Assistant
réalisateur d’Alessandro Blasseti ou de Mario Camerini, Mario Soldati passe à
la réalisation à la fin des années 30. Au début des années 40, il initie le
courant calligraphique avec Le Mariage de minuit (Piccolo mondo
antico) (1941) et Malombra (1942), tous deux adaptés du romancier
Antonio Fogazzaro. Coproduction italo-britannique Rapt à Venise porte
la marque de Graham Greene, grand ami de Mario Soldati. Il faut dire que le
récit trouve son origine dans un texte auto-parodique écrit par Greene pour un
concours de nouvelles. On y trouve donc, sans surprise et jusqu’à la
caricature, tous les ingrédients qui caractérisent l’œuvre du romancier
anglais.
A la façon de Première Désillusion, Rapt à Venise prend pour héros un
petit
garçon abandonné qui se trouve mêlé à une intrigue criminelle : ici, le
jeune Roger, âgé d’une dizaine d’années, est à la recherche de son père,
kidnappé par des espions yougoslaves. Sans surprise, le spectateur est obligé de compatir
avec le gamin prisonnier d’un consulat et séparé de ses parents et
confronté au monde des adultes.
Comme dans Le Troisième Homme, le récit
se déroule dans une ville intrigante, plaque tournante de l’espionnage et
théâtre de l’affrontement silencieux entre les blocs : les canaux étroits de
la cité des doges ont pris la place des ruelles de Vienne. A la façon de Carol Reed,Mario Soldati a fait
le choix de tourner en décors naturels, ce qui rend le film d’autant plus
vivant et plus spectaculaire. Le parallèle entre Rapt à Venise et Le troisième
Homme est par ailleurs renforcé par la présence d’Alida Valli, encore une
fois dans un rôle de réfugiée meurtrie par la vie, et Trevor Howard, de nouveau
dans un personnage de « major ».
Enfin,
comme dans Un Américain bien tranquille,
le film se livre à une confrontation entre deux conceptions de la foi catholique:
le père séquestré, le major Court vient incarner une vision optimiste de l’existence,
basée sur une foi profonde, une confiance déraisonnée dans la vie ; à
l’opposé, son geôlier, le docteur Vivaldi, joué par le vétéran hollywoodien
Eduardo Ciannelli, est un pascalien convaincu, exprimant l’obligation de faire
des choix rationnels, se rangeant dans le camp communiste parce qu’il voit tous
les signes du déclin de l’Occident[1].
La confrontation philosophique se pose d’emblée en des termes théoriques, abstraits
et le spectateur, très vite renonce à comprendre.
Dans
une Italie profondément communiste, le film suscita la gêne : la
« main de l’étranger » ne désigne pas seulement la main du docteur
Vivaldi, généreusement et sincèrement tendue au petit Roger mais aussi la
responsabilité des services secrets yougoslaves opérant sur le sol italien et
kidnappant des ressortissants britanniques pour les emmener, drogués, vers leur
patrie.
Prenante
et bien menée, cette variation de Graham Greene sous le ciel de l’Italie
s’avère un divertissement volontiers incohérent
mais plaisant.
14.06.12.