mardi 3 juillet 2012

Written on the Wind / Ecrit sur du vent (1956) de Douglas Sirk

Avec Le Secret magnifique (1954), Tout ce que le Ciel permet (1956) et Le Mirage de la Vie (1959), Ecrit sur du vent constitue l’un des sommets de la série de mélodrames tournés par Douglas Sirk pour la Universal. Ecrit sur du vent fonctionne comme« les Oreste au Texas », comme une version populaire de la tragédie dynastique. Si la notion de mélodrame est évolutive, le cinéma hollywoodien aime la syntaxe du «  family melodrama » qui s’est fixée, consolidée dans les années 50 : tout particulièrement Géant (1955, George Stevens) ou Celui par qui le Scandale arrive (1960, Vincente Minnelli), annoncent, au même titre que Ecrit sur du Vent les soap-operas que sont Dallas (1978-1991) ou Dynasty (1981-1989)[1]
L’action se situe dans le Texas des riches propriétaires qui ont bâti leur fortune dans l’exploitation du pétrole. La famille Hadley est l’incarnation même de cette caste oisive, persuadée que tout s’achète, à commencer par l’amour. Le père a ainsi perdu l’autorité sur ses deux enfants malheureux: Kyle, le fils playboy et alcoolique, connaît une vie de débauche et d’insouciance; sa fille Marylee[2], une aguicheuse blonde platine, s’avère être une véritable nymphomane. Les deux personnages ont suscité tout l’intérêt de Sirk.
Le drame social se double donc d’une tragédie familiale aux relents œdipiens. Ainsi, le père Hadley trouve dans le personnage de Mitch, l’ami d’enfance de Kyle, le fils qu’il n’a jamais eu : un homme modeste, sérieux et travailleur, c’est-à-dire tout l’opposé de sa véritable descendance. Les deux amis vont se disputer la même femme, Lucy, qui préfère se marier avec le fils indigne. Mitch, en bon martyr, endure toutes les ignominies de la famille Hadley. L’opposition manichéenne entre le bon et le mauvais fils culminera en un inévitable bain de sang. La dimension épique du film se retrouvera in extremis atténuée par une intrigue criminelle.
Ce résumé schématique permet de comprendre les ficelles du scénario proposant des figures archétypales (voitures de sport et grande bâtisse pour symboliser la réussite, l’accomplissement dérisoire du rêve américain) et des motifs rabâchés (à commencer par « l’argent ne fait pas le bonheur »). En tant que genre, le mélodrame peut être caractérisé par l'emphase du style, l'exacerbation des émotions et le schématisme des ressorts dramatiques et l’on retrouve tous ces éléments dans le très lyrique Ecrit sur du Vent.
Comme souvent chez Sirk, la violence des situations et des relations trouve un reflet dans la flamboyance des couleurs, les apparences trompeuses trouvent un écho dans  l’artifice manifeste du film. Des fissures profondes, honteuses hantent l’Amérique d’Ecrit sur du Vent : Kyle souffre de son impuissance sexuelle, métaphore ironique du mal-être de sa classe, « puissante » économiquement. Ce lien entre sexualité et richesse, cette adhésion aux « sexual politics », est renforcé par la forme phallique de la maquette du derrick qui orne le bureau du père. La critique sociale se mélange avec la pitié, les riches n’ayant jamais eu ce dont ils ont vraiment besoin : l’Amour. Rejetant la violence[3] et la décadence de la haute société, Sirk distille un message conservateur et compatit même avec les protagonistes, nostalgiques de leur innocente jeunesse.

Ecrit sur du Vent apparaît donc comme l’aboutissement du mélodrame sudiste[4]. Le film est caricatural et c’est pour cette raison même qu’il plait paradoxalement au spectateur, soit qu’il accepte de le vivre au premier degré, soit qu’il en jouisse au second degré.

12.06.12.


[1] Dans lequel joue Rock Hudson. Il s’agit de son dernier rôle.
[2] L’interprétation de Dorothy Malone fut récompensée par l’oscar de la meilleure actrice de second plan. Furent également nominés Robert Stack et la chanson des Four Aces qui ouvre le film.
[3] La violence et la passion trouvent un répondant dans la nature déchaînée (cf. le magnifique titre du film, « écrit sur du vent »). On retrouve cette adéquation entre la passion et la nature dans d’autres films de Sirk : Tout ce que le ciel permet et Le Temps d’aimer et de mourir.
[4] Le film est adapté d’un roman de Robert Wilder, l’auteur de Flamingo Road, autre mélodrame sudiste, adapté par Michael Curtiz en 1949.