Avec
La Vie sans principe, Johnnie To
s'écarte des films polars violents qui ont bâti sa réputation. Bien que le film
mette en scène quelques personnages de gangsters, le sujet véritable s'avère l'impact
de la crise économique actuelle dans la société hongkongaise.
La Vie
sans principe ressemble à un film choral à la Robert Altman doté d'un
montage particulièrement audacieux. La chronologie des faits est interrompue à
plusieurs reprises, le récit revenant de façon répétitive à son point de départ
lors d'un changement de point de vue. Plusieurs personnages vont ainsi se
croiser sans jamais se rencontrer : Teresa, une employée de banque; Panther, un
escroc à la petite semaine; et l'inspecteur Cheung, un flic intègre. Un
mystérieux sac contenant cinq millions de dollars volés va bouleverser leurs
vies respectives.
Le titre original du film signifie
"L'or s'empare de votre vie". Dans le Hong Kong en plein marasme
économique et financier, tous les personnages sont cupides et la vie de chacun
ne semble tenir qu'à un fil, le cordon de leur bourse.
Teresa vit sous la peur constante
d'être licenciée: elle travaille jusqu'à très tard le soir et finit par abuser
de la faiblesse d'une personne âgée pour l'inciter à faire un investissement
risqué afin de remplir ses objectifs financiers. Panther peine à récolter assez
de fonds pour payer la caution d’un de ses "frères de sang",
récemment emprisonné: il se retrouve alors plongé dans le monde de la
spéculation boursière dans l’espoir de gagner facilement de l'argent. Quant au
flic, son couple bat de l'aile depuis que sa femme a emprunté pour acheter un
appartement luxueux au-dessus de leurs moyens.
Les personnages annexes sont aussi
obnubilés par l'idée de survivre. Et tous les moyens leur semblent bons: le
frère de Panther recycle du papier usé; un usurier lance une banque de dépôt et
de prêt, fondée sur l'argent liquide; d'autres convoitent l'argent de ce
dernier et sont prêts à le voler et l'assassiner. Même Panther peine à
organiser un banquet pour le patron de la mafia sans se disputer avec le
restaurateur qui essaye de magouiller sur le nombre de places. Avec ses
chemises hawaiiennes et son clignement d'œil maladif, Panther incarne une mafia
grotesque, qui aurait tout perdu de sa superbe. Les seuls gangsters qui s'en
sortent sont les vainqueurs du jeu boursier qui habitent dans des appartements
à la décoration "nouveau riche".
Selon La Vie sans Principe, le secteur bancaire, les bulles immobilières
et le milieu mafieux semblent être les trois vecteurs principaux (et liés entre
eux) de la crise mondiale actuelle. Alors que la banque propose des prêts
impossibles à rembourser, les agents immobiliers font miroiter des appartements
que personne ne peut acquérir. Enfin, la
Bourse achève l'enfermement des hongkongais dans des situations précaires en
imposant un jeu aussi absurde que cruel. Par ailleurs, les gangsters eux même
sont devenus des acteurs à part entière du système boursier. Rien n'est sensé
dans ce monde de paris où la seule règle semble être celle de la survie. Dès
lors, il y a des gagnants et des perdants. Le scénario réconcilie finalement le
couple en péril du policier, comme pour ne pas rester sur une note pessimiste.
Bien que parfois non dénué d'humour,
La Vie sans principe nous présente
une vision sombre et déprimée de Hongkong, violemment touché par la crise.
01.08.2012.