Nom incontournable du cinéma
espagnol, Pedro Almodóvar a commencé sa carrière comme étendard de la
"movida", mouvement culturel qui traduit la transition démocratique
du pays après la mort de Franco. Cinéaste cinéphile, Almodóvar parvient à
explorer ses thématiques de prédilection (la liberté ou l’identité sexuelle) à
travers le travail des formes classiques.
Matador apparaît ainsi
comme une réécriture dans les années 80 du cinéma surréaliste du Buñuel de La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz
(1955). Avec son récit cauchemardesque, Matador
relate le destin croisé de trois personnages sexuellement troublés: un jeune
matador impuissant qui s'accuse de viols et de meurtres qu'il n'a pas commis;
son maître, un matador à la retraite depuis un accident, le véritable coupable
car il a besoin de donner la mort "pour continuer à vivre" comme
avant; enfin, une avocate perverse qui assassine ses amants lors du coït,
imitant le rituel tauromachique, et trouvant ainsi dans le vieux matador, son
alter-ego. Traduction de la folie passionnelle et de la fusion totale entre
Eros et Thanatos, Matador baigne dans
un climat morbide et délirant. Avec Matador,
Almodóvar acclimate en fait la culture espagnole (les toreros, le surréalisme)
avec un genre très à la mode aux Etats-Unis dans les années 80 qui est le
thriller érotique.
Tout sur ma mère renvoie
lui au mélodrame hollywoodien des années 50. L'histoire développe une
succession de situations improbables ou extrêmes: une mère décide de révéler à
son fils l'identité de son père le soir de son anniversaire mais celui-ci meurt
suite à un accident de voiture; à la recherche du père, elle se lie d'amitié
avec une jeune sœur catholique, enceinte de ce même homme... Portrait de femmes
(et d'actrices) comme chez Cukor ou Cassavetes, citation du Eve de Mankiewicz (regardé par les
personnages à la télévision), représentation d'un Tramway nommé désir, couleurs vives comme dans le cinéma de Douglas
Sirk: Tout sur ma mère fait autant
référence au mélodrame hollywoodien qu'il en reprend les motifs. En mettant en
scène des personnages outranciers et grotesques de transsexuels et de
prostituées, Almodóvar, qui arrive après la revisitation du mélodrame sirkien
par un cinéaste "trash" comme Fassbinder, va jusqu'au bout du mauvais
goût et du caractère kitsch du genre. Et comme dans le mélodrame américain,
l'artificialité n'étouffe pas l'émotion car, au contraire, et étonnamment,
c'est elle qui la provoque.
20.11.13.