D'abord
assistant de Don Siegel (sur Riot in Cell Block 11, Private Hell 36,
An Annapolis Story, Invasion of the Body Snatchers et
Crime in the Streets), Sam Peckinpah
commence dès 1957 sa carrière à la télévision, en travaillant sur des séries
western. Il contribue notamment à la création d'une série, The Westerner,
dont il reprend la vedette Brian Keith pour son premier film de cinéma, The
Deadly Companions. Ce petit budget, tourné en toute indépendance des grands
studios[1], contient
de nombreux éléments caractéristiques de l'œuvre à venir de « Bloody Sam », permettant
une lecture auteuriste de ce premier opus du cinéaste.
Le sujet de The Deadly Companions est
particulièrement sombre, crépusculaire avant l'heure: un ancien officier tue
accidentellement dans une fusillade le fils d'une entraineuse et aide celle-ci
à aller enterrer son garçon dans un dangereux territoire indien. Le ton est
donné dès le premier plan où l'on voit un homme pendu dans un saloon. «Yellow
Leg», le personnage principal, lui sauve la vie en éliminant sommairement ses
agresseurs. Dès les premières minutes, on est donc frappé par la violence de
l'action et par son efficacité. Cette violence culminera évidement dans le
final, l'incontournable séquence du règlement de comptes.
Peckinpah nous propose alors de suivre des
individus du mauvais côté de la loi. Yellow Leg, ex officier de l'Union mû par
une longue quête de vengeance (un sudiste l'a scalpé), est un personnage las et
fatigué qui annonce celui de Robert Ryan dans La Horde sauvage ou celui de
James Coburn dans Pat Garrett et Billy the Kid. Mystérieux (on ne saura
jamais son nom), il s'associe avec la canaille à qui il a sauvé la vie ainsi
qu'avec son partenaire pour braquer une banque: le premier est un vieux fou qui
veut dominer un monde dont il serait le roi, le second est un gunfighter instinctif.
Ensuite, Yellow Leg s'attache à la prostituée dont il a tué l'enfant. Cette
dernière fuit la ville où elle «exerçait », excédée par le regard méprisant de
ses concitoyens[2].
La bande des Deadly Companions est donc une horde sauvage avant l'heure,
un groupe d'outlaws, de marginaux rejetés par la société.
En plus des personnages caractéristiques du cinéma
de Peckinpah car profondément individualistes, on retrouve dans The Deadly
Companions d'autres obsessions du cinéaste. On aperçoit notamment ce plan
récurrent sur ces enfants cruels qui annoncent dès le début la violence des
adultes. Dans The Deadly Companions, Peckinpah nous montre déjà un Ouest
sale et peu glorieux, sans foi ni loi, où pointe déjà la modernité, qui
s'illustre ici par l'apparition d'une ombrelle annonçant les automobiles et les
mitrailleuses des films à venir. Par ailleurs, un manteau de fourrure de
trappeur (celui porté par Chill Wills) et une messe célébrée dans un saloon
(faute d'église) viennent apporter une touche d'excentricité et d'insolite
propre au cinéma de Peckinpah.
Premier film, The Deadly Companions est loin
d'être sans défaut: la mise en scène n'est pas très impressionnante, le film
sent bon le petit budget, et la musique (avec accordéon !) est plutôt ratée. De
plus, le récit lorgne vers la fin du côté du Trésor du pendu (règlement
de comptes dans une ville fantôme pour un dérisoire butin entre des bandits qui
se disputent une femme) et se conclue par une fin optimiste un peu factice (le
rédemption de Yellow Leg passe par la renonciation à la violence). Mais la
noirceur du film en adhésion avec l'œuvre à venir de Peckinpah distingue le
film.
27.03.13.
[1]
Le film est produit par Charles B Fitzimons, le frère de Maureen O'Hara, lequel
voulait relancer la carrière de l'actrice qui avait décliné suite à un
scandale: un journal l'accusait d'avoir eu des relations sexuelles au balcon
d'un cinéma.
[2]
François Causse, dans Sam Peckinpah, la
violence du crépuscule (Dreamland, 2001), souligne le fait que la fiction
rejoint la réalité. L'actrice Maureen O'Hara, comme son personnage, rejette les
médisances dont elle est victime et souffre d'un sentiment d'injustice.