Comme
Obsession (1976) et Body Double (1984), Pulsions est un hommage de Brian De Palma à Alfred Hitchcock, le
maître du suspense. Le film s'apparente à un pastiche, à un exercice de
style : Pulsions fonctionne
comme une extension des scènes-clés et des motifs fondamentaux du cinéma
hitchcockien.
Pulsions fait principalement référence à Psychose (1960). Comme dans le film d'Hitchcock, un personnage
féminin se fait assassiner dès la première demi-heure, allant à l'encontre des
attentes du spectateur qui pensait avoir affaire au personnage principal. Comme
dans Psycho, la femme va trouver la
mort en se faisant poignarder sauvagement dans un lieu clos: ici un ascenseur
vient remplacer la salle de bain. Mais De Palma, obsédé par les tueries de
Norman Bates, s'amuse par ailleurs à revisiter la fameuse scène de la douche,
au début et à la fin du film, jouant sur la connaissance que le spectateur a de
Psychose.
Comme Hitchcock dans Psychose toujours, De Palma trouble les
pistes sur l'identité du tueur: on nous le montre sous l'apparence d'une femme
mais en réalité, il s'agit d'un psychopathe schizophrène, d'un adepte du
travestissement. Il n'est autre que le psychiatre de la victime et son
interprétation par Michael Caine confirme son personnage cinématographique à la
sexualité troublée: son physique (cheveux bouclés et regard attentionné) un peu
efféminé lui a valu de jouer à deux reprises des hommes aux tendances
homosexuelles dans Piège mortel (1982)
de Sidney Lumet et dans le remake du Limier
par Kenneth Branagh en 2007.
Tel Norman Bates, le tueur de Pulsions souffre de schizophrénie et
finira par être interné dans un asile de fous. Mais avant cela, De Palma aura
usé des procédés déloyaux. Comme dans Psychose
où Norman Bates imitait hors champ la voix de sa mère défunte, De Palma
manipule le spectateur, se joue de lui, en montrant des images mensongères:
dans Pulsions, le psychiatre écoute
les messages du tueur sur le répondeur de son téléphone alors qu'il s'agit
d'une seule et même personne !
Le personnage du psychiatre et
le titre français du film viennent souligner l'importance de la psychanalyse,
matière déjà chère à Hitchcock. Pulsions
est un film extrêmement sexué, un film sur le désir, aux relents puritains.
Ainsi, la femme du début est une bourgeoise new-yorkaise insatisfaite par sa
vie conjugale: la scène d'ouverture, un rêve érotique du personnage, est suivie
par une séquence de sexe crue et sans passion. Notre bourgeoise va alors chercher
son bien-être ailleurs et coucher avec un inconnu, rencontré au musée, dans une
séquence virtuose qui revisite celle de Sueurs
Froides où Madeleine contemple le portrait de Carlotta.[1] Mais, à peine son
plaisir sexuel sera-t-il comblé qu'elle trouvera la mort...
La séquence du musée est à ce
titre révélatrice : un plan bref chez Hitchcock devient un plan-séquence
aussi virtuose qu’interminable chez De Palma. Chaque scène revisite le cinéma
d’Hitchcock, le prolonge, le modifie, l’allonge, le dilate. Le film de De Palma
veut susciter un plaisir cinéphile de la répétition, de la variation. Ce cinéma
va jusqu'à l'épuisement des formes (le film compte presque trois remakes de la
scène de la douche de Psychose), il
recherche la jouissance, l'extase. Ce plaisir de spectateur est renforcé par
une mise en scène exquise, une caméra constamment en mouvement et une musique
lyrique.
De Palma réussit son pari, celui
d'égaler le maître du suspens dans la création d'un climat de peur et de tension:
le spectateur, qui sait ce qui l'attend, est continuellement agrippé sur son
fauteuil, toujours sur ses gardes. Mais si l'exploration du cinéma d'Hitchcock
révèle le fort impact des images terrifiantes créées par "Hitch" dans
notre imaginaire, le cinéma de De Palma s'avère un souvenir obsessionnel et
maladif, qui tourne en boucle. Tout le paradoxe de De Palma est là: le cinéaste
se livre à une compétition un peu vaine, à un pur exercice formel.
On trouve dans Pulsions des thématiques déjà ébauchées
chez Hitchcock (je pense au voyeurisme de Fenêtre
sur Cour) mais devenues centrales dans le cinéma américain des années 70,
marqué par le spectre des scandales politiques. Le fils de la bourgeoise
assassinée, un amusant adolescent bricoleur, un « geek » avant
l’heure, s’inspire de De Palma lui-même. Le personnage veut retrouver
l'assassin de sa mère parce qu'il a déjà perdu son père à la guerre du Vietnam.
Ce rappel des blessures du conflit inscrivent le film dans une époque troublée.
Dans son enquête menée avec la complicité d’une escort
girl qui a été témoin du meurtre, le jeune homme se prête à des écoutes pour
suivre l’avancée des travaux de la police. De même, il espionne le psychiatre
en filmant l'entrée de sa maison: le cinéma, sensé enregistrer la vérité, sensé
permettre une surveillance, s’avère incapable de montrer la vérité. L’image du
coupable ne suffit pas à donner son identité, il faut pour cela questionner le
film, l’interpréter. C’est également le cas de cette autre image traumatique,
celle du reflet du tueur dans le miroir de l’ascenseur, qui va aiguiller
l’enquête sur une fausse piste (ce n’est pas une femme mais un homme).
Film cinéphile, construit autour d’Hitchcock, Pulsions trahit donc également les
craintes de la société américaine dans les années qui suivirent l’assassinat de
Kennedy, une société obsédée par les images en même temps persuadée qu’elles ne
recèlent pas la réalité. Brian De Palma parvient ainsi à dépasser les limites
de sa re-visitation et l’inévitable manque de créativité qu’elle implique. Le
réalisateur devait se libérer de l’influence d’Hitchcock avec son film suivant,
le thriller paranoïaque Blow Out (1981),
centré sur la question de la crise de la représentation.
13.08.2012.
[1] Psychose et Sueurs
froides ne sont pas les seuls films cités par De Palma. Comme Cay Grant
dans La Mort aux
Trousses, Nancy Allen récupère le couteau des mains de l'assassin et est sur
le moment accusée du meurtre.