Réalisé par l'allemand Tom Tykwer,
réalisateur de Cours Lola, Cours
(1998) et du Parfum (2006), The International est un thriller
paranoïaque dans la lignée des films des années 70 tel que A cause d'un assassinat (1974) ou Les Hommes du Président (1976) d'Alan Pakula. Ce genre trouve en
effet un nouveau souffle dans le cinéma américain contemporain[1].
Tout d'abord, l'atmosphère est la
même que les films des années 70. L'affiche de The International met ainsi en scène des images en split screen. Le
film privilégie les lumières grises du monde urbain, les infrastructures
modernes, spacieuses et déshumanisées. Les décors de The International sont les places publiques, les gares, les
aéroports ou les sièges de grandes entreprises dans d'immenses immeubles en
verre. Les villes favorisées sont les froides capitales du capital: Berlin,
Luxembourg, Paris, Milan et bien sûr, New-York. L'influence de la série des Jason Bourne et celle des James Bond impose cette délocalisation
permanente du récit pour entretenir l'action et signifier
l'internationalisation du réseau maléfique.
The
International ne reprend pas uniquement le cadre des thrillers des
seventies, il en conserve également les motifs principaux, à commencer par les
personnages. Dans le film de Tykwer, le personnage principal est un agent
d'Interpol qui travaille main dans la main avec le district attorney de
New-York pour révéler au grand jour les opérations illégales d'une banque
multinationale spécialisée dans le blanchiment d'argent sale et dans les
agissements douteux dans les pays du tiers-monde. Prêts à tout pour découvrir
la vérité, les deux protagonistes sont des investigateurs acharnés, dans la
lignée des journalistes des Hommes du
Président. Leurs engagements sont tels qu'ils peinent à avoir une vie
privée: l'homme vit seul alors que la femme néglige sa famille.
Les acteurs, eux même, trouvent
particulièrement leurs places dans ce revival du thriller parano: l'anglais
Clive Owen fait penser à Steve McQueen ou à Mel Gibson alors que Naomi Watts, sorte
de sous Nicole Kidman, rappelle l'actrice de L'Interprète de Sidney Pollack. L'un des méchants est interprété
par Armin Mueller-Stahl, ancienne vedette du cinéma de la RDA, réfugié à l'Ouest
dès 1976: son personnage d'agent de la Stasi en quête d'une rédemption évoque le
spectre de la guerre froide mais aussi les méchants nazis du Dossier Odessa (1974) de Ronald Neame ou
de Marathon Man (1976) de John
Schlesinger.
Les enjeux de The International sont les mêmes que ceux du thriller des seventies,
marqué par la dramaturgie de l'échec. En effet, malgré la bravoure des
enquêteurs, le combat s'avère perdu d'avance: l'organisation, tentaculaire et
intouchable, jouit de protections des différents gouvernements, premiers
bénéficiaires des opérations de la banque. Le titre du film lui-même vient souligner
l'ampleur d'un complot mondial. Un climat de paranoïa total s'instaure donc:
les héros ne peuvent pas faire confiance à leurs supérieurs et l'agent
d'Interpol se voit finalement attiré par l'action individuelle, celle de faire
justice lui-même.
La lutte contre un capitalisme fou et
mondialisé paraît dérisoire. Désormais, le privé s'infiltre dans le public
(terreur des "agences" indépendantes et incontrôlables), l'économique
et même la politique. Dans The Constant
Gardener ou dans le dernier Jason
Bourne, l'ennemi est une firme pharmaceutique; dans The International, le mal est incarné par la banque, organisme de
pouvoir qui contrôle tout par la créances des dettes, l'arme des temps
modernes. Il s'agit là d'un "corporate conspiracy thriller", variante
du genre apparue dans les années 70 avec des films comme Network (1976) de Sidney Lumet, Coma
(1978) de Michael Crichton ou encore Le
Syndrome chinois (1979) de James Bridges.
On trouve encore dans The International d'autres motifs du
thriller politique des années 70. Le film de Tykwer trahit en effet l'obsession
de l'assassinat de Kennedy: un homme politique italien se fait assassiner lors
d'un meeting sur une place publique. Il n'y a pas un mais deux snipers comme le
découvrent finalement les protagonistes. Le film s'ouvre également par un
meurtre qui sera revu ultérieurement pour mieux saisir la complexité de l'image
et tenter de cerner l'identité du tueur. La paranoïa s'instaure donc également
par une crise de l'image, une méfiance par rapport à ce que l'on voit.
Produit stéréotypé, The International renouvelle cependant
un peu le genre en développant le volet de l'action. Une fusillade au musée
Guggenheim de New-York apparaît ainsi comme particulièrement impressionnante:
les scénaristes ont joué sur le décor, dont la descente circulaire constitue un
"niveau" d'un gunfight ludique inspiré les jeux-vidéos. Enfin le film
se clôt sur les toits ensoleillés d'Istanbul dans une violence âpre digne des
derniers James Bond[2].
Le dernier plan est typique de l'épuisement final: le visage fatigué de Clive
Owen qui n'a pu satisfaire sa soif animale de vengeance et dans lequel on lit
une nouvelle émotion, celle du doute permanent...
27.09.2012.
[1] L'Interprète
(2005) de Sidney Pollack; The Constant
Gardener (2005) de Fernando Meirelles; Michael
Clayton (2007) de Tony Gilroy; The Sentinel
(2006) de Clark Johnson; Jeux de Pouvoir
(2009) de Kevin McDonald; The Ghost
Writer (2010) de Roman Polanski; Les
Marches du Pouvoir (2010) de George Clooney ou encore la série des Jason Bourne (2002-2012) et donc,
indirectement, celle des James Bond
(2006-2012).
[2] Clive
Owen avait d'ailleurs été envisagé un temps pour prendre la place de Pierce
Brosnan dans le costume de l'agent 007.