
separate", soit chacun chez soi.
La condition féminine. Avec
son personnage de femme indépendante, Imitation
of Life s'inscrit dans le genre des women's pictures qui nait dans les
années 30. En effet, Beatrice, une veuve jeune et ambitieuse, apparait comme
une cousine de Mildred Pierce (1945),
où la fille vole également l'amant de sa mère. Son interprétation par Claudette
Colbert[1],
parfois friponne, contribue à souligner l'indépendance (sexuelle) du
personnage. Avec l'aide d'un comptable bougon qui apparait sous l'apparence du
"bum", le clochard victime de la crise de 29, Beatrice parvient à
sortir de la pauvreté en montant sa propre boite. Son histoire célèbre le mythe
de l'entreprenariat et l'accomplissement du rêve américain.
Le remake du film par Douglas
Sirk en 1959, tout aussi ambigu sur la question noire, ira dans le sens
contraire: plus conservateur que féministe, il montre comment le personnage
féminin va sacrifier
sa carrière d'actrice pour sa famille et son amant et le regrettera.
La différence entre les deux films est aussi notoire du point de vue stylistique:
la sobriété de la forme de Stahl sera remplacée par la mise en scène
flamboyante et tire-larmes de Sirk.
08.03.13.
[1]
Claudette Colbert, actrice de comédie, montre bien, comme le souligne Jean-Loup
Bourget dans Hollywood, la Norme et la
Marge (Armand Colin), le fait que le mélodrame serait un pendant de la
comédie.