Véritable film culte, Massacre à la Tronçonneuse a fait
l'objet de nombreuses suites et remakes. Œuvre-clef du slasher movie, le film
de Tobe Hooper peut faire l'objet d'une analyse générique mais doit également
être resitué dans son contexte, au sein du cinéma américain des années 70.
I. Etude générique
Un pilier du slasher movie. Au même titre que La Baie sanglante (1971) de Mario Bava ou La dernière maison sur la gauche (1972) de Wes Craven, Massacre à la Tronçonneuse est un film
caractéristique du slasher movie dont il établit les fondements. L'idée est
simple: un groupe de personnes se retrouve dans un lieu hostile (souvent
naturel) et va être l'objet d'une élimination systématique et progressive par
une menace étrangère. Massacre à la
Tronçonneuse peut aussi être considérée comme un "survival",
variante du slasher: seule la jeune Sally parviendra à survivre au cauchemar collectif.
Le groupe de Massacre à la Tronçonneuse compte des
proies privilégiées de ce genre de film: il s'agit des jeunes gens qui
gambadent dans les champs. La bêtise et le désir coupable des ces personnages
leur seront fatales: leur vague appartenance au mouvement hippie (l'habillement
d'un des personnages et leur véhicule, un van, nous le font penser) vient
souligner cette idée. Le groupe comporte également un handicapé en fauteuil
roulant, personnage récurrent du thriller (Fenêtre
sur Cour, 1954, d'Alfred Hitchcock) ou du film d'horreur (Hurler de peur, 1961, de Seth Holt),
dont l'immobilité renvoie à l'impuissance du spectateur. Comme La dernière maison sur la gauche de
Craven, Massacre à la Tronçonneuse comporte
enfin une dose d'ironie, apportée ici par le contrepoint comique de l'utilisation
de la country, musique traditionnelle et enjouée, véritablement décalée au
regard de la violence des tueries qui nous seront montrées.
Les éléments horrifiques. Massacre
à la Tronçonneuse joue sur les peurs primaires du spectateur: la solitude
des personnages, le noir de la nuit, le décors de la maison abandonnée... Classique
du film d'horreur, Massacre à la
Tronçonneuse n'est pas pour autant très original et, constitue au contraire,
un archétype, un film parfois même à la limite de la parodie tant il regorge de
lieux communs: la profanation des sépultures, le spectre du cannibalisme, le
personnage du "hitchhiker", l'inquiétant auto-stoppeur, ou encore la conservation
des cadavres à laquelle se livre la famille de meurtriers.
La tentation du documentaire et de l'expérimentation. L'horreur
provoquée par Massacre à la Tronçonneuse
tient également à son inscription dans une réalité certaine. Le film s'ouvre
ainsi par un texte introductif qui annonce la présentation d'une histoire
vraie. L'action est située tant géographiquement (le Texas) que spatialement
(18 août 1973). La pellicule du film de Hooper est sale, granuleuse, banale et
la caméra, fluide. Si le film d'Hooper est un reflet de l'Amérique traumatisée
par le Vietnam, il est une manifestation des images qu'on ne voit pas, que l'on
cacherait et qui se révélerait enfin au grand jour.
Parallèlement à la tentation
du style documentaire, Hooper lorgne souvent vers l'expérimentation. La bande
sonore alterne en effet une musique et des sons dissonants alors que le montage
haché renvoie au "découpage" qui sévit à l'écran. L'expérimentation
entre son et image trouve son apogée dans le montage morcelé et associant des
plans sur l'œil dilaté et effrayé de Sally avec ses cris.
La peur de l'animal, la peur de la machine Dans Massacre à la Tronçonneuse, l'horreur est
principalement créé par la combinaison de deux peurs: celle de l'animal d'une
part et celle de la machine d'autre part. La première trouve son condensé dans
le personnage de Leatherface, lequel ne s'exprime qu'en poussant des bruits de
cochons (que l'on peut aussi rapprocher à des bruits d'enfants). Son visage grotesque,
constitué de peaux humaines (découpées à partir de ses victimes), rappelle la
bête, le monstre, l'inhumain. Dans son ouvrage Une expérience américaine du chaos, exclusivement consacré au film
de Tobe Hooper, Jean-Baptiste Toret évoque les visages décomposés de Francis
Bacon. Le bestiaire inquiétant est aussi conforté par la présence de poulets
dans la maison de Leatherface. Enfin, l'ignoble meurtrier endosse un tablier de
boucher et accroche ses victimes sur un croc comme pour dépecer les bêtes. La
peur de l'animal se manifeste de façon double: d'une part, la peur d'être
confronté à un animal; de l'autre, celle d'être réduit à un animal, bon pour
être mangé.
Mais comme son titre
l'indique, Massacre à la Tronçonneuse explore
notre phobie de la mécanique, Leatherface tuant ses victimes à la "chain
saw". Comme le souligne Jean-Baptiste Toret, la peur de la machine était
déjà annoncée par divers détails: une station service à sec, un distributeur de
boissons défectueux ou encore un chargeur électrique qui tourne à vide.
II. Lecture politique
Le malaise du Sud, une Amérique malade. Massacre à la Tronçonneuse réutilise la vision classique d'un Sud
des Etats-Unis comme une terre hostile et pervertie. Avant d'arriver à la
maison de Leatherface, la bande de copains rencontre en cours de route des rednecks
crétins et inquiétants qui annoncent le fléau à venir. Le shérif lui-même est alcoolique
et superstitieux. Dans ce Sud proche de celui de Délivrance (1972) de John Boorman, la violence et la stupidité se
confondent et semblent inhérentes au sol aride. Cette vision a donné naissance
à une série de films que l'on regroupe parfois sous le terme d'
"hixploitation": hick ou yokel signifie péquenot. Le climat sudiste
de Massacre à la Tronçonneuse est
plus qu'un simple décor: il s'agit d'un élément supplémentaire pour instaurer
un climat de malaise et de brutalité.
Chaos crépusculaire. Massacre
à la Tronçonneuse véhicule donc une vision d'une Amérique apocalyptique, en
décomposition. La séquence d'ouverture met ainsi en scène des plans de cadavres
momifiés, montés en parallèle avec des plans d'un soleil crépusculaire. La
récurrence de plans sur le soleil brulant (mais aussi les référence à
l'astrologie) vient souligner l'association entre lumière, énergie et mort.
La profanation des sépultures
implique une inversion des pratiques religieuses. Thoret parle de parodie du
sacré: délaissé par le monde moderne, les texans dégénérés se livrent à des
tueries rituelles. Thoret propose une grille de lecture à travers sa théorie de
l'énergie: "le drame de ces
autochtones, anciens ouvriers d'abattoirs aujourd'hui fermés, est le suivant:
la difficulté à bruler le trop plein d'énergie (autrement dit la violence).
Autrefois, c'était facile, il y avait les abattoirs et des centaines de bêtes à
tuer. Mais aujourd'hui sans travail et dépourvus de bovins à occire cloitrés
dans un espace tombeau, répétant depuis des décennies les mêmes gestes,
Leatherface et sa famille consument cette énergie comme ils le peuvent. Ils
profanant les tombes, tuent des animaux, photographient des quartier de viande,
fabriquent de objets macabres. (...)" Le corps humain devient leur
nouveau combustible.
Le miroir violent et absurde de l'Amérique des années 70. Pour le
spectateur des années 70, Massacre à la
Tronçonneuse est le reflet de l'Amérique de l'époque et la violence des
images renvoie à celles du conflit au Vietnam. Les plans de Sally courant et
criant à moitié nue dans la nature nous fait ainsi penser à la célèbre
photographie de Kim Phuc, la petite vietnamienne hurlant de douleur après avoir
été brulée vive.
Malgré quelques références à
la proximité du cadre de l'action à des abattoirs, la barbarie du massacre qui
nous sera montrée restera sans explication. La violence s'avère d'autant plus
insoutenable qu'elle est absurde. Le climat de peur se confond avec celui de la
folie, de l'apocalypse. Cette absence de rationalisation marque une rupture
avec le film d'horreur classique qui se plaît à expliquer les traumatismes ou
les histoires personnelles des protagonistes.
11.10.2012.