Un an après la sortie en 2006 de La Trahison de Philippe Faucon et de Mon Colonel de Laurent Herbiet, L'Ennemi intime projette sur l'écran les
horreurs longtemps tabou de la guerre d'Algérie. Combinant les influences de Schoendoerffer
et de Spielberg, Florent-Emilio Siri signe une œuvre où le film de guerre à
l'américaine l'emporte sur la remise en perspective historique ou politique.
Centré sur le quotidien d'une
patrouille française faisant la chasse aux rebelles dans les montagnes, L'Ennemi intime fait penser à La 317ème Section (1965) de Pierre
Schoendoerffer qui se déroulait lors d'une autre guerre coloniale, l'Indochine.
Comme le film de Schoendoerffer, le film de Siri se focalise sur l'amitié entre
un jeune officier idéaliste et un vieux sergent, bourru et désenchanté.
Terrien, le nom du lieutenant interprété par Benoit Magimel, n'est d'ailleurs
pas éloigné de celui du personnage incarné par Jacques Perrin, un certain
Torrens. La guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie sont connexes dans notre
imaginaire: le sergent joué par Albert Dupontel a servi en "Indo";
Schoendoerffer a lui même évoqué l'Algérie dans un autre film (L'Honneur d'un Capitaine).
Florent-Emilio Siri s'inspire
surtout du film de guerre à l'américaine, façon Il faut sauver le Soldat Ryan de Spielberg. Lyrique et violent, L'Ennemi intime est servi par une mise
en scène énergique et grandiose (plans en hélicoptères), un montage nerveux. Le
film n'a pas peur du grand spectacle, des paysages imposants et d'une musique
vibrante. L'action est très présente même si le film n'occulte pas l'aspect
politique.
D'un point de vue historique, le
scénario de Patrick Rotman[1]
commence subtilement en exposant la complexité de la représentation de la
guerre d'Algérie et la multiplication des points de vue sur ce traumatisme
national: les motivations des soldats français et celles des indépendantistes,
les moyens utilisés, la comparaison avec les autres colonies françaises... Le
film donne la parole à un membre du FLN mais propose également la vision d'un
soldat algérien engagé dans l'armée française, dénonçant ainsi une guerre
fratricide.
Par la suite, le trait devient plus
grossier: le jeune officier idéaliste perd son innocence et finit par adhérer
au cynisme de son second. L'ennemi des militaires français n'est pas forcément
le fellagha mais est en eux: les soldats sont rongés par la culpabilité et le
personnage du sergent se soumet lui-même à la torture. Mais "le titre
renvoie [aussi] au fait que l'adversaire est français puisque, à cette époque, l'Algérie, c'est la France"
précise Rotman.
La conclusion de L'Ennemi intime est la présentation de la
guerre d'Algérie comme un Vietnam français. Le film dénonce une guerre perdue
d'avance où des gens sont morts pour rien et où les combattants sont condamnés
à l'horreur et à la folie. Il évoque une sale guerre où la torture était une
méthode fréquente. Le rappel de l'utilisation du napalm en Algérie vient finalement
clouer la comparaison avec le Vietnam. L'Ennemi
intime est donc le passage du vide, du point aveugle du cinéma français à
une vision déjà constituée, calquée sur le cinéma américain.
Le film de Siri généralise (tout le
monde n'a pas torturé en Algérie) et systématise. Mais tout n'est pas aussi
simple: d'autres solutions que l'indépendance pouvaient être envisagées (et
l'ont été). Au contraire, L'Ennemi intime préfère développer
l'action plutôt que de poser des questions pertinentes sur le plan historico-politique
où il apporte des réponses toutes faites.
L'Ennemi
intime suit la même logique qu'Indigènes
(2006) de Rachid Bouchareb, celle visant à un mea culpa de la France pour son
passé colonial. C'est ce que l'essayiste Pascal Bruckner a appelé "le sanglot
de l'homme blanc".
22.09.2012.
[1]
Patrick Rotman a cosigné le scénario de La
Guerre sans nom (1992) de Bertrand Tavernier, un documentaire sur les
appelés en Algérie. Rotman a également réalisé en 2002 un documentaire sur la
Guerre d'Algérie intitulé L'ennemi intime
et qui a donné son titre au film de Siri.