Septième collaboration du
comédien Philippe Noiret avec le réalisateur Bertrand Tavernier, La Vie et rien d'autre est centré sur le
grave sujet des disparus et des soldats inconnus de la Grande Guerre.
Fait rare: La Vie et rien d'autre n'est pas un film
de guerre, ni un film sur la guerre mais un film sur les conséquences de la
guerre. Le film apparait comme l'envers d'un monument aux morts. Dellaplane, le
capitaine chargé d'associer des noms à des visages et de constituer des statistiques
sur les pertes, dérange et perturbe la vérité officielle. Alors que le
gouvernement cherche à tourner la page et décide la célébration d'un soldat
inconnu pour incarner les douleurs de la guerre, Dellaplane investigue et
conteste les chiffres. Le problème est envisagé sous les différents angles:
procédural et juridique (qui sont les disparus ? Les retrouve-t-on ? comment ?),
mais aussi politique (dénonciation de l'instrumentalisation de la guerre par
les politiques) et économique (les nombreux monuments aux morts font le bonheur
d'artistes sculpteurs...).
Critique vis-à-vis des
états-majors, La Vie et rien d'autre
n'est pas pour autant un film antimilitariste: c'est au contraire un hommage à
ceux qui sont tombés avec courage pour la patrie. Le film, centré sur la
thématique de la mémoire, épouse le combat du personnage de Dellaplane: les
morts ne doivent être enterrés à la va-vite mais doivent être traités avec
respect et dignité.
Côtoyant le macabre (et
parfois l'humour noir), La Vie et rien
d'autre, comme son titre l'indique, est pourtant un film sur la Vie, ou
plus précisément sur le ré-apprentissage de la Vie après la Mort. Le capitaine
Dellaplane tombe ainsi amoureux et ce sentiment semble plus l'effrayer que
toutes les années de guerre qu'il a endurées. Paradoxal, le personnage se
retrouve face à un dilemme: alors que son sens moral l'invite à mener à bien sa
mission de mémoire, son besoin d'oublier la guerre et de retourner à une vie
normale lui est nécessaire.
Pour filmer cette histoire
singulière, Bertrand Tavernier opte pour une mise en scène classique. On
relèvera l'influence du cinéma de John Ford: le réalisateur montre l'armée
comme un univers viril et Dellaplane, évoque les officiers de cavalerie de
l'auteur du Massacre de Fort Apache:
incarnation de l'armée et de sa contestation même, le capitaine est un faux
dur, un amoureux gauche et sensible. Une scène de danse et de gaieté fait
également penser aux scènes de bal du réalisateur borgne. Enfin, Tavernier
reprend le plan de La chevauchée
fantastique et La Charge héroïque où
une femme assise dans une voiture regarde l'homme qu'elle aime dans le reflet de
son miroir, plan que Tavernier reprendra également dans La Princesse de Montpensier.
Tavernier semble
particulièrement inspiré par son sujet et son film regorge de trouvailles
visuelles. De nombreux décors sont détournés pour souligner le sentiment de désordre
dans l'après-guerre: on danse le fox trot dans une église alors que l'état
major prend ses quartiers dans un théâtre. Autre idée visuelle: la ressemblance
de la vigne que cultive le capitaine Dellaplane à fin du film avec les
cimetières militaires qui ont obsédé son esprit. On retiendra surtout de La Vie et rien d'autre une esthétique
bleu-gris (celui des costumes militaires, de la campagne française décharnée) qui
colore cette fresque triste et glaçante.
19.07.13.