mercredi 7 août 2013

La Vie et rien d'autre (1989) de Bertrand Tavernier

Septième collaboration du comédien Philippe Noiret avec le réalisateur Bertrand Tavernier, La Vie et rien d'autre est centré sur le grave sujet des disparus et des soldats inconnus de la Grande Guerre.
 
Fait rare: La Vie et rien d'autre n'est pas un film de guerre, ni un film sur la guerre mais un film sur les conséquences de la guerre. Le film apparait comme l'envers d'un monument aux morts. Dellaplane, le capitaine chargé d'associer des noms à des visages et de constituer des statistiques sur les pertes, dérange et perturbe la vérité officielle. Alors que le gouvernement cherche à tourner la page et décide la célébration d'un soldat inconnu pour incarner les douleurs de la guerre, Dellaplane investigue et conteste les chiffres. Le problème est envisagé sous les différents angles: procédural et juridique (qui sont les disparus ? Les retrouve-t-on ? comment ?), mais aussi politique (dénonciation de l'instrumentalisation de la guerre par les politiques) et économique (les nombreux monuments aux morts font le bonheur d'artistes sculpteurs...).
 
Critique vis-à-vis des états-majors, La Vie et rien d'autre n'est pas pour autant un film antimilitariste: c'est au contraire un hommage à ceux qui sont tombés avec courage pour la patrie. Le film, centré sur la thématique de la mémoire, épouse le combat du personnage de Dellaplane: les morts ne doivent être enterrés à la va-vite mais doivent être traités avec respect et dignité.
 
Côtoyant le macabre (et parfois l'humour noir), La Vie et rien d'autre, comme son titre l'indique, est pourtant un film sur la Vie, ou plus précisément sur le ré-apprentissage de la Vie après la Mort. Le capitaine Dellaplane tombe ainsi amoureux et ce sentiment semble plus l'effrayer que toutes les années de guerre qu'il a endurées. Paradoxal, le personnage se retrouve face à un dilemme: alors que son sens moral l'invite à mener à bien sa mission de mémoire, son besoin d'oublier la guerre et de retourner à une vie normale lui est nécessaire.
 
Pour filmer cette histoire singulière, Bertrand Tavernier opte pour une mise en scène classique. On relèvera l'influence du cinéma de John Ford: le réalisateur montre l'armée comme un univers viril et Dellaplane, évoque les officiers de cavalerie de l'auteur du Massacre de Fort Apache: incarnation de l'armée et de sa contestation même, le capitaine est un faux dur, un amoureux gauche et sensible. Une scène de danse et de gaieté fait également penser aux scènes de bal du réalisateur borgne. Enfin, Tavernier reprend le plan de La chevauchée fantastique et La Charge héroïque où une femme assise dans une voiture regarde l'homme qu'elle aime dans le reflet de son miroir, plan que Tavernier reprendra également dans La Princesse de Montpensier.
 
Tavernier semble particulièrement inspiré par son sujet et son film regorge de trouvailles visuelles. De nombreux décors sont détournés pour souligner le sentiment de désordre dans l'après-guerre: on danse le fox trot dans une église alors que l'état major prend ses quartiers dans un théâtre. Autre idée visuelle: la ressemblance de la vigne que cultive le capitaine Dellaplane à fin du film avec les cimetières militaires qui ont obsédé son esprit. On retiendra surtout de La Vie et rien d'autre une esthétique bleu-gris (celui des costumes militaires, de la campagne française décharnée) qui colore cette fresque triste et glaçante.
 
19.07.13.