Tourné après La Grande illusion (1937) et La
Marseillaise (1938), La bête humaine
marque les retrouvailles de Jean Renoir avec Jean Gabin (qui jouait déjà dans Les Bas Fonds, 1936). Cette adaptation
du roman d'Emile Zola[1],
située dans la période la plus réputée de la filmographie du réalisateur,
s'inscrit dans le cinéma français de l'époque tout en répondant aux
préoccupations politiques de son auteur.
La bête humaine apparaît ainsi comme un « film noir » au
sens où l'entendait la critique française pour qualifier une série de films
d’avant-guerre, marqués par un pessimisme accablant, tel que Pépé le Moko (1935) de Julien Duvivier, Gueule d’Amour (1937) de Jean Grémillon
ou encore Le Quai des Brumes (1938)
de Marcel Carné. Sous l'influence d'une femme fatale qui le pousse au crime,
Jacques Lantier, cheminot qui conduit la ligne Paris-Le Havre, est un véritable
personnage de film noir, victime du désespoir et de la fatalité. La noirceur
thématique se double d'une noirceur visuelle: les scènes de crime, tournées
dans une nuit de studio, font la part belle aux jeux de lumière expressionisants
qui feront la gloire du film noir américain. La bête humaine ressemble aussi beaucoup au Quai des Brumes de Carné, tourné la même année: l'esthétique est la
même et l'on retrouve des motifs identiques (le personnage de Jean Gabin qui
tombe amoureux d'une femme sous l'emprise d'un homme plus âgé et meurtrier[2]).
Mais comme le souligne Renoir,
citant Zola, le véritable personnage de La
bête humaine est aussi "La Lison", la locomotive que conduit
Lantier. En transposant le récit de Zola dans les années 30, Renoir modernise
l'œuvre de l'auteur de L'Assommoir
dont il partage les opinions socialistes. Les thématiques du réalisme poétique
et du roman réaliste de Zola s'entremêlent pour ne faire qu'un (le poids du
destin, le déterminisme social...). Renoir a voulu suivre son aîné en se
documentant de façon précise sur la vie des cheminots: préfigurant le travail
de l'actors studio, Jean Gabin a suivi un stage auprès d'un mécanicien de
rapides pendant plusieurs semaines afin de rentrer dans la peau de son personnage;
les séquences d'ouverture de La bête
humaine, où l'on suit le train de Lantier de gare en gare et de voie en voie,
sont marqués par un rythme endiablé en même temps qu'une dimension
quasi-documentaire.
01.12.13.
[1] Jean
Renoir avait déjà adapté Zola avec Nana
(1926).
[2]
Dans l'ouvrage de Noël Burch et Geneviève Sellier, La Drôle de Guerre des Sexes dans le cinéma français, cette
situation est identifiée comme la plus vieille du cinéma français des années 30
qu'ils définissent comme "le règne du père".