jeudi 16 août 2012

Caccia alla volpe / Le Renard s’évade à trois heures (1966) de Vittorio De Sica


Coproduction italo-britannique signée Vittorio De Sica, Le Renard s’évade à trois heures poursuit la lancée loufoque des films avec Peter Sellers comme La Panthère rose et What’s new Pussycat. Cette comédie décomplexée moque également avec ironie l’industrie cinématographique.


            Dès le début, Le Renard s’évade à trois heures assume la parenté de La Panthère rose (1963). Comme le générique du film de Blake Edwards, celui du film de De Sica est un dessin animé mettant en scène un personnage d’animal rusé qui nargue ceux le traquent. "The Fox" n'est pas un bijou mais un personnage de maître-voleur, spécialiste dans l’art de la fugue et du déguisement, comme le "phantom" dans le film de Blake Edwards ou le "chat" dans La Main au collet (1955) d'Hitchcock[1]. Cette idée du vol remarquable dans un lieu exotique, sur laquelle s'ouvre le film, renvoie à Topkapki (1964) de Jules Dassin.
Le titre avec un animal, la présence de Peter Sellers, une bo entraînante (où Henry Mancini est remplacé par Burt Bacharach, avec une chanson-titre par les Hollies) et une course-poursuite automobile burlesque renforcent la comparaison avec le film de Blake Edwards. Pop et loufoque, Le Renard s’évade à trois heures fait aussi penser à What’s new pussycat: « You Caught The Pussycat...Now Chase The Fox! » propose l’affiche du film.
Comme celle de La Panthère rose, l’action du Renard s’évade à trois heures se passe en Italie. Peter Sellers incarne Aldo Vannuci, alias  “the fox”: le comédien britanique se délecte à jouer les italiens de pacotille avec accent prononcé, jeu de mains exubérant et amour démesuré de la famille. En bon gangster possessif avec sa sœur, le “renard” s’évade de prison pour veiller sur sa frangine (jouée par Britt Ekland, alors épouse de Sellers !)[2], attirée par le monde du show business. De plus, on lui propose une entreprise criminelle: rapatrier en Italie un butin volé au Caire par le vilain Okra (Akim Tamirov, alors présent en Italie pour jouer Sancho Pancha dans le Don Quichotte de Welles).
En raison de son acteur clownesque, le renard a souvent un comportement nigaud mais son personnage reste rusé: son évasion est des plus saugrenues mais des plus inventives. Quant à son plan pour faire passer l’or en Italie, il est également particulièrement ingénieux: le renard se fait passer pour un metteur en scène de cinéma et se sert du prétexte d’un film intitulé “l’or du Caire[3]” pour transporter la marchandise ! 

L'affiche du Renard s’évade à trois heures est assez étonnante: l'histoire est coécrite par Neil Simon, jeune dramaturge américain de Broadway, et Cesare Zavattini, l'un des pères du néoréalisme. Leur malin scénario porte un regard ironique sur l’industrie du cinéma. Le renard prend l’apparence d’un metteur en scène prétentieux et son nom, Federico Fabrizi, fait référence à Federico Fellini. Le semblant de film qu’il tourne est conçu comme une caricature de films d’Antonioni, un film « sur rien», un film sur l’ « incommunicabilité » dans le couple, réduit à deux individus réunis silencieusement autours d'une table[4].
On y définit le cinéma néoréaliste (dans lequel ont œuvré De Sica et Zavattini) comme « pauvre » et le film amateur tourné malgré eux par les bandits est considéré comme un chef d’œuvre par un critique enflammé. De Sica s’amuse jouer son propre rôle de réalisateur sur un plateau de cinecitta où l’on tourne un péplum qui parodie La Bible de John Huston[5]. Cerise sur le gâteau, le (faux) metteur en scène, manipulateur d’une foule de figurants, accepte d’aller en prison pour avoir fait miroité du rêve ! Une sorte d'aveu de la part de De Sica, coupable de proposer aux spectateurs une illusion qui divertit de la réalité.
Revenant de cinq ans de retraite, Victor Mature interprète une vedette américaine sur le déclin, qui tourne des films en Italie, accompagné d’un pathétique impresario campé par Martin Balsam. Le comédien joue de son physique décati et fait preuve d’une autodérision insoupçonnable: son personnage de star cinquantenaire feint de ne pas avoir perdu sa jeunesse et son prestige. Ce personnage illustre la décadence de nombreux acteurs hollywoodiens qui allèrent finir avec tristesse leur carrière dans des productions européennes de seconde zone.


Le Peter Sellers du Renard s’évade à trois heures est en forme et ose tout : il se déguise en curé ou en carabinier, il se balade à poil et s’amuse à faire son numéro de dragueur outré… Dans l'une des séquence les plus saugrenues du film, le fox rentre en contact avec son complice dans un restaurant à touristes: il lui parle à travers une femme qui mime une discussion afin de ne pas éveiller les soupçons ![6] Les aventures burlesques du « fox » divertissent d’autant plus que la mise en abyme audacieuse du cinéma séduit.



27.07.12.






[1] Steven Soderbergh se souvient probablement de ce film quand il nomme le "master thief" de son escapade italienne Ocean's Twelve, The Fox.


[2] Britt Ekland a épousé Peter Sellers en 1964. Il s’étaient rencontré sur le tournage de Carol for Another Chritsmas (1964), tv film réalisé par Joseph Mankiewicz. On retrouve aussi le duo dans The Bobo (1967) de Robert Parrish. Le couple divorce en 1968.


[3] De Sica a tourné un film intitulé L’or de Naples (1954).


[4] Neil Simon voulait à l’origine écrire une parodie de L’année dernière à Marienbad ou de films d’Antonioni. Il s’agit du premier scénario au cinéma de Neil Simon.


[5] Monument du cinéma italien, De Sica fait preuve d'un humour remarquable: dans Nous nous sommes tant aimés (1974) d'Ettore Scola, il apparaît également dans son propre rôle.


[6] Cette idée sera reprise dans Austin Powers in Goldmember (2002) de Jay Roach.