Du fantôme au héros providentiel: Clint Eastwood, un homme du passé.
Dans les western spaghetti de Sergio Leone qui ont fait sa célébrité, Eastwood,
alias l'homme sans nom, est un homme mystérieux, au passé inconnu. Passant à la
mise en scène, l'acteur assoit sa personnalité cinématographique de revenant
fantomatique avec L'Homme des Hautes
Plaines ou Pale Rider. Epousant à
sa façon la forme du western crépusculaire avec Impitoyable, Eastwood se met en scène comme un homme d'un autre
temps et assume sa vieillesse à l'écran tel John Wayne.
Homme du passé, Eastwood se
présente comme un valeur sûre de l'Amérique et se plait à endosser la figure du
héros providentiel. En effet, Clint Eastwood a souvent joué des personnages reclus
qui acceptent de sortir de leur solitude pour venir en aide à ceux qui les
réclament. Dans La Sanction, il joue
un ancien tueur à gages qui s'est reconverti dans l'enseignement mais qui va
être rattrapé par son passé; dans Firefox,
il joue un vétéran du Vietnam qui rempile quand le devoir l'appelle. Dans Million Dollar Baby et Une Nouvelle Chance, Clint Eastwood
interprète un vieil entraineur sportif qui connaît une nouvelle heure de gloire
en coachant la jeune génération. Dans Gran
Torino, il est un vétéran de la guerre de Corée qui ressort les armes pour
défendre son quartier contre la délinquance qui sévit.
Bien qu'Harry Callahan laisse
croire à ses supérieurs (et au public) qu'il va démissionner, «l'inspecteur ne
renonce jamais» et revient toujours. A 82 ans, après plus de quarante ans de
carrière, Clint Eastwood lui même n'en finit pas de faire des films. Dans Space cowboys, le film qui nous
intéresse, la NASA fait appel à Eastwood alias Frank Corvin, astronaute à la
retraite, et ses anciens collègues, pour réparer un satellite qui menace de
s'effondrer sur la terre[1].
Le sujet de Space Cowboys est donc
pour le moins amusant et incongru: la NASA envoie des «papys» septuagénaires dans
l'espace car ceux sont les seules personnes aptes pour raccommoder le vétuste
satellite.
Clint Eastwood, une valeur sûre et américaine. Clint Eastwood/Frank
Corvin est la garantie certaine des valeurs authentiques, premières de
l'Amérique: face à la bureaucratie de la NASA, il incarne l'action et l'individualisme
(qui sait toutefois se marier, s'il le faut, avec un esprit d'équipe); face aux
jeunes recrues, il incarne l'expérience; face à l'hypocrisie, il incarne enfin
la franchise. Comme dans les autres films du réalisateur, Eastwood est donc un
type «old school»: il écoute du vieux jazz, et renvoie par sa personnalité (impulsive,
bougonne et insubordonnée) à la liberté des cowboys auxquels fait référence le
titre. L'idée de Space Cowboys est
simple: même dans un monde de contrôle et de modernité, à l'heure de la
conquête de l'espace, on a besoin d'un homme chevronné et compétent, gardant une
marge de liberté.
Le film s'ouvre par une
séquence, nostalgique et en noir et blanc, située dans les années 50, où l'on
voit l'équipe de Corvin et ses hommes s'entrainer dans le désert. Entrainés
pour partir dans l'espace, ils seront remplacés par un singe: cet élément
révèle symboliquement l'erreur qu'a commise l'administration en refusant de
faire confiance à Corvin et ses hommes, au regard du problème actuel du satellite
qui menace de s'écraser sur la terre quarante ans après. Certes, Corvin et ses
amis sont vieux, essoufflés et en mauvais état (la vue de l'un est catastrophique
alors qu'un autre est malade d'un cancer). Le film est emprunt d'un sentiment
crépusculaire: l'équipe de Corvin apprend à plusieurs reprises la mort de
certaines de leurs connaissances lorsqu'elle demande des nouvelles.
Néanmoins, selon Eastwood,
l'Amérique se doit donc d'être fidèle à ses principes et de retourner à ses
héros d'antan. D'où la réticence du personnage d'Eastwood à reconnaître que le
guerre froide est finie: Frank Corvin n'apprécie pas que le satellite qu'il ait
construit se trouve désormais sous une bannière russe... Frank Corvin et sa
bande de tête brûlées n'ont pas changé depuis les années 50: Hawk (Tommy Lee
Jones, dans une veine Gary Cooper) s'avère toujours autant honnête, Jerry
(Donald Sutherland) drague encore les filles alors que Tank (James Garner) est
éternellement malicieux. Space Cowboys
joue sur la familiarité des visages des comédiens et leurs personnalités
cinématographiques pour renforcer le propos du film: les héros du passé ne
doivent pas être oubliés et peuvent toujours apporter à notre temps de la
confiance. Mais il s'agit aussi et surtout d'un retour à l'écran de vieilles
vedettes afin de mettre en valeur leur jeu d'acteur.
L'ancien et le nouveau. Eastwood prône donc le recours aux valeurs
sûres du passé pour assurer le présent. Son film lui apparaît comme une
parfaite symbiose entre classicisme et modernité. Ainsi, le personnage
d'Eastwood repose sur une série de stéréotypes établis dans les films
précédents du réalisateur. La vision sensible des relations hommes-femmes
(Corvin et sa femme inquiète du départ de son mari; Hawk, le veuf, qui retrouve
l'amour), l'esprit de camaraderie de l'équipe de Corvin ainsi que la scène de
bagarre de saloon renvoient au cinéma de John Ford. Enfin, la séquence inaugurale
dans les années 50 inscrit le film dans un récit classique, à l'ancienne.
En même temps, la seconde partie
du film est consacrée entièrement à l'opération de sauvetage du satellite.
Bénéficiant d'effets spéciaux convaincants et impressionnants, cette partie
spatiale fait davantage penser à Apollo
13 et traduit l'intérêt d'Eastwood pour un film moderne. Frôlant la
Science-fiction, Firefox révélait
déjà ce goût d'Eastwood pour ce genre de films: n'est-ce pas du jeunisme de la
part du réalisateur ? Dans Space Cowboys,
Clint Eastwood remet au goût du jour des vedettes d'antan, prône l'alliance
entre l'ancien et le nouveau et sauve le monde d'un satellite dangereux. Il
signe un film patriotique, un rien ronflant mais pour le moins cohérent.
23.04.13.
[1]
Le sujet de Space Cowboys est proche
de celui d'Armageddon (1998) de
Michael Bay, dans lequel des astronautes sont également envoyés dans l'espace
pour contrer une catastrophe imminente, ici, une météorite qui menace de
s'écraser sur la terre.