Avec Les Vestiges du Jour, James Ivory retrouve Anthony Hopkins et Emma
Thompson, le couple de Retour à Howards
End (1991), son film précédent. Comme de nombreux films du réalisateur américain,
Les Vestiges du Jour apparaît comme
une étude de l'Angleterre et de son déclin.
Le déclin de l'Empire britannique. Avec des films comme Chaleur et Poussière (1983) et les
adaptations de Foster (Chambre avec Vue,
1986; Maurice, 1987; Howards End, 1991), James Ivory s'est
fait le peintre des dernières heures de l'aristocratie aanglaise au début du
siècle. Contrairement à un réalisateur comme Luchino Visconti, James Ivory ne
se complait pas dans la décadence morale de ses sujets mais s'enferme dans une
nostalgie feutrée et glacée d'un monde figé, en voie d'extinction.
Comme son titre l'évoque, Les Vestiges du Jour renvoient à un
temps passé et révolu. Dans l'Angleterre des années 30, Stephens est le
majordome d'un somptueux château. Son maître, Lord Darlington, est un
"gentleman" de l'ancienne génération, soucieux des traditions et des conventions,
toujours calme, poli et élégant. La vie de la demeure aristocrate est bercée
par les chasses à courre et les grandes réceptions, rendues possibles grâce à
un grand nombre de domestiques. Stephens dirige avec rigueur ces serviteurs:
dignité, précision, obéissance et discrétion sont ses mots d'ordre. Insistant
sur le travail méticuleux des domestiques, James Ivory développe une fascination
pour ce monde disparu. En effet, les compromissions de l'aristocratie anglaise avec
les sympathisants pronazis et l'avènement de la guerre viendront mettre un
terme à ce monde d'ordre et de cérémonies.
De la servitude. Parallèlement à cette forme d'admiration pour ce
système vétuste, Ivory explore travers son film la dialectique du maître et de
l'esclave. Le récit invite le spectateur à plaindre Stephens, un esclave qui
est fier de l'être, un homme tellement attaché son maître et à sa tâche que son
dévouement et ses manières en deviennent maniaques. Stephens ne devient qu'un
fantôme froid et inquiétant: il réprime tous ses sentiments et refuse de se
faire une opinion sur les opinions politiques de son maître. Stephens est
l'archétype de l'esclave qui n'existe que par son maître. Cependant, on peut
aussi se demander si Stephens n'est pas un double, un continuation de la
personnalité de son maître: et si le maniérisme maladif de Stephens était un
aboutissement des aspirations fascisantes de son maître ? On pourrait envisager
une autre hypothèse: Stephens serait un double du spectateur, un spectateur de
l'histoire et de sa propre vie.
Les Vestiges du Jour, paysage de la fin d'un monde (presque
morbide, si l'on considère le choix du comédien Anthony Hopkins qui sortait du
succès de son personnage horrifique d'Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux), ne verra pas ses personnages évoluer. En
effet, Stephens, plus de vingt ans après l'apogée de la belle époque, ne
changera pas et restera le spectateur passif de l'histoire (la petite comme la
grande) qu'il a toujours été. Quant à sa relation ambigüe avec la gouvernante,
elle restera à tout jamais une "non-histoire" d'amour.
La comparaison des Vestiges du Jour avec Gosford Park (2001), sur un cadre
spatio-temporel similaire (la peinture de l'aristocratie dans l'Angleterre des
années 30 ainsi que les liens qu'elle entretient avec les domestiques), paraît
révélatrice: alors que Robert Altman opte pour la satire mordante et désabusée,
James Ivory, oscillant entre dénonciation et fascination, fait le choix
d'observer avec distance ces personnages et ces "vestiges" du passé.
30.07.13.