jeudi 12 juillet 2012

Col Cuore in Gola / En Cinquième vitesse (1967) de Tinto Brass

Tinto Brass, connu pour Salon Kitty (1974) ou Caligula (1976), est réputé comme un réalisateur de films érotisant, un « esthète de la chair »[1]. Avant sa période rose, Tinto Brass œuvra dans le cinéma italien « mainstream ». Archiviste à la Cinémathèque française à la fin des années 50, Brass arrive dans le milieu du cinéma lors de l’émergence de la Nouvelle Vague. Après avoir assisté Rosselini ou Cavalcanti, Brass réalise Chi Lavora e perduto, son premier long métrage, en 1963, que l’on dit fort influencé par les films des jeunes Turcs. Nous avons vu son quatrième film, En cinquième vitesse, film en osmose avec son temps et le premier d’une série de films tournés à Londres[2].

En Cinquième vitesse est avant tout une variation, presque une parodie, sur des motifs du cinéma de genre et du roman de gare.[3] En Cinquième vitesse présente une situation cauchemardesque, digne du film noir américain, avec un homme qui se retrouve impliqué dans une histoire qui le dépasse : Bernard découvre un soir le cadavre d’un patron de night-club londonien, croit en l’innocence d’une jeune fille présente sur les lieux du crime et décide de la suivre dans sa fuite. Avec son imper, Bernard joue donc les détectives privés. Un des décors regorge d’ailleurs de photographies de stars hollywoodiennes dont, une, bien mise en évidence, d’Humphrey Bogart, l’immortel interprète de Philip Marlowe. Comme dans les romans noirs de Chandler, justement, Bernard se balade dans les différents strates de la société : son amante est issue d’un milieu bourgeois mais son enquête va aussi le conduire dans des quartiers misérables en périphérie.
Comme le protagoniste, le spectateur se perd dans l’intrigue et on assiste avec plaisir à des scènes attendues : découverte de macchabée dans un appartement trop calme, matraquage et réveil groggy du héros, kidnapping, course-poursuite… Les méchants eux-même sont caricaturaux que ce soit un noir inquiétant ou le nain amateur de croches pieds. La conclusion révèle la culpabilité de la maîtresse : pauvre poire, Bernard aurait du retenir les leçons de Marlowe et se méfier des jeunes filles trop belles. En jouant avec ironie sur les codes du récit criminel, savoureusement érotique[4], En Cinquième vitesse est proche des films de Robbe-Grillet dont on retrouve le Jean-Louis Trintignant de Trans-Europ Express.
Mais le film évoque surtout le cinéma de Jean-Luc Godard pour le jeu avec la pop culture et les inserts de textes de BD[5] mis en exergue avec l’action. Brass reprend la scène de Pierrot le Fou où un couple discute dans une voiture, filmée sous la lumière des lampadaires et des phares reflétés par le pare-brise. De même, le montage est fragmenté, le ton, libre et volontiers comique. Proche de la Nouvelle Vague, En Cinquième vitesse est bien un film de son temps : la BO d’Armando Trovaioli mélange jazz et pop, l’action est située dans le Swinging London et on assiste même au « 14 Hour Technicolor Dream Happening » (que l’on voit aussi dans Tonite let’s all make love in London de Peter Whitehead). En Cinquième vitesse surfe ouvertement sur le succès de Blow up qu’il évoque ouvertement : un des personnages est un photographe de mode, Bernard cite lui-même Antonioni et on aperçoit à un moment l’affiche du film !
Le fait que Bernard, le protagoniste, soit comédien s’avère riche de sens. Jouant de sa froideur et de son comportement de séducteur impulsif, Bernard mélange la réalité avec la fiction. On voit d’ailleurs à plusieurs reprises un plan de Bernard qui regarde à travers une lucarne. Bernard semble s’inventer son propre cinéma, son propre film dans lequel il jouerait un héros déterminé et mystérieux. Cette mise en abyme du cinéma approfondit le thème du voyeurisme très présent dans le film et qui rapproche En Cinquième vitesse des bizarreries perverses du giallo.

Le très rare En Cinquième vitesse, faux film de genre à la Godard et vraie variation sur Blow Up, marque la rencontre entre le cinéma d’exploitation et les expérimentations de l’avant-garde et donne envie de découvrir la filmographie de Tinto Brass.

03.07.12.








[1] Pour reprendre la terminologie d’un hommage rendu à Brass par la Cinémathèque française en 2002 et intitulé « l’éloge de la chair ».


[2] L’urlo (1968), Nero su bianco (1969) et Drop Out (1974).


[3] Le titre italien lui-même, ‘col cuore in gola’, c’est-à-dire ‘la peur au ventre’ renvoie aux polars de deux sous.


[4] L’actrice est la suédoise Ewa Aulin, Miss Teen Sweden 1965. Il s’agit de son premier film. Elle tiendra par la suite le rôle titre de Candy (1968) de Christian Marquand. Elle retrouvera Trintignant dans La Mort a pondu un œuf (1968) de Giulio Questi.


[5] Les bandes dessinées sont l’œuvre de Guido Crepax, grand nom des fumetti érotiques et créateur de Valentina.