Débutant sa carrière de
réalisateur en 1975, Alain Corneau prend en quelque sorte la succession de
Jean-Pierre Melville et apporte un souffle nouveau au cinéma policier français.
Après Police Python 357 (1976) et La Menace (1977), le metteur en scène
réalise Série Noire qui est autant un
hommage à la collection de romans noirs de Gallimard qu'une rénovation du polar
en tant que genre.
Série Noire est une adaptation par George Perec d'un roman de Jim
Thompson, auteur américain édité par la fameuse collection de Gallimard[1].
Le récit suit Frank Poupart, minable représentant de commerce, affublé d'un
imper miteux, antihéros typique du film noir. Après avoir perdu sa femme et son
emploi, ce looser se lance dans une entreprise criminelle: pour les beaux yeux
d'une prostituée adolescente, il tue sa maquerelle (qui est aussi sa tante),
lui vole ses économies et abat sur les lieux du crime un pauvre immigré au
chômage, pour faire croire à un cambriolage qui a mal tourné. Accumulant les
emmerdes, il finit par assassiner sa femme avant de se faire voler le butin par
son ancien patron... Pathétique et pleurnichard, Poupart, interprété à fleur de
peau par Patrick Dewaere, connait des accès de folies et des tendances suicidaire.
La spirale cauchemardesque de Poupart rappelle elle le destin fatal du
personnage principal du Détour (1945)
d'Ulmer et de tant d'autres personnages du film noir.
Si la musique lointaine d'un
air de jazz de Duke Ellington évoque un passé révolu, abordé avec nostalgie, Série Noire s'inscrit néanmoins dans la
triste réalité des années 70. La radio passe continuellement les airs enjoués
de disco de l'époque, contrepoint ironique à la tragédie de Poupart. Les
aventures pitoyables de notre héros se déroulent quant à elles dans des paysages
sordides de la banlieue parisienne[2]:
des grands terrains vagues, de froides cabines téléphoniques et des intérieurs
glauques de maisons pavillonnaires au papier peint décoloré... Dans ce monde
froid, Frank Poupart rêve de s'enfuir: malgré son échec, peut être finalement
qu'une autre vie est réalisable avec son nouvel amour. Mais un ultime sarcasme
nous fait penser que son aventure sera aussi courte que dérisoire. Pessimiste, Série Noire de Corneau reprend donc les
archétypes du film noir mais les renouvelles par un ancrage dans le présent.
04.11.13.
[1]
Peu après, Bertrand Tavernier adapte de nouveau Jim Thompson avec Coup de Torchon (1981). L'engouement des
cinéastes français de l'époque pour la série noire s'illustre également avec
l'enthousiasme pour adapter David Goodis: La
lune dans le caniveau (1983) de Jean-Jacques Beneix, Rue Barbare (1984) de Gilles Béhat, Descente aux enfers (1986) de Francis Girod et Sans espoir de retour (1989) de Samuel Fuller.
[2]
La mélancolie de la banlieue est une
thématique récurrente du cinéma français de l'époque, que l'on retrouve dans
les films de Jean-Pierre Melville, ceux de Robert Enrico (Les Aventuriers et Les Caids), La
1000ème fenêtre (1959) de Robert Menegoz, Mélodie
en sous-sol (1962) d'Henri Verneuil, Les Cœurs verts (1966) d'Edouard Luntz, Deux ou Trois choses que je sais d'elle (1967) de Jean-Luc Godard, Le Chat (1971) de Pierre Granier-Deferre,
Elle court, elle court la banlieue
(1973) de Gérad Pirès, Les Valseuses
(1974) de Bertrand Blier, L’Alpagueur (1976) de
Philippe Labro, Buffet froid (1979)
de Bertrand Blier...