Après Week-end (1968), Jean-Luc Godard s'éloigne du cinéma et se
radicalise politiquement. Il tente avec Jean-Pierre Gorin de faire un cinéma
politique et signe ses films sous le pseudonyme collectif de Groupe Dziga
Vertov. Ici et Ailleurs inaugure
ensuite une nouvelle période dans la filmographie de JLG où le cinéaste
expérimente la vidéo avec sa compagne Anne-Marie Miéville.
Ici ET ailleurs, la chaîne complète des images. En 1970, Anne-Marie
Miéville et Jean-Luc Godard filment un camp palestinien en Jordanie. Quatre ans
plus tard, ils reprennent ces images en critiquant leur démarche de l'époque et
en affirmant le droit à l'erreur: ils ont voulu parler à la place des
palestiniens et faire la révolution ailleurs afin de ne pas avoir à la faire
chez eux (ici). Pour rétablir la réalité, il faut donc établir un lien
véritable entre ici et ailleurs, entre nous et les autres, entre A et B. D'où le
choix de Godard de rajouter à son documentaire initial sur la révolution
palestinienne des images d'un ménage français qui regarde la télévision.
Le danger est donc de
s'attarder sur une seule information, sur une unique image qui en ferait
oublier les autres ou sur un son trop fort qui étoufferait les sons plus
faibles. Ainsi, Godard critique le montage des images et des séquences au
cinéma, qui se suivent les unes après les autres, obstruant les précédentes: il
devient impossible de prendre du recul, de voir l'enchainement de toutes les
images sur le même plan et d'avoir une vision d'ensemble. L'enchainement rapide
et dangereux des images mène donc à l'oubli et permet la propagande. En même
temps, dans une société de la prolifération des images, notre œil ne sait plus
sur quelle image s'arrêter et se perd dans la contemplation d'une seule
représentation. Sur ce point, Godard porte un regarde acerbe envers la famille
de téléspectateurs, français moyens et consommateurs abrutis.
Jean-Luc Godard, cinéaste autocritique et engagé. Godard nous
invite donc à développer un esprit critique: il s'agit de prendre du recul face
à un flot constant d'informations et d'images et de remettre en cause leur
authenticité. Le cinéaste s'amuse lui-même à nous manipuler et nous révèle par
un dé-zoom que la révolutionnaire palestinienne qu'il filme et qui était prête
à sacrifier son futur enfant pour la cause n'est en fait pas enceinte. Pour
développer ses théories, Godard multiplie les aphorismes: à partir d'une
calculette ou de dessins sur un tableau noir, il démontre que tout s'ajoute
pour que finalement tout s'annule.
Influencé par l'avant-garde
russe, Godard se prête également à un jeu de montage-attraction: par une association
entre une photographie de Golda Meir puis une autre d'Adolf Hitler, le
cinéaste, engagé pro-palestinien, affirme clairement son antisionisme, se
fondant sur la théorie que ce que les nazis ont fait subir aux juifs, les
israéliens le font désormais subir aux palestiniens.
Film-essai engagé, film de
montage autocritique, Ici et Ailleurs
est une dissertation brillante mais confuse et difficile à suivre, comme
souvent chez Godard. Il fait assurément partie de la période la plus difficile
d'accès de la filmographie de JLG.
12.08.13.