jeudi 1 novembre 2012

The Texas Chain Saw Massacre / Massacre à la Tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper



Véritable film culte, Massacre à la Tronçonneuse a fait l'objet de nombreuses suites et remakes. Œuvre-clef du slasher movie, le film de Tobe Hooper peut faire l'objet d'une analyse générique mais doit également être resitué dans son contexte, au sein du cinéma américain des années 70.

I. Etude générique

Un pilier du slasher movie. Au même titre que La Baie sanglante (1971) de Mario Bava ou La dernière maison sur la gauche (1972) de Wes Craven, Massacre à la Tronçonneuse est un film caractéristique du slasher movie dont il établit les fondements. L'idée est simple: un groupe de personnes se retrouve dans un lieu hostile (souvent naturel) et va être l'objet d'une élimination systématique et progressive par une menace étrangère. Massacre à la Tronçonneuse peut aussi être considérée comme un "survival", variante du slasher: seule la jeune Sally parviendra à survivre au cauchemar collectif.
 
Le groupe de Massacre à la Tronçonneuse compte des proies privilégiées de ce genre de film: il s'agit des jeunes gens qui gambadent dans les champs. La bêtise et le désir coupable des ces personnages leur seront fatales: leur vague appartenance au mouvement hippie (l'habillement d'un des personnages et leur véhicule, un van, nous le font penser) vient souligner cette idée. Le groupe comporte également un handicapé en fauteuil roulant, personnage récurrent du thriller (Fenêtre sur Cour, 1954, d'Alfred Hitchcock) ou du film d'horreur (Hurler de peur, 1961, de Seth Holt), dont l'immobilité renvoie à l'impuissance du spectateur. Comme La dernière maison sur la gauche de Craven, Massacre à la Tronçonneuse comporte enfin une dose d'ironie, apportée ici par le contrepoint comique de l'utilisation de la country, musique traditionnelle et enjouée, véritablement décalée au regard de la violence des tueries qui nous seront montrées.
 

Les éléments horrifiques. Massacre à la Tronçonneuse joue sur les peurs primaires du spectateur: la solitude des personnages, le noir de la nuit, le décors de la maison abandonnée... Classique du film d'horreur, Massacre à la Tronçonneuse n'est pas pour autant très original et, constitue au contraire, un archétype, un film parfois même à la limite de la parodie tant il regorge de lieux communs: la profanation des sépultures, le spectre du cannibalisme, le personnage du "hitchhiker", l'inquiétant auto-stoppeur, ou encore la conservation des cadavres à laquelle se livre la famille de meurtriers.

 Sur ce dernier point, le film s'avère héritier du Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock, ancêtre du slasher movie. Tout d'abord, les deux films s'inspirent des tueries d'Ed Gein, un fermier du Wisconsin dont les exactions cannibales furent découvertes en 1957. On retrouve aussi dans les deux films la momification d'un grand parent du tueur. Les murs de la maison de Leatherface chargé d'objets conçus à partir de crânes et d'ossements renvoient enfin à la chambre Norman Bates, remplie d'oiseaux empaillés.
 

La tentation du documentaire et de l'expérimentation. L'horreur provoquée par Massacre à la Tronçonneuse tient également à son inscription dans une réalité certaine. Le film s'ouvre ainsi par un texte introductif qui annonce la présentation d'une histoire vraie. L'action est située tant géographiquement (le Texas) que spatialement (18 août 1973). La pellicule du film de Hooper est sale, granuleuse, banale et la caméra, fluide. Si le film d'Hooper est un reflet de l'Amérique traumatisée par le Vietnam, il est une manifestation des images qu'on ne voit pas, que l'on cacherait et qui se révélerait enfin au grand jour. 

Parallèlement à la tentation du style documentaire, Hooper lorgne souvent vers l'expérimentation. La bande sonore alterne en effet une musique et des sons dissonants alors que le montage haché renvoie au "découpage" qui sévit à l'écran. L'expérimentation entre son et image trouve son apogée dans le montage morcelé et associant des plans sur l'œil dilaté et effrayé de Sally avec ses cris.


La peur de l'animal, la peur de la machine Dans Massacre à la Tronçonneuse, l'horreur est principalement créé par la combinaison de deux peurs: celle de l'animal d'une part et celle de la machine d'autre part. La première trouve son condensé dans le personnage de Leatherface, lequel ne s'exprime qu'en poussant des bruits de cochons (que l'on peut aussi rapprocher à des bruits d'enfants). Son visage grotesque, constitué de peaux humaines (découpées à partir de ses victimes), rappelle la bête, le monstre, l'inhumain. Dans son ouvrage Une expérience américaine du chaos, exclusivement consacré au film de Tobe Hooper, Jean-Baptiste Toret évoque les visages décomposés de Francis Bacon. Le bestiaire inquiétant est aussi conforté par la présence de poulets dans la maison de Leatherface. Enfin, l'ignoble meurtrier endosse un tablier de boucher et accroche ses victimes sur un croc comme pour dépecer les bêtes. La peur de l'animal se manifeste de façon double: d'une part, la peur d'être confronté à un animal; de l'autre, celle d'être réduit à un animal, bon pour être mangé. 

Mais comme son titre l'indique, Massacre à la Tronçonneuse explore notre phobie de la mécanique, Leatherface tuant ses victimes à la "chain saw". Comme le souligne Jean-Baptiste Toret, la peur de la machine était déjà annoncée par divers détails: une station service à sec, un distributeur de boissons défectueux ou encore un chargeur électrique qui tourne à vide.
 

II. Lecture politique

 
Le malaise du Sud, une Amérique malade. Massacre à la Tronçonneuse réutilise la vision classique d'un Sud des Etats-Unis comme une terre hostile et pervertie. Avant d'arriver à la maison de Leatherface, la bande de copains rencontre en cours de route des rednecks crétins et inquiétants qui annoncent le fléau à venir. Le shérif lui-même est alcoolique et superstitieux. Dans ce Sud proche de celui de Délivrance (1972) de John Boorman, la violence et la stupidité se confondent et semblent inhérentes au sol aride. Cette vision a donné naissance à une série de films que l'on regroupe parfois sous le terme d' "hixploitation": hick ou yokel signifie péquenot. Le climat sudiste de Massacre à la Tronçonneuse est plus qu'un simple décor: il s'agit d'un élément supplémentaire pour instaurer un climat de malaise et de brutalité.

 Privilégiant la peur au gore, Massacre à la Tronçonneuse est un film dérageant. La scène la plus pénible du film est sûrement celle où Sally, la dernière victime, se retrouve attachée devant la famille d'assassins, attablée dans la salle à manger. La séquence se présente comme une parodie terrifiante du diner de famille où seraient réunies les différentes générations: avec le portrait de cette famille débile et dangereuse, Hooper nous dévoile que le mal semble être inscrit au plus profond de la société américaine, malade en son sein même.
 

Chaos crépusculaire. Massacre à la Tronçonneuse véhicule donc une vision d'une Amérique apocalyptique, en décomposition. La séquence d'ouverture met ainsi en scène des plans de cadavres momifiés, montés en parallèle avec des plans d'un soleil crépusculaire. La récurrence de plans sur le soleil brulant (mais aussi les référence à l'astrologie) vient souligner l'association entre lumière, énergie et mort. 

La profanation des sépultures implique une inversion des pratiques religieuses. Thoret parle de parodie du sacré: délaissé par le monde moderne, les texans dégénérés se livrent à des tueries rituelles. Thoret propose une grille de lecture à travers sa théorie de l'énergie: "le drame de ces autochtones, anciens ouvriers d'abattoirs aujourd'hui fermés, est le suivant: la difficulté à bruler le trop plein d'énergie (autrement dit la violence). Autrefois, c'était facile, il y avait les abattoirs et des centaines de bêtes à tuer. Mais aujourd'hui sans travail et dépourvus de bovins à occire cloitrés dans un espace tombeau, répétant depuis des décennies les mêmes gestes, Leatherface et sa famille consument cette énergie comme ils le peuvent. Ils profanant les tombes, tuent des animaux, photographient des quartier de viande, fabriquent de objets macabres. (...)" Le corps humain devient leur nouveau combustible.
 

Le miroir violent et absurde de l'Amérique des années 70. Pour le spectateur des années 70, Massacre à la Tronçonneuse est le reflet de l'Amérique de l'époque et la violence des images renvoie à celles du conflit au Vietnam. Les plans de Sally courant et criant à moitié nue dans la nature nous fait ainsi penser à la célèbre photographie de Kim Phuc, la petite vietnamienne hurlant de douleur après avoir été brulée vive.

Malgré quelques références à la proximité du cadre de l'action à des abattoirs, la barbarie du massacre qui nous sera montrée restera sans explication. La violence s'avère d'autant plus insoutenable qu'elle est absurde. Le climat de peur se confond avec celui de la folie, de l'apocalypse. Cette absence de rationalisation marque une rupture avec le film d'horreur classique qui se plaît à expliquer les traumatismes ou les histoires personnelles des protagonistes.

 Ce sentiment d'absurdité rappelle l'incompréhension du peuple américain, sa méfiance de la classe politique après le scandale du Watergate. La dernière scène du film voit ainsi l'un des jeunes parvenir à échapper à Leatherface et sa tronçonneuse: la paranoïa s'empare du spectateur qui se méfie du conducteur qui a recueillie Sally (lorsque cette dernière avait déjà réussi auparavant à s'enfuir, elle avait trouvé refuge chez un autre idiot de la famille). Quant à Leatherface, il tourne en rond, à vide, avec son tronçonneuse, comme s'il s'entrainait: le mal est encore présent et l'injustice encore possible. Tobe Hooper lui-même a conçu son œuvre comme un film empreint par le climat de son époque: Massacre à la Tronçonneuse transcende le film d'horreur pour finalement devenir un film politique.

 

11.10.2012.