Après le tournage de Esther Kahn (2000), Arnaud Desplechin
poursuit sa veine anglaise en adaptant une pièce du dramaturge Edward Bond,
proche des "angry young men". Le projet de Desplechin consiste à
insérer dans le film de fiction, des images de la répétition de la pièce avec
les comédiens[1].
Shakespeare chez les magnats de l'armement. Dans la compagnie des hommes revisite et modernise des motifs de la
tragédie classique. Comme Le Roi Lear,
Henri IV ou d'autres pièces de
Shakespeare, la pièce d'Edward Bond met en scène une lutte pour le pouvoir:
Léo, le fils adoptif d'un industriel, décide de s'affranchir de son père et de
le ruiner afin de mieux le remplacer (instauration d'un conflit œdipien). Prince
moderne, Léo tente de survivre dans une guerre sans merci où l'on règle ses
comptes à coups de stock options, de complots financiers et d'OPA. La violence
de l'intrigue se manifeste par des aspersions de sang: décor de salle de bain
ou corps d'un bébé arrosés de sang. Le trône du roi (le père) est donc convoité
par son fils héritier mais son entreprise est compliquée par la traitrise d'un
bras droit (équivalent du personnage de Iago), la démence d'un domestique (le
fou du Roi) et la bêtise d'un manant. Estimant que la pièce manquait de
personnages féminins, Desplechin y ajoute celui d'Ophélie, une amoureuse qui sombre dans la folie comme dans Hamlet.
Une approche postmoderne. La démarche de Desplechin, qui mélange les
images du film à celles des répétitions, est certes intéressante mais elle
paraît hasardeuse. Quand Al Pacino procédait de la sorte avec Looking for Richard (1996), l'acteur en
profitait pour expliciter le sens de la pièce, pièce par ailleurs classique et
non inconnue du public. Desplechin lui ne se prête que trop peu à l'exégèse et embrouille
une œuvre déjà complexe (en terme d'actions, de personnages) en y ajoutant cette
sorte de distanciation. Peut être que ce qui intéressait Desplechin était
l'idée d'un produit inachevé mais force est d'admettre que le spectateur
préfère le produit fini à l'esquisse... Si la pièce d'Edward Bond séduit, c'est
donc bien la mise en scène de Desplechin qui déçoit. Plus l'auteur de ces
lignes avance dans la connaissance de sa filmographie, moins il est convaincu
par le "style" Desplechin: la longueur importante du métrage (et un
récit qui s'égare parfois dans des intrigues annexes), une certaine pauvreté
visuelle (utilisation excessive des gros plans et de la caméra à l'épaule), un
emploi de la musique extra-diégétique dissonant (ici, une bande-son punk de
Paul Weller, le chanteur de The Jam)... Bref, autant d'éléments qui nous laissent
dubitatifs quant au statut de Desplechin de roi de l'actuel cinéma d'auteur
français...
01.12.13.
[1]
Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » est
composé à 70% d'images du film tourné en pellicule et à 30 %, d'images
numériques tournées pendant les
répétitions. Desplechin a tourné un second film intitulé Unplugged, en jouant
« Dans la compagnie des hommes », composé d'images vidéo
et d'images argentiques dans les proportions inverses du premier film: 30 %
d'images du film et 70 % d'images des répétition.