Assistant
réalisateur de Mario Soldati sur Piccolo mondo antico (1941) et de
Ferdinando Maria Poggioli sur Sissignora (1942), Alberto Lattuada est d’abord
associé à la tendance "calligraphique". Il débute sa carrière de réalisateur
en 1943 avec Giacomo l'idealista. Diffusé par la cinémathèque dans le
cadre d’une programmation intitulée « films noirs à l’italienne », Le
Bandit, quatrième film du cinéaste, sorti en 1946, voit Lattuada opérer la rencontre
du néo-réalisme avec le film de gangsters américain.
La
première partie du Bandit est fortement influencée par les méthodes du
cinéma néoréaliste. A la fin de la guerre, deux soldats italiens reviennent
dans leur pays natal après des années de captivité en Allemagne. Trains bondés,
MP’s dans les rues, villes en ruine et pénurie les attendent. Les anciens
combattants, laissés pour compte, sont les premières victimes de la
guerre : ils crèvent la faim mais on refuse de verser leurs pensions. Devant
sa maison bombardée, Ernesto apprend que sa mère est morte[1] ;
errant dans la rue, il découvre que sa sœur se prostitue dans un bordel…
Tournée en décors naturels, cette partie du Bandit évoque les films de
Rosselini ou de De Sica : on y voit des visages las et mal rasés, la
misère et le pessimisme de l’Italie d’après guerre.
Ernesto
commet ensuite un meurtre en essayant de délivrer sa sœur de son souteneur.
Recherché par la police, il trouve refuge chez une chef de gang, interprétée
par Anna Magnani, star du cinéma néoréaliste. Une ellipse audacieuse nous
épargne l’ascension du personnage dans la pègre : il devient l’amant de la
patronne et le nouveau chef de sa bande. Commence alors la seconde partie du Bandit,
influencée elle par le film de gangsters américain.
Ernesto a désormais toute la panoplie du
gangster (chapeau et veste à rayure, sbires inquiétants) et son
interprète, Amedeo Nazzari (aux airs d’Errol Flynn, petite moustache incluse),
contribue à « américaniser » le personnage. Esthétiquement, le film
subit l’influence du noir américain avec des scènes nocturnes privilégiant
les jeux d’ombres. Dramatiquement, Le Bandit comprend quelques unes des
situations et des séquences classiques du genre : on assiste ainsi à la
rivalité entre le chef du gang et un de ses « seconds » alors que le hold
up d’une soirée bourgeoise le soir du 31 décembre fait directement penser au Petit
César.
Le final voit Ernesto traqué par la police dans la
montagne. On n’est pas loin du High Sierra (1941) de Raoul Walsh où les
hauteurs symbolisent un désir d’élévation du gangster qui veut laisser derrière
lui son passé criminel. La symbolique de l’élévation morale du
héros dans les montagnes, lieu de refuge et de liberté, est également héritière
de l’imaginaire des résistants. Car Le
Bandit convoque aussi le mythe du
maquisard : le gangster, dans la société injuste de l’après-guerre,
n’est-il pas le successeur du militant antifasciste ?
Dans la seconde moitié du film, le mélodrame
ressurgit. Ernesto se rachète avant de mourir en prenant sous son aile
protectrice la petite fille de son ancien ami. Cet aspect sentimental convainc
moins que la noirceur du récit. Le plan final, typique du cinéma classique
hollywoodien, traduit visuellement la destinée et les paradoxes du héros :
aux pieds de la montagne, gît Ernesto, abattu par la police; de sa main
ensanglantée, tombe un petit jouet que le brigand avait offert à l’enfant. Le
crime ne paie pas mais Ernesto, qui a choisi l’illégalité pour se révolter
contre l’injuste, a conservé sa pureté.
A mi chemin entre le néo-réalisme et le film de
gangsters américain, le très réussi Bandit de Lattuada bénéficie d’une
mise en scène élégante et d’un scénario classique et concis. Le film s’impose
comme une date dans l’histoire du cinéma policier italien[2].
04.07.12.
[1]
Dans une séquence surprenante où un air d’Ella Fitzgerald est utilisée de façon
très moderne comme contrepoint musical.
[2] Le film fit d’ailleurs délirer Paul
Éluard, spectateur du Festival de Cannes en 1946 où le film fut montré. Le
poète français écrivait ainsi : « On ose montrer dans ce film une
réponse aussi bien à son désir d'un meilleur sort après ses souffrances qu'à
ses rêves érotiques. » (in Office professionnel du cinéma, Cannes,
1946).