Avec
Faust, Alexandre Sokourov
achève une tétralogie centrée sur les effets corrupteurs du pouvoir : les
trois premiers titres étaient consacrés à Hitler (Moloch), Lénine (Taurus)
et Hirohito (Le Soleil). Plutôt que du Faust de Christopher Marlowe, le Faust de Sokourov se veut
une adaptation de l’œuvre de Goethe, même s’il semble faire des emprunts au
roman de Thomas Mann datant de 1947. Mais le drame de Goethe lui-même n’est
qu’une succession de réécritures et ce corpus originel offre donc des formes
diverses, des discours contradictoires.
D’emblée,
le film fait le choix de plonger le spectateur dans la matière philosophique,
dans les réflexions prométhéennes qui font la valeur de ce mythe moderne qu’est
Faust. Le spectateur assiste
péniblement aux élucubrations théoriques du docteur avec le diable : le
film, qui durera plus de 2h, sera donc bavard et les discussions, élaborées et
interminables, sur l’existence de Dieu et les limites du scientisme ne sont pas
faciles à suivre.
Le
spectateur, bercé par le discours incessant et abscons des personnages, se
concentre sur les images marquantes que le film lui propose. Ainsi, le malin,
loin du démon ailé du film de Murnau, prend ici l’apparence d’un repoussant et
grotesque homme-cochon, affublé d’un sexe minuscule au niveau du derrière et
qui se livre aux pires obscénités : le diable défèque dans une église,
embrasse des statues de vierge Marie et immerge son corps nu dans un bain au
milieu de jeunes blanchisseuses. Plus tard, un homoncule monstrueux respirera
dans un flacon trop étroit, incarnation des dangers de la science, tandis
que des sexes, saisis en gros plans, viennent rappeler l’origine de
l’humanité. Dans Faust de Sokourov,
les images parlent plus que toutes les conversations.
L’imaginaire
visuel germanique est convoqué par Sokourov : le cinéaste, recrée les
paysages romantiques de Caspard David Friedrich et les scènes de genre de la
peinture des écoles du Nord: un petit village situé sur le flanc d’une
imposante montagne, un désert de glace et de rocailles, une forêt embrumée et
un enterrement au petit matin, une fenêtre baignant dans la lumière et une
femme qui s'y penche… Les citations de Sokourov sont picturales, son film
fourmille d’un bestiaire insolite, regorge de détails véritablement
pittoresques.
Malheureusement,
la mise en scène s’avère inutilement complexe. Sans justification aucune,
Sokorouv s’amuse tout à déformer le cadre et diffusant en 4 :3 des images
tournées en 16/9. Cette anomalie (maléfique ?) trouble, renvoie probablement
à l’anamorphose, un procédé qui, à l’instar du crâne dissimulé dans les Ambassadeurs d’Holbein, doit induire une
dimension différente, inviter à un déplacement du regard. Ici, il n’y a rien de
caché dans l’image, juste une image indéchiffrable quand elle est tordue, encombrée
quand elle retrouve ses proportions normales. De plus, certains effets agacent comme ce ralenti
nimbé d'une lumière d’un blanc immaculé qui vient naïvement souligner la pureté
de la belle Marguerite.
Le
Faust de Sokorouv a été encensé par la critique. Pourtant, le film n’est
pas loin de l’esbroufe, comptant sur des sentences philosophiques en pagaille
et une incontestable beauté plastique certaine pour impressionner le spectateur.
Mais cet ambitieux Faust parait brouillon, manquant de cette simplification
nécessaire au cinéma. Il ne faut pas déformer l’image, il faut la composer avant,
éventuellement, de la décomposer. La vapeur des geysers sur laquelle se clôt le
film vient rappeler la nature de ce Faust :
fumeuse.
04.07.12.