American Psycho est l’adaptation du best seller homonyme écrit par
Bret Easton Ellis et publié en 1991. Le film met en scène Patrick Bateman,
« golden boy » qui travaille le jour dans une entreprise
d’investissement et qui se transforme la nuit en psychopathe. Bateman est
l’incarnation du yuppie, c’est-à-dire littéralement du Young Urban Professional,
un représentant d’une génération visant dans l’aisance et dont la position sociale
est à la fois enviée et décriée : poursuivant la quête de la perfection et
une course à la sensation, elle se dirige inévitablement vers la folie.
Bateman
vit dans le culte de la perfection, de la précision. Professionnellement, il a
réussi : ses études dans les plus grandes écoles, sa carrière avec un
poste de directeur général. Socialement, il fait indiscutablement partie de l’ « upper
class » new-yorkaise : il habite un appartement ultramoderne des
beaux quartiers, il fréquente les restaurants les plus chics de la ville et
sort dans les boîtes branchées où l’on sniffe de la coke. Beau comme un Apollon,
il prend soin de son physique, de son apparence et de sa forme avec une
attention démesurée.
Mais
derrière ces apparences de luxe se cache bien évidemment l’artifice et son
corollaire, le vide. Au bureau, Bateman fait les mots croisés ou regarde la
télévision, semblant finalement occuper un emploi fictif. Avec ses amis, il entretient
des discussions vaines en défendant des thèses auxquelles il n’adhère pas ou fait
avec pédanterie l’étalage de ses connaissances musicales. La superficialité de ce
monde atteint un sommet savoureux dans le film lorsque Bateman et ses camarades
se passionnent pour le choix de leurs cartes de visite, dont il faut trouver le
bon papier, le blanc parfait et la présentation ultime.
Dans
ce monde aseptisé, contrôlé jusque dans les moindres aspects, Bateman ne peut
se satisfaire et doit y trouver un complément. Ainsi, tel le dandy Dorian Gray
(ou son cousin le docteur Jekyll), Bateman trouve du plaisir dans une double vie
nocturne et criminelle qui contrecarre l’ennui et le conformisme qui le hantent[1].
Les victimes sont d’ailleurs les mêmes que celles de ses prédécesseurs
victoriens : il s’agit de clochards[2]
et de prostituées[3],
c’est-à-dire ceux qui sont exclus du monde dans lequel les nantis vivent mais
étouffent.
Pour
Bateman, l’exutoire se trouve également dans le sexe. Comme ses congénères Brandon
dans Shame ou Eric dans Cosmopolis[4],
Bateman développe une obsession sexuelle maladive : cette frénésie du
désir traduit plus une recherche du plaisir physique dans un monde virtuel
qu’une simple chute dans la débauche. En effet, Bateman et ses amis sont
matérialistes dans leur consumérisme (ils accumulent la possession de vêtements
et de produits de beauté divers), mais ils ont besoin d’un réel retour à la
matière, à la chair comme les protagonistes de Margin Call qui mangent ou creusent un trou… Selon les propres
mots de Bateman, « bien que je ne puisse cacher mon regard froid et
que vous puissiez serrer ma main et sentir ma chair et même que vous puissiez
penser que nos modes de vie sont probablement comparables : je ne suis tout
simplement pas là ».
Répondant
à ses pulsions, Bateman est comme le Meursault de Camus, un
« étranger » à tout sentiment qui satisfait ses besoins de sensations
en tuant des gens sans raison, juste pour l’expérience, « rien que pour les voir mourir», pour
paraphraser Folsom Prison Blues de Johnny
Cash .
Bateman
connait le goût du sang et le vertige de l’assassin, basculant ainsi dans la
folie. Le film questionne donc la dangerosité des images[5],
Bateman étant inspiré par les films qu’il voit : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou Body Double de Brian De Palma. Le personnage ne cache d’ailleurs pas
son déséquilibre mental et s’amuse à avouer ses crimes à ses amis au détour
d’une conversation mais ceux-ci prennent ces déclarations pour une plaisanterie
et ne prêtent pas attention à ses propos.
Oscillant
entre la réalité et le rêve, une impression établie par plusieurs scènes de
réveil, Bateman, comme le spectateur, ne sait jamais si ses fantasmes
meurtriers et sexuels sont des hallucinations ou des faits. Cette folie ambiante
semble récurrente dans le cinéma américain du tournant des années 2000 : le
personnage de Bateman apparaît aussi schizophrénique que le narrateur du Fight Club[6].
On retrouve une semblable « disjonction » dans American Beauty, autre bombe à retardement dans une Amérique
engoncée dans ses conventions et avec un protagoniste perdu dans ses fantasmes.
Dérangeant
et sulfureux, American Psycho mélange
habilement la farce gore avec la satire sociale. Fondateur[7],
il jeta les bases cinématographiques du personnage du « yuppie », que
l’on a vu récemment revenir sur l’écran avec Shame ou Cosmopolis. Bien
que son histoire soit située à la fin des années 80, American Psycho parle bien d’un (anti)héros de notre temps.
23.06.12.
[1] On retrouve cette double vie dans
la série tv Dexter qui met en scène
un spécialiste de l'analyse de traces de sang dans la police le jour qui
devient un tueur en série la nuit. Le générique, associant le réveil du héros,
la préparation minutieuse d’un petit-déjeuner
et son habillement avec du sang et des gestes criminels, est directement
inspiré d’American Psycho.
[2] Le meurtre du clochard dans American Psycho fait penser à Orange mécanique. Le film évoque Kubrick
dans son sens du détail et dans sa vision délirante de New York la nuit, proche
de celle d’Eyes Wide Shut. Christian
Bale a également des airs de Tom Cruise dans ce film (son visage émacié,
son costume élégant).
[3] American
Psycho est le deuxième film de Mary Harron. Son premier film, I Shot Andy Warhol (1996), était déjà
centré sur un esprit dérangé à pulsions assassines. American Psycho est étonnement réalisé (par Harron) et scénarisé
par une femme (Guinevere Turner). Le comble, c’est que le film a été accusé de
misogynie !
[4] On retrouve de nombreux motifs
similaires dans Shame et dans American Psycho à commencer
par le début des deux films : le réveil viril du protagoniste (nu) qui
commence sa journée en pissant de dos et devant les yeux du spectateur. Comme
Brandon, Bateman ne se satisfait pas de son activité sexuelle et regarde des
vidéos pornos : Bateman excuse souvent ses départs impromptus en déclarant
qu’il doit « rendre des vidéos ». On retrouve également une scène
dans un restaurant où un couple tente de préserver les conventions dans un
cadre socialement très codé. Outre American
Psycho et Shame, cette scène
trouve également un écho dans Cosmopolis,
comparaison renforcée par la ressemblance entre le physique des deux actrice
blondes : Reese Whiterspoon dans American
Psycho et Sarah Gadon dans Cosmopolis.
La comparaison entre les deux films peut être renforcée par une même
utilisation de la musique classique et de la pop des années 80.
[5] Malgré ces avertissements, American Psycho, comme de nombreuses films
sur des fous criminels, aurait inspiré le psychopathe canadien Luka Magnotta,
qui postait les vidéos de ses crimes avec, en fond musical, la BO d’American Psycho.
[6] Il est amusant de voir que
plusieurs personnalités associées aux films cousins d’American Psycho ont été approchées pour le film. En effet, les
comédiens Brad Pitt, Edward Norton de Fight
Club ont été abordés pour le rôle de Patrick Bateman. Christian Bale fut
finalement choisi. C’est son interprétation de Bateman qui lança sa carrière.
Cronenberg, auteur de Cosmopolis,
s’est vu également proposer de réaliser le projet.
[7] Le film a eu une suite : American Pyscho 2 : all american Girl
(2002) de Morgan J. Freeman, avec Mila Kunis (Patrick Bateman n’est plus le
personnage principal). Le film sortit directement en vidéo et fut renié par
Bret Easton Ellis. Nous doutons de la qualité du film…