Time travelling: Un visiteur au Moyen-âge. Un Yankee à la Cour du
Roi Arthur de Tay Garnett est la troisième adaptation du roman de Mark
Twain, après une version muette réalisée par Emmett J. Flynn en 1921 et une
version parlante réalisée par David Butler en 1931 (deux productions Fox). Le
roman de Twain, écrit en 1889, constitue l'un des tous premiers exemples de ce
sous-genre de la Science-fiction qu'est le « time travelling » ou le voyage
dans le temps (La Machine à remonter le
temps de HG Wells date 1895). Comme le titre l'indique, le roman narre
l'histoire d'un modeste américain du Connecticut qui se retrouve dans la Cour
du Roi Arthur après avoir été frappé par la foudre. Confrontant le Moyen-âge à
la modernité, Un Yankee à la Cour du Roi
Arthur annonce d'une certaine manière Les
Visiteurs (1992, Jean-Marie Poiré).
Pour survivre dans le monde
hostile de l'âge sombre, le "yankee" utilise la technologie et la
modernité: l'homme du futur impressionne en maîtrisant le feu par une allumette
ou par le passage des rayons du soleil à travers un verre. Plus tard, le yankee
construit un pistolet, initie l'orchestre de la Cour au swing et transforme le
tournoi de chevaliers en rodéo... Comme dans Tintin et le Temple du Soleil, le héros se sauve du bucher en annonçant
une éclipse qu'il a découvert après la lecture
d'un almanach. L'obscurantisme est le sujet de moqueries et le Moyen-âge
fait l'objet d'une démystification: Merlin est un charlatan, alors que les
chevaliers, dont les armures rouillent, sont aussi superstitieux que mythomanes
quant à leurs prétendus exploits. Surtout, la Cour exploite ses sujets et
méconnait leurs droits.
Chez Arthur ou chez François-Joseph. Un Yankee à la Cour du Roi Arthur partage de nombreux points
communs avec La Valse de l'Empereur
de Billy Wilder, autre grande superproduction de la Paramount sortie l'année
précédente. Les deux films, en costumes et en couleurs, lorgnent vers la
comédie musicale bon enfant et mettent en scène Bing Crosby, et dans la lignée
de la série des Road to... (Singapore,
Zanzibar, Morocco, Utopia, Rio, Bali et plus tard Hong Kong), jouent sur le
décalage culturel entre les valeurs du crooner et celles de l'univers dans
lequel il est « parachuté».
Le film de Tay Garnett comme
celui de Billy Wilder oppose le personnage de Bing Crosby, incarnation d'une Amérique
sûre d'elle-même et mal élevée, à une Cour royale et européenne d'un autre
temps, engoncée dans les traditions. Le jeu d'opposition sociale se double d'une confrontation entre
deux mondes et deux époques, confrontation davantage soulignée dans Un Yankee à la Cour du Roi Arthur où le
personnage de Bing Crosby qui voyage dans le temps, se retrouve dans le passé.
La propagande des valeurs américaines. Dans les deux films, le
personnage de Bing Crosby, en plus d'apporter la modernité à une Europe en
déclin, va apporter des changements sociaux et politiques. Les souverains, François-Joseph
et le Roi Arthur, sont des monarques grabataires et autoritaires. Mais la venue
de l'américain, bousculant les hypocrisies de la Cour, va plaire au souverain
qui va voir dans le personnage une incarnation de la franchise. Le roi breton
comme l'empereur d'Autriche Hongrie méconnaissent la réalité du quotidien de
leurs sujets car ils sont entourés de mauvais conseillers: dans Un Yankee à la Cour du Roi Arthur, Bing
Crosby va proposer au roi de se déguiser pour mieux se fondre dans la
population afin de comprendre son peuple. Cette scène est directement inspirée d'Henri V de Shakespeare, où le monarque
se mélange de nuit avec les soldats de son armée.
Dans les deux films, le
personnage populaire de Bing Crosby tombe amoureux d'une femme de la Cour qui
est promise à un autre. Mais la sincérité des sentiments du personnage lui
permet de surmonter la barrière des conventions sociales et culturelles de la
Cour: par son arrivée, Bing Crosby, l'américain, apporte donc la démocratie.
Comme La Valse de l'Empereur, Un
Yankee à la Cour du Roi Arthur, sous ses airs de spectacle naïf et kitch,
est donc un film moins idiot qu'il ne paraît: plus que la critique amusée de
l'Europe ou des Etats-Unis, c'est la propagande des valeurs américaines qui
prédomine.
21.04.13.