samedi 20 novembre 2010

The Lodger / Les Cheveux d'Or ou L'Eventreur (1927) d’Alfred Hitchcock




         The Lodger est le 3ème film muet du réalisateur anglais au célèbre embonpoint. Notre homme est entré dans le monde du cinéma par la petite porte, au tout début des années 20, en illustrant des intertitres puis en accomplissant la direction artistique de plusieurs films. En 1925, Michael Bacon, qui vient juste de fonder un an auparavant la compagnie de productions Gainsborough Pictures, annexe de Gaumont en Angleterre, propose un de ses projets à Hitchcock alors qu’il n’est encore qu’assistant réalisateur. Hitchcock part en Allemagne pour tourner The Pleasure Garden, l’histoire mélodramatique de danseuses de cabaret. Son film suivant, The Moutain Eagle (1926), également tourné en studio en Allemagne, est désormais perdu. Son auteur a avoué à François Truffaut dans son célèbre recueil d’entretient ne pas être très touché par cette perte…
         On peut donc affirmer que The Lodger est le premier véritable film d’Hitchcock. Tout d’abord, pour des raisons pratiques, car c’est son premier film tourné en Angleterre, son premier grand succès et aussi parce que c’est le seul film du début de sa carrière qui soit de nos jours facilement diffusé. Mais surtout, on peut aisément considérer The Lodger comme le premier film « hitchcockien » car cette histoire de tueur à la Jack L’éventreur regorge d’éléments de la « recette » des succès futurs du maître du suspense.
         Hitchcock signe avec The Lodger un thriller efficace avec des ressorts dramatiques qu’il va privilégier par la suite de sa carrière : un début in medias res (la découverte de la nouvelle exaction du criminel éventreur), l’utilisation de flashs back explicatifs, le recours au symbole (un cœur dessiné dans de la farine, des menottes, un lynchage christique) et au voyeurisme (déshabillement des mannequins dans leur vestiaire, bain osé, amour des blondes déjà présent). Hitchcock emploie déjà des personnages archétypaux (le criminel/le policier, la jeune fille naïve) et des décors types (lieux clos et cages d’escalier ou extérieurs embrumés et mal éclairés). En plus, Hitchcock est influencé par l’expressionisme allemand, jouant sur les ombres, les lumières et les lignes géométriques complexes.

         C’est du point de vue de la thématique qu’Hitchcock se révèle déjà. Le personnage central soupçonné d’être le criminel se révèle être une personne le poursuivant. On reconnaît bien là à la fois Hitchcock pour deux raisons : tout d’abord, pour la maîtrise (un peu douteuse) de la manipulation du spectateur (cf. les flashs back faux ou incomplets du Grand Alibi), ensuite pour la prédilection pour le personnage du faux coupable.
         Le personnage de l’étrange Lodger est interprété par Ivor Novello, célébrité de l’époque quelque peu oublié de nos jours. Ce gallois était un acteur de théâtre, un chanteur et un auteur-parolier d’opérettes. Plus tard, il allait participer à la rédaction du scénario du Tarzan de 1932 de Woody S. Van Dyke avec Johnny Weissmuler. L’homosexualité de Novello était surtout notoirement connue et ce dernier bénéficiait d’un grand public féminin. Hitchcock a ainsi détourné l’image de jeune premier de l’acteur en montrant un personnage quelque peu détraqué.
         Le spectateur n’est d’ailleurs pas très convaincu par le revirement final de situation dont on peut se demander s’il n’a pas été imposé par les studios pour ne pas déformer l’image de Novello. On peut en effet voir, en dépit de cette fin heureuse, une description légèrement dégoutée de l’esprit pervers d’un homosexuel-vampire, efféminé et refoulé (cf le visage pâle, les lèvres et les gestes maniérés de Novello). Hitchcock, notre sexiste préféré, serait-il homophobe ?
         The Lodger montre donc aussi bien le goût d’Hitchcock pour la psychanalyse. C’est dire comme l’œuvre de l’auteur est annoncée presque dans son intégralité. Le film confirme même de la théorie de Godard selon laquelle l’œuvre d’Hitchcock ne marque les esprits que par des scènes et des objets (en cela, « Hitchcock a été le maître du monde » dit-il dans son Histoire(s) du cinéma). Un gros plan sur le visage effrayé d’une femme qui crie, une arrivée fantastique et glaçante d’un nouveau locataire, un lynchage bestial et le maître du suspense frappe une fois de plus…

20.11.2010