La Cinémathèque française propose en
ce mois de juin une programmation qui retrace l’histoire du cinéma criminel
italien et invite à s’interroger sur l’existence d’un film noir à l’italienne.
Présenté en ouverture, Traqué dans la Ville constitue
une illustration des liens forts qui unissent le cinéma américain et le cinéma
italien dans les années 40.
Au jeu des influences, il est
difficile de dire quelle cinématographie marque l’autre : d’une part, le
néoréalisme, présenté avec succès aux Etats-Unis, a joué un rôle décisif dans
le virage réaliste pris par une part importante de la production hollywoodienne
de l’après-guerre ; d’autre part, des films comme Traqué dans la Ville traduisent une volonté de proposer une
variation transalpine sur les motifs du film criminel américain. Peut-être
peut-on parler ici de contemporanéité, de simultanéité des interrogations des
metteurs en scène.
De nos jours, Pietro Germi est
surtout connu comme un pilier de la « comédie à l’italienne » des
années 60 : Meurtre à l’italienne (1959), Divorce à l’italienne
(1961), Ces messieurs dames (1964) et Séduite et abandonnée
(1966)[1]figurent
désormais parmi les classiques de cette veine. Germi tourna pourtant dans les
années 40 et 50 une poignée de drames qui, à défaut d’être ouvertement
néoréalistes, sont ancrés dans la réalité de l’Italie d’après-guerre. Germi
était un admirateur du Tueur à Gages de Frank Tuttle, et ses premiers
films (Le Témoin, Jeunesse perdue, Au Nom de la Loi) mettent en scène
des personnages criminels.
Traqué
dans la Ville étend
les séquences finales de Quand
la ville dort
(1950) de John Huston et relate le destin de quatre malfrats après un casse.
Celui-ci, placé en incipit, prend la forme du vol de la recette d’un match de
foot et annonce le hold-up de l’hippodrome de L’Ultime razzia (1956) de
Stanley Kubrick. La scène qui suit, avec montage et voix-off, présente le
travail de la police comme dans les « police documentaries »
américains.
Mais la sympathie du réalisateur et
de ses scénaristes (Luigi Comencini, et le duo Federico Fellini/Tullio Pinelli) est du côté des malfaiteurs. Ceux-ci,
comme le comprend vite le spectateur, sont condamnés : ce n’est pas la
police qui entrainera leur perte mais le poids de la fatalité. Un à un, les
complices, exsangues, se font prendre, par malchance ou par maladresse. Leur
butin lui-même devient dérisoire, réduit à une poignée de billets mouillés.
Plus victimes que coupables, les
protagonistes de Traqué dans la Ville ont
été contraint au crime par la misère. L’Italie que présente le film ne semble
toujours pas être sorti des malheurs de l’après-guerre: l’un des braqueurs est
un pauvre père de famille qui n’arrive pas à subvenir aux besoins de son
ménage ; l’autre est un ancien footballeur, jadis célèbre, désormais
infirme, qui s’est fait jeter à la rue par sa maîtresse, sorte de femme fatale[2] ;
un autre encore est un peintre n’arrive pas à vivre de son art ; le
dernier est un jeune délinquant qui n’a pas su se satisfaire des efforts
conséquents de ses parents pour qu’il soit heureux.
Proche du pessimisme qui parcourt le
film noir américain, Traqué dans la Ville épouse
donc en même temps les préoccupations et l’esthétique du néo-réalisme. Le film
est tourné de façon documentaire à Rome mais ne montre aucun des lieux touristiques de la Ville éternelle. Traqué
dans la Ville nous donne à voir des transports en commun bondés et des
terrains vagues, des cages d’escalier sordides et des appartements d’une pièce
où s’entassent des familles nombreuses.
Déambulant désespérément dans les
rues de la capitale avec son jeune enfant, le père de famille qui a mis en
danger son couple n’est pas sans rappeler Le voleur de bicyclette. Il se
donnera la mort dans un champ à l’issue d’une scène particulièrement tragique
où l’agilité de la caméra évoque le cinéma russe et Mikhaïl Kalatozov. Comme
souvent dans le cinéma d’influence néoréaliste, le film n’est pas dénué de
lyrisme comme dans ce final spectaculaire mais caricatural où une
« mama » convainc son enfant, debout face au vide et
poursuivi par les autorités, de se rendre.
Entre le noir américain et le
néo-réalisme, Traqué dans la Ville inaugure avec force ce mois italien à la
Cinémathèque.
13.06.12.