Le
plaisir que procure la vision des films de la fratrie Podalydès vient du fait
que Bruno et Denis nous tendent le miroir de nos existences familiales très
communes. Dieu seul me voit (1998) et
Liberté Oléron (2001) dressaient avec
tendresse le portrait d’un père de famille quarantenaire dépassé par la
vie et par ses responsabilités. Le dernier film en date du duo, Adieu Berthe, l’enterrement de Mémé,
présente des personnages et des situations d’une banalité similaire, et traduit
une plaisante continuité.
Dans Adieu Berthe, Denis Podalydès est Armand,
un pharmacien de Chatou, dans les Yvelines. Un rien lunaire, le crâne dégarni,
il parcourt la ville en trottinette électrique. Il échoue à communiquer avec
son geek de fils ainsi qu’avec son père (amusant Pierre Arditi), un malade d’Alzheimer
qui ne pense qu’à boire. Le cœur d’Armand est partagé entre deux femmes :
d’un côté, il ne veut pas quitter son épouse (touchante Isabelle Candelier)
parce qu’il l’aime encore et parce qu’il vit au crochet de sa belle
famille ; de l’autre, il a une maîtresse fantasque et envahissante
(Valérie Lemercier, toujours aussi épatante). Incapable de prendre une
décision, cet éternel adolescent vit dans le compromis mais se réfugie dans des
illusions. La mort de Berthe, sa mémé, va bouleverser son quotidien et mettre
en péril l’équilibre de cette double vie.
Les
frères Podalydès, auteurs d’un cinéma subtil, fait de détails, jettent un regard
ironique sur le trivial, s’amusant des emmerdes d’Armand et riant de ses
textos. Bien sûr, ils moquent le débat récurrent dans notre société entre
incinération et enterrement mais surtout, ils s’en donnent en particulier à
cœur joie pour tourner en dérision l’univers sordide des pompes funèbres et le
caractère grotesque de ces moments douloureux que sont les enterrements. Les
Podalydès critiquent la marchandisation de la mort : « dead
line » pour l’achat de pierres tombales, revente de cercueils sur ebay,
urnes qui ressemblent à des thermos, enterrements cheap ou cérémonie de luxe
avec bières « high tech » et éclairages « twilight »
spectaculaires. Michel Villermoz, coutumier de bande Podalydès, use de son
physique et de sa diction étrange étranges pour incarner un grand maître de la
mort, tout de noir vêtu.
Derrière
la comédie d’humour noir, Adieu Berthe
recèle des interrogations plus profondes. Que laisse un individu à sa mort ?
Que savons-nous de nos ascendants ? Cachottière, Mémé Berthe emporte bien
des secrets dans sa tombe. Mais, au terme de ces quelques jours drolatiques de
préparation de l’enterrement, Armand retient une leçon de sa vieille grand
mère : il faut ré-enchanter la vie, donner à chaque jour un peu de magie.
Berthe, en son temps, avait espéré partir avec un prestidigitateur. Armand,
lui, fait des tours de magie pour épater la fille de sa maitresse et tient
probablement cette passion de son aïeule. Acceptant d’illusionner (et de s’illusionner),
Armand refusera finalement de choisir entre ses deux amours et promettra, en un
brillant tour de passe-passe, à chacune de revenir… La vie, un peu absurde, souvent
grotesque, doit être transformée par l’illusion, nous dit Adieu, Berthe. Comme dans un tour de magie, il faut briller avant
de disparaître. Il faut faire de son cercueil une malle des Indes.
Toujours très juste, Adieu
Berthe, l’enterrement de Mémé émeut par son regard tendre et
moqueur. Il touchera d’autant plus le spectateur si celui-ci a déjà vécu la
mort d’un proche et l’embarras d’un enterrement.
26.06.12.