Tinto Brass, connu pour Salon Kitty (1974) ou Caligula (1976), est réputé comme un
réalisateur de films érotisant, un « esthète de la chair »[1].
Avant sa période rose, Tinto Brass œuvra dans le cinéma italien
« mainstream ». Archiviste à la Cinémathèque française à la fin des
années 50, Brass arrive dans le milieu du cinéma lors de l’émergence de la Nouvelle Vague.
Après avoir assisté Rosselini ou Cavalcanti, Brass réalise Chi Lavora e perduto, son premier long métrage, en 1963, que l’on
dit fort influencé par les films des jeunes Turcs. Nous avons vu son quatrième
film, En cinquième vitesse, film en
osmose avec son temps et le premier d’une série de films tournés à Londres[2].
En
Cinquième vitesse
est avant tout une variation, presque une parodie, sur des motifs du cinéma de
genre et du roman de gare.[3]
En Cinquième vitesse présente une
situation cauchemardesque, digne du film noir américain, avec un homme qui se
retrouve impliqué dans une histoire qui le dépasse : Bernard découvre un
soir le cadavre d’un patron de night-club londonien, croit en l’innocence d’une
jeune fille présente sur les lieux du crime et décide de la suivre dans sa
fuite. Avec son imper, Bernard joue donc les détectives privés. Un des décors
regorge d’ailleurs de photographies de stars hollywoodiennes dont, une, bien
mise en évidence, d’Humphrey Bogart, l’immortel interprète de Philip Marlowe. Comme
dans les romans noirs de Chandler, justement, Bernard se balade dans les
différents strates de la société : son amante est issue d’un milieu
bourgeois mais son enquête va aussi le conduire dans des quartiers misérables
en périphérie.
Comme le protagoniste, le spectateur
se perd dans l’intrigue et on assiste avec plaisir à des scènes
attendues : découverte de macchabée dans un appartement trop calme, matraquage
et réveil groggy du héros, kidnapping, course-poursuite… Les méchants eux-même
sont caricaturaux que ce soit un noir inquiétant ou le nain amateur de croches
pieds. La conclusion révèle la culpabilité de la maîtresse : pauvre poire,
Bernard aurait du retenir les leçons de Marlowe et se méfier des jeunes filles trop
belles. En jouant avec ironie sur les codes du récit
criminel, savoureusement érotique[4], En Cinquième vitesse est proche des films de
Robbe-Grillet dont on retrouve le Jean-Louis Trintignant de Trans-Europ Express.
Mais le film évoque surtout le cinéma
de Jean-Luc Godard pour le jeu avec la pop culture et les inserts de textes de BD[5]
mis en exergue avec l’action. Brass reprend la scène de Pierrot le Fou où un couple discute dans une voiture, filmée sous
la lumière des lampadaires et des phares reflétés par le pare-brise. De même, le montage est fragmenté, le
ton, libre et volontiers comique. Proche de la Nouvelle Vague , En Cinquième vitesse est bien un film de
son temps : la BO
d’Armando Trovaioli mélange jazz et pop, l’action est située dans le Swinging London
et on assiste même au « 14 Hour Technicolor
Dream Happening »
(que l’on voit aussi dans Tonite
let’s all make love in London de Peter
Whitehead). En Cinquième vitesse surfe ouvertement sur le succès de Blow up qu’il évoque ouvertement :
un des personnages est un photographe de mode, Bernard cite lui-même Antonioni
et on aperçoit à un moment l’affiche du film !
Le fait que Bernard, le
protagoniste, soit comédien s’avère riche de sens. Jouant de sa froideur et de
son comportement de séducteur impulsif, Bernard mélange la réalité avec la
fiction. On voit d’ailleurs à plusieurs reprises un plan de Bernard qui regarde
à travers une lucarne. Bernard semble s’inventer son propre cinéma, son propre
film dans lequel il jouerait un héros déterminé et mystérieux. Cette mise en
abyme du cinéma approfondit le thème du voyeurisme très présent dans le film et
qui rapproche En Cinquième vitesse des
bizarreries perverses du giallo.
Le très rare En Cinquième vitesse, faux film de genre à la Godard et vraie variation
sur Blow Up, marque la rencontre
entre le cinéma d’exploitation et les expérimentations de l’avant-garde et donne
envie de découvrir la filmographie de Tinto Brass.
03.07.12.
[1] Pour reprendre la terminologie d’un
hommage rendu à Brass par la Cinémathèque française en 2002 et intitulé
« l’éloge de la chair ».
[3] Le titre italien lui-même, ‘col
cuore in gola’, c’est-à-dire ‘la peur au ventre’ renvoie aux polars de deux
sous.
[4] L’actrice est la suédoise Ewa
Aulin, Miss Teen Sweden 1965. Il s’agit de son premier film. Elle tiendra par
la suite le rôle titre de Candy
(1968) de Christian Marquand. Elle retrouvera Trintignant dans La Mort a pondu un œuf (1968) de Giulio Questi.
[5] Les bandes dessinées sont l’œuvre
de Guido Crepax, grand nom des fumetti érotiques et créateur de Valentina.