Avec
Le Secret magnifique (1954), Tout ce que le Ciel permet (1956) et
Le Mirage de la Vie (1959), Ecrit
sur du vent constitue l’un des sommets de la série de mélodrames tournés
par Douglas Sirk pour la Universal. Ecrit sur du vent fonctionne comme« les Oreste au
Texas », comme une version
populaire de la tragédie dynastique. Si la notion de mélodrame est évolutive, le
cinéma hollywoodien aime la syntaxe du « family melodrama » qui s’est
fixée, consolidée dans les années 50 : tout particulièrement Géant (1955, George Stevens) ou Celui par qui le Scandale arrive
(1960, Vincente Minnelli), annoncent, au même titre que Ecrit sur du Vent les soap-operas que
sont Dallas (1978-1991) ou Dynasty (1981-1989)[1]
L’action
se situe dans le Texas des riches propriétaires qui ont bâti leur fortune dans
l’exploitation du pétrole. La famille Hadley est l’incarnation même de cette
caste oisive, persuadée que tout s’achète, à commencer par l’amour. Le père a
ainsi perdu l’autorité sur ses deux enfants malheureux: Kyle, le fils
playboy et alcoolique, connaît une vie de débauche et d’insouciance; sa fille
Marylee[2],
une aguicheuse blonde platine, s’avère être une véritable nymphomane. Les deux
personnages ont suscité tout l’intérêt de Sirk.
Le
drame social se double donc d’une tragédie familiale aux relents œdipiens.
Ainsi, le père Hadley trouve dans le personnage de Mitch, l’ami d’enfance de
Kyle, le fils qu’il n’a jamais eu : un homme modeste, sérieux et travailleur,
c’est-à-dire tout l’opposé de sa véritable descendance. Les deux amis vont se
disputer la même femme, Lucy, qui préfère se marier avec le fils indigne.
Mitch, en bon martyr, endure toutes les ignominies de la famille Hadley.
L’opposition manichéenne entre le bon et le mauvais fils culminera en un inévitable
bain de sang. La dimension épique du film se retrouvera in extremis atténuée
par une intrigue criminelle.
Ce
résumé schématique permet de comprendre les ficelles du scénario proposant des
figures archétypales (voitures de sport et grande bâtisse pour symboliser la
réussite, l’accomplissement dérisoire du rêve américain) et des motifs rabâchés
(à commencer par « l’argent ne fait pas le bonheur »). En tant que
genre, le mélodrame peut être caractérisé par l'emphase du style,
l'exacerbation des émotions et le schématisme des ressorts dramatiques et l’on
retrouve tous ces éléments dans le très lyrique Ecrit sur du Vent.
Comme
souvent chez Sirk, la violence des situations et des relations trouve un reflet
dans la flamboyance des couleurs, les apparences trompeuses trouvent un écho
dans l’artifice manifeste du film. Des fissures
profondes, honteuses hantent l’Amérique d’Ecrit
sur du Vent : Kyle souffre de son impuissance sexuelle, métaphore
ironique du mal-être de sa classe, « puissante » économiquement. Ce
lien entre sexualité et richesse, cette adhésion aux « sexual
politics », est renforcé par la forme phallique de la maquette du derrick
qui orne le bureau du père. La critique sociale se mélange avec la pitié, les
riches n’ayant jamais eu ce dont ils ont vraiment besoin : l’Amour.
Rejetant la violence[3]
et la décadence de la haute société, Sirk distille un message conservateur et
compatit même avec les protagonistes, nostalgiques de leur innocente jeunesse.
Ecrit sur du Vent apparaît donc comme l’aboutissement du mélodrame
sudiste[4].
Le film est caricatural et c’est pour cette raison même qu’il plait
paradoxalement au spectateur, soit qu’il accepte de le vivre au premier degré,
soit qu’il en jouisse au second degré.
12.06.12.
[2] L’interprétation de Dorothy Malone
fut récompensée par l’oscar de la meilleure actrice de second plan. Furent
également nominés Robert Stack et la chanson des Four Aces qui ouvre le film.
[3] La violence et la passion trouvent
un répondant dans la nature déchaînée (cf. le magnifique titre du film,
« écrit sur du vent »). On retrouve cette adéquation entre la passion
et la nature dans d’autres films de Sirk : Tout ce que le ciel permet
et Le Temps d’aimer et de mourir.
[4] Le film est adapté d’un roman de
Robert Wilder, l’auteur de Flamingo Road, autre mélodrame sudiste,
adapté par Michael Curtiz en 1949.