Ancien
assistant réalisateur de Luchino Visconti (La Terre tremble, Bellissima,
Senso), Francesco Rosi réalise son premier long métrage, Le Défi, en 1957. On retrouve déjà dans Le
Défi les fondements du cinéma de Rosi : le décor de l’Italie du Sud,
dont il est originaire, ainsi que son motus operandi, à savoir une fiction
mélangée avec le documentaire, annonçant les futurs « films
dossiers » (Salvatore Giuliano, L’Affaire Mattei, Lucky Luciano….).
Le
défi met en scène
Vito Polara, un mafieux ambitieux et impulsif. Débutant dans la contrebande de
cigarettes, il se reconvertit ensuite par hasard dans le business des légumes.
S’imposant sur la « scène » du crime, il gravit les différents
échelons à la suite de nombreux tours de force. Sa réussite se matérialise par
l’achat d’une voiture de luxe, par un mariage fastueux et par l’achat d’un
appartement moderniste. Bien entendu, l’audace de Vito le mènera à sa
perte : il finira par être abattu sous les yeux de sa femme par le chef du
gang rival qu’il a osé défié.
Ce
qui frappe dans Le Défi, c’est la symbiose entre un genre (le film de
gangsters à l’américaine) et un style (emprunt du néo-réalisme). Le milieu dans
lequel le film se déroule, celui des productions agricoles, n’est pas sans
évoquer Une femme dangereuse (1940)
de Raoul Walsh ou son remake Les
Bas-Fonds de Frisco (1949) de Jules Dassin et, comme dans les films
américains des années 30, on suit l’ascension du gangster et sa chute. La
structure du film est donc classique et les personnages stéréotypés : le
protagoniste est, de façon conventionnelle, un anti-héros violent dont la
virilité affirmée, la hargne manifeste et le combat solitaire attirent la sympathie.
A cela s’ajoutent une « mama » envahissante, personnage archétypal du
cinéma italien mais également central dans le cinéma américain (comme dans Le Petit César), une amoureuse un peu sauvage,
irrésistiblement attirée par le gangster,
des hommes de main fidèles et des mafieux inquiétants.
Rosi
se livre également à des grands moments de cinéma, anti-documentaristes car dramatisés
par d’amples mouvements de caméra ou une musique prenante, telle l’apparition
des gangsters en voiture ou la sensuelle scène d’amour sur les toits, illuminée
par le soleil et magnifiée par le vent qui gonfle le linge étendu. Mais
derrière le spectacle, se cache les ambitions documentaires de Rosi : le
cinéaste décrit avec didactisme le fonctionnement d’un racket: pression auprès
des agriculteurs, achat exclusif, transport et revente de la marchandise en
ville à un prix entendu. Il filme avec attention l’existence misérable des protagonistes
(la vie de famille et d’immeuble, les halles grouillantes) et montre tout
l’attrait du crime dans les terres arides du Sud, empoisonnées par le fléau que
constitue la mafia, jamais explicitement nommée dans le film.
Concis
et sans fioriture, Le défi constitue un film de mafia classique,
montrant que le genre existait bien avant Le Parrain. Il ne serait
d’ailleurs pas surprenant que Francis Ford Coppola ait vu le film de Rosi :
on retrouve la scène du mariage interrompue par les affaires de la famille et
le nom de Nino Rota au générique. C’est dire l’importance de ce magistral Défi.
18.06.12.