D’origine autrichienne, Richard
Pottier fait ses débuts en tant qu'assistant réalisateur de Josef Von Sternberg
sur le tournage de L'Ange Bleu. Installé en France dès les années 30, il
signe une quarantaine de films en trente années de carrière : on trouve
dans sa filmographie des films avec Luis Mariano (Le Chanteur de Mexico),
Fernandel (Casimir), Tino Rossi (Destins), un film de
science-fiction (Le monde tremblera) ou encore des péplums (David et
Goliath, L’enlèvement des Sabines). Sorti pendant l’Occupation et produit
par la Continental, société de production cinématographique française financée
par des capitaux allemands[1],
Picpus est l’une des premières adaptations de Georges Simenon[2].
La première chose qui frappe
l’esprit du spectateur contemporain qui regarde Picpus est l’absence de
toute référence à l’Occupation. L’action est située en 1943 mais nulle trace
des Allemands dans la capitale. Par ailleurs, loin de la noirceur qui s’empare
du cinéma criminel de l’autre côté de l’Atlantique, Picpus adopte un ton
léger, volontiers comique. Le commissaire Maigret, en vacances, peu doit
revenir à Paris enquêter sur un meurtre mystérieux commis dans le quartier de
Picpus.
Tout au long du film, le policier ne
se défait pas d’un humour basé sur des répliques cinglantes, ironiques. L’intrigue,
alambiquée à souhait, compte moins pour le spectateur que les dialogues. Ciselés
par Jean-Paul Le Chanois, ceux-ci évoquent même le brio des comédies
américaines dont Pottier retrouve le rythme et l’allant, quitte, pour dynamiser
les scènes d’exposition, à avoir recours au split-screen.
Le récit, mené à toute allure, s’avère assez
libre, prenant sans cesse des détours alambiqués. qui ne paraissent même pas
nécessairement s’inscrire dans l’intrigue : ainsi, alors que le film
s’achemine vers sa conclusion, le commissaire Maigret est invité à un diner de
gala où les hôtes sont déguisés en Indiens et assiste à un inattendu concours
de beauté. L’interprétation de Maigret par Albert Préjean, aux airs de Gabin,
est fort convaincante. Avant que Gabin ne s’empare à son tour du personnage
dans les années 50[3],
Préjean reprendra le rôle du fameux inspecteur dans Cécile est morte
(1944) de Maurice Tourneur et dans Les Caves du Majestic (1944),
également réalisé par Richard Pottier.
Face à Préjean, les seconds rôles
composent une population pittoresque, typique du cinéma français des années 30-40.
Chaque personnage se distingue par des traits de caractère marquants, par des
accents très prononcés et par un jeu d’acteur brillant. On se souvient ainsi du
clerc voleur, à la fois binoclard et obséquieux, du médecin de marine fou qui
se plaint de sa petite retraite, du collègue obèse et bègue de Maigret qui
s’avoue souvent être « « impressionné »…
Enquête policière et tonalité humoristique
font donc bon ménage dans Picpus, divertissement de qualité qui faisait
oublier à une France vaincue qu’elle traversait une des périodes les plus
douloureuses de son histoire.
13.06.12.
[1]
. Créée en 1940 par Joseph Goebbels, la Continental produit une trentaine de
longs-métrages entre 1941 et 1944, dont L’assassinat du Père Noël (1941, Christian-Jaque) Le Dernier des Six (1941, Georges
Lacombe), Les Inconnus dans la Maison (1941,
Henri Decoin), La Symphonie fantastique (1941, Christian-Jaque), L’assassin habite au 21, La
Main du diable (1943, Maurice Tourneur) ou encore Le Corbeau.
Agissant en relative autonomie, ignorant les règles de la censure vichyste,
Alfred Greven employait même des techniciens et des artistes juifs, comme
Jean-Paul Le Chanois, scénariste de Picpus.
[2] Maigret avait déjà fait l’objet de
plusieurs adaptations : La Nuit du Carrefour (1932) de
Jean Renoir (avec Pierre Renoir, le frère de Jean, dans le rôle du
commissaire) ; Le Chien jaune (1932) de Jean Tarride ; La
Tête d'un homme (1933) de Julien Duvivier. D’autres romans de Simenon
avaient déjà également été adaptés : Annette et la Dame blonde
(1942) de Jean Dréville et La Maison des sept jeunes filles (1942)
d’Albert Valentin.
[3] Maigret
tend un Piège (1958, Jean Delannoy), Maigret
et l’Affaire Saint-Fiacre (1959, Jean Delannoy) et Maigret voit rouge (1963, Gilles Grangier)