dimanche 24 juillet 2011

Close Encounters of the Third Kind / Rencontres du Troisième Type (1977) de Steven Spielberg



         Après le succès des Dents de la Mer, Steven Spielberg se lance dans l’épopée de Rencontres du Troisième Type. Il s’agit de son premier film de Science-fiction, genre qu’affectionne le futur réalisateur de ET (1982), Histoires fantastiques (1987), Intelligence artificielle (2001), Minority Report (2002) ou encore La Guerre des Mondes (2006). La SF s’avère souvent puéril, surtout lorsqu’il préfère parler des martiens plutôt que de dresser une anticipation ou une dystopie, sorte de parent noble puisque politisé. Ce genre convient donc particulièrement bien à Spielberg dont le cinéma grand spectacle perpétue avec conviction un imaginaire enfantin. Rencontres du Troisième Type confirme volontiers cette théorie.

         Rencontres du Troisième Type s’inscrit tout d’abord dans la lignée de la naïveté du cinéma de SF années 50. La simplicité et le caractère invraisemblable de l’intrigue, typique des productions d’alors (la rencontre des humains avec les ET)[1] coexistent avec le sérieux et le réalisme de l’entreprise de Spielberg : si les ET débarquaient, les autorités cacheraient cette information et une mission scientifique et militaire gérerait discrètement la situation. La crédulité est ainsi de rigueur dans ce cinéma candide où l’on croit aux soucoupes volantes et où on se méfie des autorités (les scènes de déploiement de l’armée nous font d’ailleurs penser aux présentations des nazis dans les Indiana Jones)
         La mise en scène brillante (parfait sens du cadrage grâce à un travail préalable sur storyboard) et les effets speciaux [2] sont donc mis au service d’une rêverie d’enfant. Spielberg nous apparaît en effet comme un enfant roi à Hollywood : on sent ainsi qu’il s’amuse comme un gosse lorsqu’il joue avec des jouets en faisant croire que l’intelligence ultra sensible des extra terrestres parvient à les animer. Une autre scène de Rencontres illustre également cette idée de l’innocent qui s’enferme dans son monde: le personnage principal, interprété par Richard Dreyfuss (un homme enfant, qui a du mal à assumer son rôle paternel) se ridiculise au regard de ses proches lorsqu’il sculpte dans son salon une réplique miniature d’une montagne avec la terre de son jardin.
         La présence de François Truffaut dans une grosse superproduction américaine n’est donc pas si surprenante que cela : en effet Spielberg et le réalisateur des 400 Coups, deux cinéphiles très affirmés (on voit beaucoup de films à la TV dans Rencontres !) partagent un intérêt commun pour l’enfance. Cependant, si Truffaut préfère filmer les enfants, Spielberg, lui, est empreint d’un esprit d’enfant. Pour acquérir cet esprit, il faut croire. Et quand on croit, on voit. C’est pour cette raison que les enfants sont les interlocuteurs privilégiés des ET, acteurs clés d’une rêverie éveillée.
         Les grands vaisseaux spatiaux des ET, à la luminosité aveuglante, pourraient ainsi être vus comme une métaphore des lumières d’un cinéma éblouissant et magique que seuls les enfants vivraient pleinement. Dans cette idée, le rapport au cinéma serait même de l’ordre de l’adoration tant l’arrivée magnanime des ET, venant du ciel, est divine. En effet, Rencontres est marqué par des références bibliques : on aperçoit un moment Les Dix Commandements de Cecil B. De Mille à la télévision et la montagne où les ET donnent rendez-vous aux humains peut être perçu comme l’équivalent du Mont Sinaï. A cause de certains accents épiques, le film frôle donc parfois le ridicule mais l’assurance, l’humour et la sincérité ingénue du réalisateur compensent.

         Un peu prétentieux et souvent cocasse, mystique et mystificateur, Rencontres du Troisième Type n’en demeure pas moins un film impressionnant, marquant et parfois même émouvant. Par sa vision des extraterrestres, il préfigure beaucoup ET, un autre film d’enfant mais qui lui est surtout destiné à un public d’enfants.


[1] On pense au Jour où la Terre s’arrêtera (1951) de Robert Wise ou à Invaders from Mars (1953) de William Cameron Menzies.
[2] Ils sont signés par Douglas Trumbull, auteur des effets scpéciaux de 2001, L'Odyssée de l'Espace de Kubrick.

jeudi 21 juillet 2011

We Were Strangers / Les Insurgés (1949) de John Huston


         Les Insurgés apparaît comme particulièrement original dans le paysage du cinéma hollywoodien classique. Tout d’abord, il détonne par son cadre, à savoir le Cuba des années 30 sous le régime autoritaire de Machado. Ensuite, le film surprend par son idéologie : suivant un groupe de farouches résistants nationalistes, il adhère à un esprit résolument révolutionnaire. Les protagonistes veulent en effet faire disparaitre la dictature au profit de la démocratie. Il faut ainsi rattacher Les Insurgés à des films comme Cas de Conscience (1950) de Richard Brooks ou Viva Zapata (1952) d’Elia Kazan, qui rappellent qu’Hollywood était capable de s’engager et de porter de l’intérêt à la question de la Révolution, en particulier en Amérique Latine.

         Les Insurgés pose clairement la question de l’engagement politique, exposant des motivations douteuses (le personnage de Jennifer Jones veut venger la mort de son frère) et des moyens ambigus (la possible mort d’innocents est parfois inévitable et nécessaire à la Révolution). L’engagement doit être total excessif : il faut tout quitter et être prêt à y laisser sa vie. Ces croyants, loin d’être de simples aventuriers à la Hemingway [1], illuminés et obnubilés par leurs causes, finissent par devenir des terroristes professionnels. Vivant à part, il ont parfois le sentiment d’être étrangers à leurs propres pays comme l’indique le titre et comme le soulève à un moment une Jennifer Jones, un peu perdue dans ses convictions.
         La douleur de l’engagement est de surcroît renforcée par le fatalisme et le motif de l’échec typiquement hustonien. Le réalisateur souligne la vanité de certaines actions : les résistants construisent un tunnel pour un attentat mais celui-ci s’avère impossible en raison d’un changement in extremis de lieu. L’absurdité de cet instant nous rappelle alors le final de Quand la Ville dort ou du Trésor de la Sierra Madre. La noirceur est ainsi de rigueur et le film se conclut par la mort du personnage de John Garfield, Mais le bilan reste néanmoins positif : la Révolution a finalement réussi, les résistants ont fait preuve de courage et ont créé une cohésion humaine forte.

         Les Insurgés est non seulement d’un film sur l’engagement, mais aussi d’un film engagé. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une citation de Thomas Jefferson : « Résister aux tyrans, c’est obéir à Dieu ». Cet esprit révolutionnaire et démocratique est ordinairement absent du cinéma hollywoodien classique. De plus, il paraît étonnant que le film se situe à Cuba, alors en 1949 sous la main mise des USA et de la dictature de Batista. On décèle ainsi dans Les Insurgés une œuvre courageuse politiquement. Pour bénéficier pleinement d’une indépendance vis à vis des studios, son réalisateur John Huston, a même quitté la Warner Bros (le film est produit par Sam Spiegel et distribué par la Columbia).
         Le personnage principal, interprété par John Garfield (acteur à la réputation gauchiste notoire), est initialement présenté comme un américain. Cubain d’origine, il est en fait revenu des Etats-Unis, où l’avait envoyé son père, un dissident, pour libérer son peuple de la tyrannie. En dépit de ce retournement de situation, on peut donc peut-être y déceler une croyance trotskyste avec une logique de révolution permanente et planétaire. Le film, sorti en avril 1949, au moment où débutaient les commissions des activités anti-américaines, aurait peut-être pu avoir des problèmes mais après 1947, le plus dur était déjà passé. Finalement, le film fut un véritable échec en salles et passa assez inaperçu.
         Le film de Huston peut être vu comme une métaphore du maccarthysme, les insurgés représentant alors les victimes de la chasse aux sorcières. Comme eux, ils sont accusés d’être des terroristes alors qu’ils ne font que défendre la liberté. Les dix d’Hollywood et les révoltés de Cuba se voient traités comme des étrangers dans leur propre pays. Cette interprétation politique est notamment défendu par Bernard Chardère dans Positif, revue proche des exilés hollywoodiens, en 1952 : elle est peut-être poussive mais elle demeure séduisante.

         Les Insurgés ne nous déconcerte pas que thématiquement. En effet, la mise en scène s’avère aussi élégante (grâce à un excellent sens du cadrage) que singulière : on a le droit à une fin proche de celle d’un film contemporain avec une explosion d’action, particulièrement longue et violente (John Garfield et Jennifer Jones se mettant à défourailler partout avec une mitraillette Thompson !). Cet aspect souligne encore une fois de plus l’originalité ce film complexe et passionant.




[1] Car la question se pose. En effet, le film, par son cadre (Cuba) et ses personnages sombres, nous évoque rapidement l’univers d’Ernest Hemingway. Huston a d’ailleurs, pour l’occasion, rencontré sur place (Les Insurgés a été partiellement tourné à Cuba même) l’écrivain qui aurait dit son mot sur le scénario. Celui-ci a été écrit par Peter Viertel, un ami commun au deux hommes. II fut l’auteur du roman Chasseur blanc, cœur noir que Clint Eastwood adaptera en 1990. Il a signé le scénario deux adaptations d’Hemingway au cinéma : celui du Soleil se lève aussi (1957) d’Henry King et celui du Vieil Homme et la Mer (1958) de John Sturges.


L’Enfer (1994) de Claude Chabrol


         En 1964, Henri-Georges Clouzot se lance dans un projet très ambitieux. Influencé par l’art cinétique, L’Enfer s’annonce comme l’un des films les plus avant-gardistes de son époque. Paul (Serge Reggiani) y joue un mari excessivement jaloux de sa femme Nelly (Romy Schneider). Il se persuade, à tort, que celle-ci flirte avec tous les clients de l’hôtel qu’il tient dans le midi de la France. Il imagine alors Nelly buvant nue du champagne ou encore rêve d’une punition où il l’attacherait sur la voie ferrée. Le tournage sera cependant interrompu en raison d’un infarctus de Clouzot. Le projet demeure ainsi inachevé.
         Trente ans plus tard, Claude Chabrol s’empare du scénario de Clouzot, décédé en 1977. Cela n’est d’ailleurs guère étonnant puisque la jalousie, le doute dans le couple et la question de la fidélité font partie des thématiques récurrentes de son œuvre. Chabrol s’entoure alors de nouveaux acteurs : Serge Reggiani est remplacé par François Cluzet, Romy Schneider par Emmanuelle Béart. Et, à la vision du documentaire de Serge Bromberg qui retrace le tournage du film de Clouzot, on a tout d’abord l’impression que Chabrol n’a pas changé grand-chose de la trame initiale.
         Il apparait toutefois que la puissance fantasmatique des images mentales a été largement affaiblie : Chabrol a recours à l’onirisme mais se refuse à mettre en œuvre les idées modernistes de Clouzot. Ce manque d’ambition est néanmoins compensé par la force de l’interprétation et par la précision de la description des mécanismes progressifs par lesquels le personnage de Paul sombre dans la folie. Le film de Chabrol questionne alors le spectateur : tout le monde peut être jaloux mais jusqu’à quel point ? Au regard du critique état final du personnage de Paul, on se persuade par comparaison que nous sommes sains d’esprit. Il n’en demeure pas moins que L’Enfer de Chabrol dérange beaucoup le spectateur, très impressionné par la peinture terrifiante de l’obsession maladive.

mardi 19 juillet 2011

Un Nommé La Rocca (1961) de Jean Becker


         Premier film Jean Becker, Un Nommé La Rocca est une adaptation du roman L’excommunié de José Giovanni . L’histoire s’avère typique pour son auteur : comme dans Les Aventuriers, une amitié virile entre deux malfrats (joués par Jean-Paul Belmondo et Pierre Vaneck), est consolidée par l’attachement porté à une même femme. Le récit, tragique et fataliste, frappe de surcroit par l’authenticité de la peinture du gangstérisme. L’œuvre de Giovanni demeure largement d’inspiration autobiographique et notons à ce titre que La Rocca est corse, comme l’écrivain ex-taulard.
         La première partie du film, centrée sur la vie de la pègre marseillaise, fait penser au Deuxième Souffle (également d’après Giovanni). La présence de Jean-Pierre Belmondo ainsi que le tournage dans les studios de la rue Jenner renforcent également la ressemblance avec l’œuvre de Jean-Pierre Melville.
         La seconde partie, carcérale, se concentre sur une opération de déminage à laquelle Bébel et son ami on accepté de participer pour réduire leurs peines. On retiendra des séquences particulièrement prenantes en raison du sens de la réalité, physique et matérielle, qui rappelle une autre adaptation cinématographique de Giovanni, celle du Trou (1960) que Becker fils a dû terminer en raison du décès de son père Jean. La filiation esthétique s’affirme ainsi fortement.
         Un Nommé La Rocca impressionne donc beaucoup par sa sincérité, sa noirceur et sa sobriété. Giovanni ne se sera pas pour autant satisfait du travail de Becker et réadaptera lui-même son roman en 1972 avec Belmondo sous le titre de la Scoumoune. Quant à Becker, il allait retrouver lui aussi Belmondo pour Echappement libre (1964) avec Jean Seberg, film léger et nouvelle vaguiste qui reforme avec gaité le couple d’A Bout de Souffle.

lundi 18 juillet 2011

The Black Windmil / Contre une poignée de Diamants (1974) de Don Siegel


         Après L’Inspecteur Harry (1971) et Tuez Charley Varrick (1973), deux polars qui confortent la naissance de la veine, Don Siegel s’envole pour Angleterre tourner Contre Une Poignée de Diamants. Le film oscille entre le thriller (le fils de Michael Caine est kidnappé) et le film d’espionnage (Caine travaille pour un MI5 dont la sécurité a été infiltrée par une taupe liée aux ravisseurs).
         Le style de Siegel, influencé par les méthodes de la télévision, s’avère efficace. Le réalisateur utilise par exemple des ellipses temporelles qui permettent que, d’un plan à l’autre, Caine se retrouve de Londres à Paris. La narration ne s’embarrasse pas de fioritures et ne s’attarde pas sur des détails. Ainsi, Delphine Seyrig disparaît aussi vite qu’elle est apparue et le récit se clôt avec une rapidité remarquable : on n’aura le droit ni à un long affrontement avec le méchant ni à une conclusion classique où Caine retrouve sa femme ou bien son supérieur (joué par un Donald Pleasance obséquieux).
         Le scénario, brouillon et alambiqué, satisfait beaucoup moins. En effet, le plan compliqué des méchants paraît bien incohérent: pourquoi par exemple se déguisent-ils au début en militaires pour kidnapper le fils de Caine et pourquoi font-ils exploser des camions sur l’autoroute ? Enfin, comme pour sombrer volontairement dans le bas de gamme, Contre une poignée de Diamants souffre de se vouloir James Bond : les bureaux du MI5 (où réside une simili Money Penny) sont cachés derrière les murs d’une salle de vente aux enchères tandis qu’un simili Q remet entre les mains de Caine un gadget ridicule (une mallette qui tire !).
         Si la mise en scène est bien mise au service du récit, on aurait donc tout de même préféré que le scénario soit un peu plus consistant. On reste néanmoins très heureux de revoir la bouille de Michael Caine et de découvrir une nouvelle BO groovy de Roy Budd. Voilà finalement un film vite oubliable mais assez sympathique.

mercredi 13 juillet 2011

Titanic (1997) de James Cameron


         Après des succès tels que Terminator (1984) et Abyss (1989), James Cameron s’est vu confier l’importante tâche de porter pour une nouvelle fois à l’écran le naufrage du Titanic en 1912. Le film semble aussi démesuré que le fameux bateau : à sa sortie, il s’agit de la production la plus chère de toute l’histoire du cinéma, avec des coûts dépassant les 200 millions de dollars. Titanic reçut onze Oscars en 1998 (dont ceux du meilleur film) et reste le plus grand succès du box-office mondial jusqu'à ce qu'il soit battu en 2010 par Avatar, réalisé par le même Cameron. Comment expliquer le triomphe de ce film monstre ?
         Titanic s’inscrit tout d’abord dans une longue tradition épique hollywoodienne où une histoire d’amour passionnée à la Roméo et Juliette est mélangée à une fresque historique qui prend ici les allures du film catastrophe. La romance, magnifiée par une caméra très mouvante et une musique ronflante, s’avère volontairement naïve. Heureusement, l’aspect social (car Madame vient de la Haute société alors que Monsieur vit de sa peinture) et le physique glamour du couple Leonardo DiCaprio/Kate Winslet viennent rehausser le niveau de cette amourette à l’eau de rose.
         On l’aura vite compris, l’intérêt de Titanic réside ailleurs, plus précisément dans sa partie catastrophe. En effet, Cameron a fait un excellent travail de reconstitution et bénéficie d’admirables images de synthèse. Le paradoxe du film réside ici : pour mettre en scène le mythe du Titanic, c’est-à-dire la dénonciation de la folle confiance de l’Homme dans le progrès, Cameron utilise la toute dernière technologie avec une certaine arrogance. Si l’introduction du film (et du décor) paraît être un festival d’effets spéciaux numériques, le naufrage en lui-même (qui dure la moitié du spectacle) est particulièrement prenant. Ressurgit alors la question de la moralité du film catastrophe, genre dérangeant puisqu’il réveille les plaisirs sadiques du spectateur.
         Voilà donc un film assez « putassier » qui manque bien de finesse. Le comble en est sûrement la construction du récit en flash-back, à la façon du contemporain Soldat Ryan, avec les survivants émus et nostalgiques retournant sur les lieux du passé. Finalement, on donc bien le droit d’affirmer que Titanic est vraiment à l’image de son sujet : tape à l’œil mais impressionnant.

lundi 11 juillet 2011

Perceval le Gallois (1978) d’Eric Rohmer


         Après la série des six contes moraux, Eric Rohmer s’est attaqué à deux grandes adaptations littéraires. Dans la première, La Marquise d’O… (1976), il reconstitue avec réalisme l’Italie du XIXème siècle esquissée par le roman éponyme d’Heinrich Von Kleist. Dans la seconde, Perceval le Gallois, d’après Chrétien de Troyes, le cinéaste a courageusement opté pour une démarche inverse avec une stylisation extrême. Le résultat nous paraît cependant bien risible.

         Eric Rohmer déclare avec justesse que Moyen Age n’est connu que par son art, c’est-à-dire à travers les enluminures et les tapisseries. Il faudrait donc le retranscrire de la même façon, avec ses dimensions disproportionnées (le refus de la perspective est telle qu’un château sera aussi grand qu’un cavalier par exemple) et sa naïveté picturale (la simplicité de la représentation en deux dimensions ouvre la voie à des cadrages épurés). Son Perceval est ainsi intégralement tourné dans des décors de carton pate, volontairement esthétisés. Dans cette même volonté de fidélité, la musique reconstitue des ballades de l’époque. Notons pourtant que Rohmer a largement adapté le texte, transposant l’ancien français en vers pour faciliter la compréhension du spectateur.
         On peut néanmoins se demander quel intérêt il y a à ressusciter l’œuvre de Chrétien de Troyes, suivant la quête du Graal par le jeune Perceval. En effet, de nos jours, les valeurs véhiculées par Perceval ne nous parlent plus : l’Amour courtois, l’honneur et la bravoure chevaleresques nous paraissent bien démodées. Difficile alors de ne pas rire devant certaines répliques désuètes (« Pucelle, ces patés sont moulte bons ! » « Pèlerin, sais tu où se trouve le chatel de Roy Arthu ? ») et devant le jeu appuyé et sérieux des acteurs (Fabrice Luchini, André Dussolier, Arielle Dombasle…).

         Le choix du traitement de l’adaptation de Perceval le Gallois s’avère donc fort audacieux et touchant. Mais, le résultat est un peu similaire à celui de l’adaptation de Henri V par Laurence Olivier : le spectateur, distrait par l’artifice, trouve le film aussi ennuyeux que ridicule. Rohmer allait récidiver dans la même voie avec son dernier film, Les Amours d’Astrée et de Céladon, d’après L’Astrée d’Honoré d’Urfé. Dans cette pastorale pleine d’anachronismes, Rohmer jouait également sur l’artifice pour se centrer sur les questions posées par le récit. Toutefois, même si le ridicule était encore assez présent, le film bénéficiait là au moins de la jeunesse de ses acteurs et de la fraicheur de ses images champêtres.

samedi 2 juillet 2011

La Fille coupée en deux (2007) de Claude Chabrol



         Bien que Claude Chabrol fasse partie des représentants les plus célèbres de la Nouvelle Vague, son abondante filmographie reste assez méconnue. On peut pourtant distinguer trois principales phases dans sa carrière : celle de ses débuts dans les années 60 aux côtés de Truffaut et Godard, puis celle d’un cinéma plus populaire dans les années 80, et enfin, celle d’une œuvre qui, au tournant des années 2000, s’est rajeunie, à la façon d’un Woody Allen.

         L’avant dernier film de Chabrol, La Fille coupée en deux, se rattache à cette dernière période. Entouré d’acteurs de la nouvelle génération (Ludivine Sagnier, Benoît Magimel) et d’autres plus anciens (François Berléand), Chabrol met en scène un célèbre crime passionnel du début du siècle passé , l’assassinat de l’architecte américain Stanford White. Ce fait divers survenu en 1906, qui avait déjà inspiré La Fille à la balançoire de Robert Wise en 1955, est ici transposé dans la France de nos jours et adapté à sa sauce par Chabrol dont on retrouve les thèmes de prédilection.
         En effet, Chabrol mélange le crime et les sentiments qui y sont liés (la jalousie, la perversité, la manipulation) avec la plus féroce critique sociale. La fille coupée en deux du titre n’est autre qu’une jeune présentatrice de météo partagée entre un vieil écrivain prestigieux mais quelque peu vicieux, et un insupportable milliardaire, enfant gâté très sûr de lui. Les deux personnages masculins sont de fines caricatures de détestables prétentieux : le premier, Don Juan sénile, vit dans l’autosatisfaction de ses bons mots et dans l’hypocrisie de la façade d’une fausse vie monastique et maritale ; l’autre se présente comme un imbécile congénital, imbu de lui-même, un fils à papa complètement déséquilibré. Au milieu, Ludivine Sagnier joue une fausse femme fatale, étonnamment candide et amoureuse.
         Les personnages paraissent outrés au premier abord. Cependant, Chabrol excelle dans la peinture des caractères grâce au jeu des comédiens et à la subtilité des dialogues. Le cinéaste s’en donne à cœur joie pour moquer différents milieux sociaux. La haute bourgeoisie lyonnaise, incarnée par de riches héritiers, bien catholiques et bien snob, en prend plein la gueule (on étouffe tous les secrets de la famille dégénérée car tout s’achète quand on a l’argent). Le monde du spectacle nous semble bien grossier avec ses producteurs lascifs et ses soirées m’as-tu-vu. Quant au monde littéraire, il est peuplé de romanciers un peu bidon, misanthropes et sans véritable entrain.

         La Fille coupée en deux ressemble à Merci pour le Chocolat. Il s’agit dans les deux cas d’une satire sociale malicieuse, teintée d’une histoire criminelle alléchante.

Le Silence des Agneaux / The Silence of the Lambs (1991) de Jonathan Demme


         Créé par le romancier Thomas Harris, le personnage d'Hannibal Lecter, psychiatre cannibale, a connu une belle carrière à l’écran, d’abord avec Man Hunter / Le sixième sens (1986) de Michael Mann (d’après Red Dragon), ensuite avec Le Silence des Agneaux. Cette adaptation du deuxième opus de la série rencontra un succès colossal à sa sortie et remporta l’oscar du meilleur film de l’année. Mélangeant les codes du thriller avec ceux du film d’horreur, Le Silence des Agneaux impressionne le spectateur et le prend aux tripes tout en donnant également naissance à l’un des méchants les plus intéressants du cinéma américain.

         Dès le début du film, le scénario est marque par une double appartenance au genre policier et horrifique : si Clarice Starling (Jodie Foster), une jeune profileuse du FBI, interroge Hannibal Lecter (Anthony Hopkins), emprisonné à vie dans un asile, elle le questionne dans le cadre d'une enquête sur une épouvantable série de meurtres commis par un psychopathe surnommé Buffalo Bill, qui dépèce ses victimes.
         Le Silence des Agneaux épouse ainsi les ressorts narratifs du thriller avec une traque haletante d’un criminel, l’héroïne étant toujours un peu en avance sur ses confrères. L’évasion d’Hannibal Lecter renforce l’intrigue parralèle et l’attention du spectateur. Le réalisateur Jonathan Demme, éduqué à l’ « écurie » Roger Corman [1], maîtrise en même temps les ficelles du film d’horreur et suscite la terreur du spectateur par la simple noirceur de ses personnages (un cannibale et un serial killer) et par une mise en scène efficace (il joue sur la peur du noir, a recours à quelques effets gore et à une steady cam toujours en mouvement derrière les protagonistes). Buffalo Bill, qui élève des papillons, n’est pas sans rappeler le Norman Bates de Psychose. Par son esthétique d’un sordide naturalisme, le film nous présente une sombre image du Middle West américain dans les années 90, avec des terres marécageuses peuplées de vicelards.
         Au-delà de ces qualités, l’intérêt du film réside pour une majeure part dans le passionnant personnage d’Hannibal Lecter, mythe fondateur du psychopathe du cinéma contenmporain. Cet ancien psychiatre, campé par un captivant Anthony Hopkins, se présente comme un intellectuel distingué et cultivé. Ses brillantes méthodes de déduction le rapprochent d’une intelligence digne de Sherlock Holmes. Cependant, ce raffinement cohabite avec la brutalité la plus primaire, conséquence de ses penchants anthropophages. D’ailleurs, comme le Dr Lecter le dit lui-même, illustrant son paradoxe, un humain, ça se déguste avec un petit chianti…
         Cette troublante schizophrénie pose un complexe dérangeant : l’homme le plus complet ne serait-il pas celui qui excelle par son intellect mais n’en oublie pas pour autant ses instincts élémentaires ? Variante horrifiante de la figure du savant fou matinée d’ogre, le personnage Hannibal Lecter vole la vedette à l’héroïne. Pour compenser, le personnage de Clarice Sterling a été artificiellement densifié par des traumatismes enfantins, partiellement retranscrits par des flash backs un peu lourdingues.

         La puissance du personnage de Lecter est telle que l’on comprend sans peine que Le Silence des Agneaux ait engendré une série : nous verrons donc avec plaisir Hannibal (2001), réalisé par Ridley Scott, suite directe du film de Demme, Dragon rouge (Red Dragon) (2002), remake du Sixième Sens de Michael Mann et Hannibal Lecter : Les origines du mal (2006), préquel qui comme son nom l'indique, revient sur les causes du cannibalisme chez Hannibal adolescent.



[1]Jonathan Demme commença sa carrière en travaillant pour le cinéma d’exploitation de Roger Corman entre 1971 et 1976, co-scénarisant deux films de Joe Viola (Angels Hard as They Come, 1971, et The Hot Box, 1972) ainsi que Black Mama, White Mama (1973), film de blaxploitation réalisé par Eddie Romero. Passé à la mise en scène, Demme tourna trois films pour The New World Pictures, le nouveau studio de Corman : Caged Heat / Cinq Femmes à abattre (1974), Crazy Mama (1975) et Fightin Mad / Colère noire (1975).