Le britannique Sacha Baron Cohen
est le digne héritier de Peter Sellers: roi du déguisement, il s'amuse à créer
des personnages grotesques, aussi bêtes les uns que les autres. Comme l'acteur
de La Panthère rose, Cohen ne craint
pas le ridicule et ose tout: l'outrance, la tarte à la crème, le nu et
l'indécent. Mais Sacha Baron Cohen, comique des années 2000 recherchant le
scandale, va plus loin que son parrain et son humour, trash et potache, est sans
limite. Illustration avec Borat et Brüno, deux films jumeaux du comédien,
réalisés par son comparse américain Larry Charles.
La
création d'un personnage. Les
personnages de Borat et Brüno ont fait d'abord leur apparition dans le Ali G
Show, émission tv dans laquelle a débuté Sacha Baron Cohen. Borat est un Kazakh
moustachu, toujours affublé d'un costume-cravate bleu-gris. Sa famille est
dégénérée: son père est violeur, son frère est retardé mental, sa sœur est la
quatrième prostituée la plus "visitée" du pays et son épouse est une
matrone autoritaire dont la mort accidentelle mettra en joie notre héros! Tous
les habitants de son village sont également des crétins finis. Ils vivent
reclus, dans une société arriérée qui souffre de la pauvreté engendrée par la
tutelle de l'URSS: ils dansent la disco dans les années 2000 et se contentent
de biens électroménagers de seconde qualité.
Vêtu de culottes de loden, Brüno
est un journaliste de mode autrichien et homosexuel. Le personnage représente
un homosexuel caricatural au regard de son habillement et de son comportement
efféminés. La sexualité de Brüno est clairement malsaine: il se livre à des
pratiques sadomasochistes et sa relation avec un nain le mène confins aux de la
pédophilie. A la stupidité et à la maladresse incontestables du personnage,
s'ajoutent un accent germanisant très prononcé ("ah ya", "übber-fashion")
et des relents d'inconscient néo-nazi (il fait un salut fasciste dans un camp
militaire).
Un
même modus operandi. Borat et Brüno embrassent une structure et un ton
identiques[1].
Les deux films s'ouvrent par l'auto-présentation des personnages qui
s'adressent à une caméra opérant un travelling arrière. Borat et Brüno
(récurrence du prénom qui commence par B) sont deux personnages de journaliste
qui, accompagnés d'un assistant, partent aux Etats-Unis pour y découvrir les
mœurs et coutumes. Il en découle des "mockumentaries", c'est-à-dire
des faux documentaires où le spectateur, perdu, ne sait jamais s'il fait face à
la réalité ou à une mise en scène.
Dans les deux cas, Borat et
Brüno sont incapables de comprendre la culture locale et l'humour naît du
décalage manifeste avec les Américains moyens. "Borat, ce sont Les lettres
persanes revues et corrigées par MTV" disaient Les Cahiers du Cinéma à la sortie du film. Les péripéties de Borat et de Brüno sont semblables: désillusion amoureuse et déchéance du
personnage principal (il perd son argent, se dispute avec son compagnon de
route), tentative (pleine bonne volonté) de s'adapter à la culture locale en
prenant des leçons, passage par une conversion religieuse afin de découvrir la
"vérité", rencontre avec des célébrités qui se prêtent au jeu...
Du
politiquement incorrect. Les deux
créations de Sacha Baron Cohen véhiculent des clichés: la première sur les pays
méconnus d'Asie, aux coutumes et aux mœurs jugées arriérées par l'Occident; la
seconde sur l'homosexualité et sur la culture "branchée" berlinoise
en associant mode, électro et homosexualité. Alors que la crétinerie du
superficiel Brüno se caractérise principalement par sa volonté de devenir
"über-famous", le personnage de Borat va plus loin dans les
stéréotypes dégradants: il incarne un pays cruel, raciste, homophobe, sexiste, et
fortement antisémite (ses compatriotes organisent la chasse aux juifs comme un
sport !). Ce n'est pas tout: Borat est atteint de différentes maladies (comme
la syphilis) et a des croyances religieuses hasardeuses (il croit au
"vautour").
L'humour de Sacha Baron Cohen
est à double tranchant: d'un côté, les clichés qu'il réveille nous permettent de
réaliser à quel point ceux-ci sont grossiers; de l'autre, ils ne sont ranimés
que pour mieux faciliter la moquerie. On a ainsi accusé l'humoriste des maux
qu'il est censé combattre (racisme, antisémitisme...).
En fait, ceux qui en prennent
plein la gueule, ce sont surtout les Américains: à l'innocence de Borat et de
Brüno, Cohen oppose tantôt la xénophobie ou le conformisme des habitants du
pays de l'oncle Sam. Et alors que les grotesques personnages de Sacha Baron Cohen
sont ouvertement des clowns[2],
les Américains moyens qui nous sont présentés, puritains et ignares,
apparaissent malheureusement comme bien plus vraisemblables (d'autant plus que
souvent, on ne peut pas parler de jeu d'acteurs mais de réactions authentiques
de "figurants").
Le comique de Sacha Baron Cohen
est volontairement trash et provocateur[3].
Souvent obscènes, les images montrées agressent le spectateur. Borat se fait
inspecter l'anus, il poursuit nu son imprésario obèse dans les couloirs de son hôtel,
montre sa merde à des bourgeois, boit l'eau des toilettes, s'enivre avec de étudiants
sordides... De son côté, Brüno imite la fellation, montre son sexe en érection
faire des tours de 360° sur lui-même, adopte un enfant noir qu'il fait poser
dans une parodie de la crucifixion... La sexualité et la scatologie sont
finalement les deux aspects les plus choquants.
Les bouffonneries de Sacha Baron
Cohen amusent autant qu'elles dérangent. Présentant un personnage très
extravagant, Borat séduit plus que Brüno, qui, basé sur des blagues avec
des ressorts essentiellement sexuels, paraît beaucoup plus trash et bien moins
agréable à regarder. Mais dans l'un comme dans l'autre, le mauvais goût et la
bêtise y côtoient toujours la provocation audacieuse, la critique féroce et
sans concession.
30.07.2012.
[1]
Le dernier film de Sacha Baron Cohen, The
Dictator, reprend encore de nombreux éléments narratifs de Borat et Brüno bien qu'il n'adopte pas la forme du faux documentaire.
[3] Todd Phillips (réalisateur de Very bad Trip et de Date
limite) a participé au scénario de Borat
que le réalisateur devait même réaliser. Jay Roach, réalisateur des Austin Powers, est coproducteur du film.
Ces associations n'étonnent guère au regard de la proximité entre leur humour
trash et celui de Sacha Baron Cohen.