Avec Triple Agent (2004) et Les
Amours d'Astrée et de Céladon (2007), L'Anglaise
et le Duc est l'un des derniers films réalisés par Eric Rohmer. Ce film
historique est centré sur la relation authentique entre le duc d'Orléans et Grace
Elliott, son ancienne maîtresse d'origine anglaise, pendant la période trouble
de la Révolution française.
Une reconstitution d'époque de l'époque. Lorsqu'Eric Rohmer s'est
attaqué à des films historiques, il s'est toujours soucié de la question de la
reconstitution. Alors que dans La
Marquise d’O… (1976), il a reconstitué avec réalisme l’Italie du XIXème
siècle esquissée par le roman éponyme d’Heinrich Von Kleist, dans Perceval le Gallois (1978), il a
retranscrit le Moyen Age selon l'art de l'époque (une naïveté picturale avec
des représentations souvent en deux dimensions ainsi que des perspectives
disproportionnées).
Cette même volonté de déjouer
les anachronismes et de faire "authentique", selon l'art de l'époque,
se retrouve dans L'Anglaise et le Duc.
Ainsi, Rohmer a opté pour des toiles peintes des rues du Paris des années 1790 à
la façon des gravures que l'on trouve au musée Carnavalet. décors extérieurs de
L'Anglaise et le Duc, les rues de
Paris sous la Convention, sont donc des toiles vivantes, où les personnages
traversent l'écran dans des plans fixes et aux perspectives figées. Le
paradoxe, c'est que Rohmer, pour arriver à cette représentation, presque réactionnaire,
fait appel à un procédé moderne, celui des fonds numériques. A plus de 80 ans,
Eric Rohmer explore les nouvelles technologies cinématographiques, et fait de
l'ancien avec du neuf. Si le choix de reconstitution étonne, il véhicule
surtout un sentiment d'artifice et de faux chez le spectateur.
L'épure rohmeriene. Ce vieux Paris de la peinture du XVIIIème semble
faire écho à l'artifice recherché par Rohmer: la musique est absente (sauf
l'air de "Ca ira" qui accompagne le générique, soit une musique...
d'époque, qui confirme le souci d'authenticité du cinéaste), les décors
intérieurs sont tournés en studio et le jeu des comédiens, leurs expressions et
leur diction, paraissent bien théâtraux. En détournant le spectateur de la
recherche du véridique, Rohmer focalise son attention sur l'intrigue et les enjeux
qu'elle met en scène.
Opposant l'Anglaise au Duc,
Rohmer confronte deux différents comportements d'aristocrates face à la
Révolution et à la République naissante: Grace Elliott, plus royaliste que le
Roi, tient en horreur le nouveau régime alors que le Duc d'Orléans fraternise
avec la Convention, quitte à voter en faveur de la mort de son cousin, le roi
Louis XVI. Mais la déroutante audace politique de "Philippe-Egalité",
suspecté de projets contradictoires, s'avérera hasardeuse et les Révolutionnaires
finiront par l'exécuter. La sympathie de Rohmer va de façon explicite du côté
de Grace Elliott et des aristocrates monarchistes: la moralité du Duc paraît
douteuse alors que la Révolution, présentée à l'époque de la Terreur, est un
ramassis d'idiots et de brutes. Grace Elliott, elle, est une femme d'un autre
temps, courageuse et fidèle à ses principes.
Malgré le pari audacieux pour
la reconstitution, L'Anglaise et le Duc ne
convint pas vraiment car le film est parfois si théâtral et artificiel qu'il en
devient bidon et risible. Frôlant le ridicule en raison de leur fâcheuse mais
sincère volonté pour être authentiques, les derniers films de Rohmer (je pense surtout
aux Amours d'Astrée et de Céladon) figurent
sûrement parmi les moins réussis de son auteur.
24.07.13.