samedi 19 juillet 2008

Magnificent Obsession / Le Secret magnifique (1935) de John Stahl & Magnificent Obsession / Le Secret magnifique (1954) de Douglas Sirk


        Après le succès d’Une Histoire d’un Amour (1932) et d’Une Nuit seulement (1933), John Stahl poursuit dans la veine du mélodrame en réalisant Images de la Vie (1934), Le Secret magnifique (1935) et, plus tard, Veillée d’Amour (1939). Vingt ans après, la Universal se repenchera sur ces trois films. C’est ainsi que Douglas Sirk tournera en couleurs trois remakes des films de Stahl: Le Secret magnifique (1954), Les Amants de Salzbourg (1957) et Mirage de la Vie (1959). Le premier de la série, Le Secret magnifique, contrairement aux autres à venir, ne frappe pas par ses réalités sociales mais par sa morale religieuse, profondément chrétienne.


        L’histoire du Secret magnifique est totalement invraisemblable. Bob Merrick, un riche héritier cause indirectement la mort d’un homme : sa vie est sauvée après un accident de bateau grâce à un appareil respiratoire dont le propriétaire, le docteur Phillips, un éminent chirurgien, aurait eu besoin, celui-ci succombant au même moment à un arrêt cardiaque. S’éprenant de sa veuve, Bob Merrick provoque encore indirectement un accident qui la rendra aveugle. Dès lors, il fera tout pour essayer de la sauver…

        Le Secret magnifique tourne autour de la thématique de la cécité. Coureur de femmes et insolent, fils à papa n’hésitant à toujours sortir son carnet de chèques, Bob Merrick est un play-boy muré dans son égoïsme. C’est paradoxalement la cécité d’Helen Phillips qui lui ouvrira les yeux sur la vie, l’amour et le bonheur. Quant à Helen, son handicap ne l’empêchera pas de voir et de comprendre la sincérité de l’amour que lui portera Bob Merrick[1].
        Ayant déjà abordé ce thème avec le personnage de la mère aveugle dans Jenny femme marquée (1949), Sirk, qui finira par pratiquement perdre la vue à la fin de sa vie, trouve donc dans Le Secret magnifique un sujet qui l’obsède.
        Ce retour vers la clarté ne fait que souligner la rédemption du personnage qui rejette alors tout orgueil. En effet, écrit en 1929 par Lloyd C. Douglas[2], un pasteur écrivain à ses heures, Le Secret magnifique est empreint d’une morale religieuse, très chrétienne. Le secret magnifique, doctrine du généreux docteur, n’est autre que celui de « consacrer sa vie au service de son prochain et sans rien attendre en retour pour sa propre personne » comme l’explique si bien son ami Randolph. « Un homme a été crucifié pour cela » ajoutera-t-il.
        Le caractère religieux est perceptible dans les deux films mais, étonnamment, dans des détails différents. Dans la première version, lorsque Bob Merrick, ivre et dans un grand moment de déchéance, voit sa voiture tomber dans un trou (encore un accident !), il se retrouve devant un cimetière et profère quelques blasphèmes. C’est pourtant un lieu qui pourrait l’attendre suite à une colère divine. Voulant chercher de l’aide, il atteint la maison de Randolph. L’ami du docteur Phillips fait des sculptures religieuses et va mettre une bible entre les mains de Bob.
        Dans la seconde version, Randolph n’est plus sculpteur, mais peintre et ses œuvres sont toujours d’ordre religieux. Mais surtout, le côté ange gardien du personnage est renforcé à la fin lorsqu’il soutient Bob Merrick lors de l’opération d’Helen Phillips. Assistant à la scène depuis une vitre en hauteur, il conforte Bob dans ses gestes, tel un Dieu protecteur des hommes. Notons aussi que la musique de chœurs souligne une fois de plus cet aspect religieux.

        La comparaison des deux films paraît donc inévitable. Dans une version comme dans l’autre, l’interprétation est parfaite. Pour le film de 1935, Stahl retrouve Irene Dunne, l’actrice de l’Histoire d’un amour (1932). Elle jouera plus tard dans sa Veillée d’Amour (1939). Robert Taylor, lui, est encore un jeune premier. Il connaitra enfin le succès deux ans après, avec Le Roman de Marguerite Gautier de George Cukor, aux côtés de Greta Garbo.
        Dans la version de Sirk, le couple est formé par Rock Hudson et Jane Wyman. Hudson avait lui déjà joué dans deux films de Sirk : la comédie Qui donc a vu ma belle ? (1952) et le western Taza, fils de Cochise (1954).
        La mise en scène de Sirk et son style sont probablement plus intéressants à étudier que ceux de Stahl. Selon Sirk, Le Secret magnifique serait le premier mélodrame dans lequel il a pu en toute liberté exprimer sa conception du genre. Dans son Secret magnifique, Sirk transcende et intensifie le réel grâce à une stylisation extrême des couleurs. Il semble ainsi vouloir montrer la magnifique beauté du monde que manquent les aveugles, beauté qui rejoint d’ailleurs celle des sentiments. Avec ces décors peints, ce technicolor flamboyant et cet univers aseptisé de riches milliardaires, Sirk assume donc pleinement l’artificialité du genre mais il le fait par souci d’épure, dans le but de se centrer plus précisément sur les sentiments.

        Avec Sirk, la vie est plus belle au cinéma et le spectateur doit l’accepter s’il veut pleinement adhérer à ses films. Sa mise en scène est donc bien plus spectaculaire (on nous montre l’accident en bateau de Bob Merrick) et plus virtuose que celle de Stahl. Sirk privilégie les gracieux mouvements de caméra et la musique symphonique, complétée par de la musique classique (Chopin, Beethoven, Strauss).

        Alors que le film de Stahl est plus classique et peut-être plus religieux, celui de Sirk paraît sûrement plus éblouissant, plus abouti visuellement et stylistiquement. Mais quelle que soit sa version, Le Secret magnifique reste un poignant mélodrame, profondément émouvant.

19.07.08.

[1] La clairvoyance des aveugles est une thématique fréquente dans le cinéma hollywoodien [cf. La Fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale ou encore La Maison dans l’Ombre (1951) de Nicholas Ray].
[2] Lloyd Douglas (1877-1951) est l’auteur de best-sellers tels que La Tunique (1942), adapté en 1953 par Alfred Newman, ou Simon le pêcheur (1948), adapté en 1959 par Frank Borzage. Il donna aussi une suite au Secret magnifique avec Doctor Hudson’s secret journal (1939).

mercredi 16 juillet 2008

Le Silencieux (1972) de Claude Pinoteau


        Assistant réalisateur depuis les années 50 pour de talentueux metteurs en scène français[1], Claude Pinoteau, après quelques courts-métrages, réalise en 1972 son premier long métrage, Le Silencieux, un film d’espionnage avec Lino Ventura.


        Le Silencieux sort un an avant Scorpio de Michael Winner et Le Piège de John Huston. Il fait partie de ces films d’espionnage avec fond de guerre froide qui fleurissent suite au succès de L’Espion qui venait du froid (1965) de Martin Ritt. Comme Le Serpent d’Henri Verneuil qui sortira l’année suivante, le film emploie quelques vedettes étrangères. On y trouve ainsi dans des seconds rôles d’agents du MI5, deux acteurs anglais : Leo Genn[2] [le Pétrone de Quo Vadis (1951) de Mervyn LeRoy] et Robert Hardy (qui jouait dans L’Espion qui venait du froid).
        Même si le personnage principal n’est pas un espion, le film baigne dans l’ambiance du film d’espionnage. Ici, il est question d’un physicien d’une délégation scientifique soviétique en visite en Grande-Bretagne qui est enlevé lors d’un faux accident de la route. L'homme est en fait un savant français qui fut forcé plusieurs années auparavant de travailler pour les Soviétiques. Contraint par les services de la Military Intelligence, il dénonce deux agents doubles. Libéré sous une autre identité, il est dès lors traqué par le KGB…

        Adapté d’un roman de Francis Ryck (Drôle de pistolet), Le Silencieux joue sur la paranoïa d’un KGB omniprésent et tout puissant. Clément, le savant interprété par Ventura, tentera de s’enfuir en partant pour la France, puis la Suisse. Il finira par se retrouver en montagne, en pleine nature, seul avec un chien. Même au milieu de nulle part, il sera rattrapé.

        Pinoteau, influencé par Hitchcock et ses deux films d’espionnage (Le rideau déchiré de 1966 et L’Etau de 1969), fait même référence à L’Homme qui en savait trop (1956) avec la scène du concert symphonique de Genève. Il signe ici une réalisation efficace, nerveuse, très elliptique. Il nous donne quelques scènes obligatoires du genre, comme un interrogatoire basé sur le chantage ou encore une impressionnante poursuite en voiture sur l’autoroute. Mais il échoue un peu en rajoutant des scènes intimes où Clément retrouve sa femme (Léa Massari) qui l’a désormais quitté. En effet, cette histoire de famille ralentit le rythme oppressant de l’action et n’apporte pas grand-chose.


        Porté par un excellent Ventura, parfait en héros cynique et taciturne, Le Silencieux est un bon film d’espionnage, pas forcément brillant et très original, mais bien ficelé.
Après le succès du Silencieux, Claude Pinoteau se tournera vers la comédie avec son film suivant, La Gifle (1974), toujours interprété par Lino Ventura et scénarisé par Jean-Loup Dabadie. La collaboration du trio se poursuivra encore avec La 7ème cible (1984). Pinoteau dirigera aussi seul Ventura dans L'Homme en colère (1979).

16.07.08.




[1] Il a collaboré avec Philippe de Broca [Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965)], René Clément [Le Jour et l’Heure (1963)], Jean Cocteau [Orphée (1950)], Gilles Grangier [L’Amant de paille (1951)], Claude Lelouch [Le Voyou (1970) et L’Aventure, c’est l’Aventure (1972)], Max Ophuls [Lola Montès (1955)], Jean-Pierre Melville [Les Enfants terribles (1950)] ou encore Henri Verneuil [Les Amants du Tage (1955), Un Singe en hiver (1962), Mélodie en sous-sol (1963), Cent Mille Dollars au Soleil (1964), La Vingt-cinquième Heure (1967), La Bataille de San Sebastian (1968)]. Il a été aussi assistant réalisateur sur quelques films de son frère Jacques [Ils étaient cinq (1951), Le Grand Pavois (1954) et Le Triporteur (1957)].
[2] On retrouvera Leo Genn dans Le Piège (1973) de John Huston.

dimanche 13 juillet 2008

The Criminal Code / Le Code Criminel (1931) d’Howard Hawks

        Esquissé et préfiguré par des films comiques[1] et par L’Assommeur (1929) de Joseph Von Sternberg, le film de prison, sous-genre du crime movie américain, naît vraiment au tournant des années 30, avec l’avènement du parlant. The Big House (1930) de George W. Hill, produit par la MGM, est considéré comme le premier film du genre. Comme si les studios voulaient riposter, sortent ensuite Numbered Men (1930) de Mervyn LeRoy, produit par la Warner et Le Code criminel (1931) d’Howard Hawks, produit par la Columbia.


        Si Scarface (tourné en 1930, mais distribué en 1932) devait beaucoup aux Nuits de Chicago (1927) de Joseph Von Stenberg, Le Code criminel semble, lui, beaucoup devoir à un autre film de Stenberg, L’Assommeur (1929), et surtout à The Big House (1930) de George W. Hill qui, comme le disait lui-même Hawks[2], « l’a[vait] fait mieux que moi ». Mais à propos de l’influence qu’avait exercée Scarface sur Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola, Hawks déclarait aussi : « Comment parler de vol ? Je vole autant que n’importe qui, alors je ne peux pas les blâmer »[3].
        Donc, contrairement à ce que l’on pourrait penser, de même que Scarface n’est pas le premier film de gangster, Le Code criminel n’est pas le premier film de prison. Profitant généreusement de bases préalablement instaurées, ces deux films confortent l’installation des genres et, en assimilant leurs règles, ils en deviennent d’excellents modèles, des films moteurs.

        En effet, Le Code criminel est un film très caractéristique de ce presque genre qu’est le film de prison. On y retrouve des lieux associés à des possibilités narratives : la lugubre et petite pièce sans lumière où l’on enferme seul le détenu suite à une désobéissance ; le parloir et la séance de la visite ; l’usine où le prisonnier peut travailler, liée au bruit et menant à l’aliénation ; les discussions à voix basse dans la cantine située dans un grand hall ; les marches en rangs puis, la longue pause dans la cour ; la confrontation avec le directeur de la prison dans son bureau…
        On assiste aussi dans Le Code criminel à d’autres inévitables scènes du film de prison telles que le meurtre d’un mouchard par les autres détenus, le dur traitement d’un garde sadique, l’insubordination des prisonniers qui chahutent, criant et cognant leurs quarts contre les barreaux de leurs cellules, refusant d’obéir aux ordres ou encore l’évasion, sa préparation et son déroulement.

        Adapté d’après une pièce de théâtre de Martin Flavin[4] par les scénaristes Seton I. Miller[5] et Fred Niblo, Jr., le fils du réalisateur de grands films muets, Le Code criminel est pourtant un film très réaliste sur le monde carcéral. Hawks aurait même tenu à ce que d’authentiques détenus jouent leurs propres rôles. Quant au choix des acteurs, Boris Karloff (qui jouait aussi dans Scarface) a été repris pour le rôle qu’il tenait déjà à Broadway, celui d’un détenu inquiétant rendant parfois quelques services de barbier. L’année suivante, il allait se révéler avec le rôle de la créature de Frankenstein dans le film de James Whale et celui du diabolique Fu Manchu dans Le Masque d’Or de Charles Brabin.
        Phillips Holms[6] joue Robert Graham, jeune homme qui se retrouve en prison pour avoir tué en légitime défense le fils du procureur chargé du procès. Le cynique procureur (interprété par Walter Huston[7]) à la sempiternelle devise « Œil pour œil, dent pour dent », n’est autre que le futur directeur de la prison dans lequel Robert sera envoyé. Pour ajouter encore plus de malchance pour notre héros, Robert tombera d’ailleurs amoureux de sa fille (Constance Cummings).

        Le Code criminel a beau être un film de genre sérieux, voulant dénoncer les dures conditions de vie carcérale, on y perçoit déjà la modernité d’Hawks, consistant à tourner en dérision les genres classiques par le biais de la comédie comme il le fera si bien plus tard. En effet, au tout début du film, deux policiers chargés d’interpeller Robert ne cessent de se chamailler à propos d’un pari, la culpabilité du jeune homme ne les intéressant nullement. Préférant la comédie et jouant sur les nerfs du spectateur pendant au moins cinq bonnes minutes, Hawks se détache alors d’une histoire qui semble peu lui importer. Il n’en sera pas de même pour la suite du film.


        Troisième film parlant d’Hawks, Le Code criminel est un film de prison convaincant bien qu’il ait un peu vieilli. Le film connut un grand succès et marqua une étape importante dans l’histoire du genre si bien qu’il donna lieu plus tard à deux remakes, toujours par la Columbia : Prison centrale (1938) de John Brahm et La Loi des Bagnards (1950) d’Henry Levin, avec Glenn Ford et Dorothy Malone.

13.07.08.



[1] Charlot s'évade (1917) de Chaplin, Derrière les barreaux (1929) de James Parrott avec Laurel et Hardy et The Chain Gang (1930), un cartoon de Disney
[2] In Hawks par Hawks (1987) de Joseph Mc Bride, page 215.
[3] In Hawks par Hawks (1987) de Joseph Mc Bride, page 210.
[4] Martin Flavin avait déjà participé au scénario de The Big House (1930) de George Hill. Notons d’ailleurs que Le Code criminel reprenait aussi les décors de la prison de The Big House, spécialement prêtés par la MGM.
[5] Seton I. Miller collabora à huit reprises avec Howard Hawks qu’il a accompagné lors de son passage du muet au parlant depuis Prince sans amour (1927) jusqu’à La Foule hurle (1932), à l’exception de L’Affaire Manderson (1929).
[6] Phillips Holms connut son heure de gloire en participant au début du crime movie américain avec des films tels que Une Tragédie américaine (1931) de Joseph Von Stenberg, produit par la Paramount, Night Court (1932) et Penthouse (1933) de Woody S. Van Dyke, produits par la MGM, ou encore Million Dollar Ransom (1934) de Murray Roth, produit par la Universal.
[7] Walter Huston retrouvera Howard Hawks pour Le Banni (1943).

vendredi 11 juillet 2008

Objectif 500 millions (1966) de Pierre Schoendoerffer


        Après le succès de La 317ème Section en 1964, Pierre Schoendoerffer accepte, sous l’influence de son producteur Georges de Beauregard, de réaliser un polar. Produit par Rome-Paris Films, Objectif 500 millions sera en prise avec la réalité des années 60 et comprendra à son générique Marisa Mell, une actrice en vogue jouant dans des coproductions internationales. Mais, si Schoendoerffer remplit le cahier des charges, il ne renonce pas pour autant à ses thèmes favoris. Vrai polar et véritable film de Schoendoerffer, Objectif 500 millions est une œuvre particulièrement intrigante et intéressante.


        Objectif 500 millions est assurément un authentique polar comme le prouve son histoire, typique du genre. Le personnage principal, Jean Reichau, sort à peine de prison qu’il met déjà au point un braquage. Il s’agit de voler un sac postal, transporté par avion de Paris à Bordeaux, contenant cinq cent millions de Francs.
        Film de casse avec une préparation minutieuse, Objectif 500 millions détient donc de nombreuses caractéristiques du film noir : un personnage principal sombre et cynique, des personnages secondaires ambigus et inquiétants, une ambiance nocturne instaurée par un glacial noir et blanc et une musique jazz de Pierre Jansen (qui signait déjà la partition de La 317ème Section). Les scènes du début (un homme astiquant dangereusement son pistolet devant une glace, dans le noir d’une chambre d’hôtel, éclairée par la lumière clignotante d’un néon ; une rencontre dans un garage, virant rapidement à la violence) sont à ce titre particulièrement mystérieuses.
        On retrouve aussi d’autres éléments relatifs au genre, comme le décor d’une salle de boxe ou le ciré porté par Reichau semblable à celui d’Alan Ladd dans Le Tueur à gages (1942) de Frank Tuttle. La fin du film où Reichau se fait abattre de dos alors qu’il tente de s’enfuir en courant vers une plage n’est d’ailleurs pas sans rappeler le tragique final de Quand la ville dort (1950) de John Huston.

        Suivant la mode du renouveau du film noir en France, Objectif 500 millions est donc bien un film de son temps, contrairement aux films antérieurs de Schoendoerffer. En effet, ses trois premiers films, d’après Joseph Kessel ou Pierre Loti, étaient d’un autre monde (spatial ou temporel). Quant à La 317ème Section, le film se rapportait à une guerre finie depuis dix ans lors de sa sortie.
        Objectif 500 millions est en prise avec la réalité de la France des années 60 : Yo, qui fait partie du gang, est une femme top model aux robes artificielles et dont les photos ornent les rues des cités ; on y aperçoit un disque de Bob Dylan (The Times, they are a-changin’) ou une affiche de Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard. Et surtout, on voit sans arrêt à la télévision des images de la guerre du Vietnam.

        Schoendoerffer ne délaisse pas ses principales préoccupations dans Objectif 500 millions. On retrouve en effet son univers avec ses acteurs (Bruno Cremer) et ses thèmes (le soldat perdu). Reichau n’est autre qu’un ancien para qui a été emprisonné pour avoir participé au putsch en Algérie. A sa sortie de prison, il se trouve seul, sans travail, sans argent et cruellement marqué par l'issue d'un combat qu'il n'a pas acceptée. Reichau n’arrive pas à se réadapter normalement, devenant ainsi complètement désespéré et profondément asocial. Il fréquente cependant quelques amis vietnamiens et d’anciens militaires.
        Parmi ces anciens, Douard, qui a servi sous ses ordres, se propose de l'aider. Mais, c’est justement Douard qui a dénoncé Reichau, lequel ne manquera pas de se venger. Comme de nombreux personnages dans l’œuvre de Schoendoerffer, le capitaine Jean Reichau, blessé dans son honneur, ira jusqu’au bout de son triple combat (vengeance, réussite du hold-up et poursuite de l’action de l’OAS). Mais cet engagement ne serait-il pas absurde, mené par la folie ? C’est ce que semble insinuer Jorge Semprún qui signe ici son premier scénario. On s’étonnera d’ailleurs de cette curieuse collaboration entre un réalisateur conservateur et un écrivain d’extrême gauche, connu pour son militantisme communiste.


        Merveilleux polar avec une incroyable épaisseur psychologique, Objectif 500 millions est donc un film très réussi. Ce n’est pas le meilleur film de Schoendoerffer mais il reste un agréable et surprenant petit bijou dans sa filmographie.

11.07.08.

mercredi 9 juillet 2008

La Section Anderson (1967) & Réminiscence : La Section Anderson, vingt ans après (1987) de Pierre Schoendoerffer


        La guerre du Vietnam semble avoir peu intéressé le cinéma français à son époque. En effet, en 1967, alors que les réalisateurs de la Nouvelle Vague se lancent tous de façon symbolique dans l’aventure d’un documentaire collectif, Loin du Vietnam, explorant la voie de l’engagement politique à la façon du Néerlandais Joris Ivens, rares sont ceux qui évoquent la guerre dans leurs films. Eternel baroudeur et solitaire, Pierre Schoendoerffer décide cependant de faire le déplacement et de suivre pendant six semaines une section de soldats américains en mission dans la jungle vietnamienne. Formidable reportage, La Section Anderson est un précieux document d’histoire, frappant de vérité.


        Reporter pour Paris Match et soldat caméraman pendant la guerre d’Indochine, Pierre Schoendoerffer a avant tout exercé une carrière de journaliste. Son premier film d’ailleurs, La Passe du Diable (1956), cosigné avec Jacques Dupont, était déjà un documentaire romancé sur l’Afghanistan. Après La 317ème Section (1964), film de guerre encore très réaliste, il n’est donc pas étonnant que Schoendoerffer aille tourner La Section Anderson, un documentaire destiné à la télévision, financé et diffusé par la fameuse émission Cinq Colonnes à Une.
        En 1967, Pierre Schoendoerffer part donc pour le Sud du Vietnam, dans un des secteurs les plus dangereux du pays. Il va suivre, caméra à l’épaule, trente trois hommes d’une division de cavalerie américaine, commandée par le lieutenant Joe Anderson, un jeune noir de vingt-quatre ans issu de West Point. Progressivement, les multiples visages nous deviennent presque tous familiers.
        Refusant toute politisation, Schoendoerffer préfère nous montrer le quotidien des soldats. On les voit ainsi assister à une messe en plein air, entonner des chants religieux rivalisant avec le pilonnage de l’artillerie, profiter d’une permission pour aller au bordel ou encore s’amuser en groupe en fumant et riant autour d’un magazine Play boy.
        Le combat nous est présenté avec une extraordinaire sobriété : l’ennemi parait invisible, les marches sont longues, les fausses alarmes nombreuses. Les accrochages sont rapides, nerveux et on entend siffler le crépitement des balles. Les officiers agissent avec calme et rigueur en même temps que les blessés se vident de leur sang. Les bruits des hélicoptères sont assourdissants. Pas d’héroïsme donc, pas de lyrisme : juste une vérité toute nue, rythmée par un stressant battement de cœur qui constitue la seule musique du film.



        Fort et rude, La Section Anderson marqua beaucoup les Américains si bien que le film finit par remporter l’oscar du meilleur documentaire de l’année 1968 et, ce ne fut pas le cas en France, il bénéficia aux Etats-Unis d’une sortie en salles.

        Vingt ans après La Section Anderson, Schoendoerffer décida de retrouver les anciens membres de la patrouille. On constate avec amusement le destin et la trajectoire de chacun : l’un a épousé la fiancée de son meilleur ami, mort à la guerre, un autre a décidé de vivre reclus en pleine nature. Tous semblent avoir été marqués par cette guerre comme le prouvent bien ces flashs qui ponctuent le film. Alors qu’un vétéran nous avoue avoir peur à chaque fois qu’il se promène dans la forêt, qu’il ne peut plus que dormir par terre, un autre astique machinalement et dangereusement sa mitraillette pendant l’interview. Mais le film reste avant tout un excellent ensemble de portraits humains, toujours sensibles et compréhensifs.


        Tout en conservant le regard objectif du journaliste, Schoendoerffer parvient cependant à nous rendre sympathiques les visages anonymes qu’il montre, prouvant ainsi avec ces deux films, qu’il est aussi bon documentariste que romancier ou cinéaste.

09.07.08.

mardi 8 juillet 2008

The Great Sinner / Passion fatale (1949) de Robert Siodmak



        Après une série d’excellents films noirs pour la Fox ou la Universal, Robert Siodmak tourne son unique film pour la MGM, laquelle, à l’occasion des 25 ans de sa création, se lance dans des productions de prestige. Passion fatale a toujours été désavoué par Siodmak, pourtant, le film, servi par une superbe distribution et plongé dans une atmosphère résolument noire, est loin d’être dénué d’intérêt.


        Même si le nom de Dostoïevski n’est pas mentionné au générique, Passion fatale est de façon évidente une adaptation de son roman Le Joueur, écrit en 1866. Mais, dans une volonté de faire un condensé de l’œuvre de l’auteur russe, les scénaristes ont repris pour le personnage principal du film, le prénom de Dostoïevski lui-même, le roman étant déjà semi-autobiographique. De plus, la tentation du meurtre d’une usurière n’est pas sans rappeler Crime et châtiment.
        Parti pour effectuer un long séjour à Paris, Fédor (Gregory Peck), un écrivain russe, rencontre dans le train la fascinante Pauline Ostrovski (Ava Gardner). Il décide d'interrompre son voyage initialement prévu afin de ne pas la quitter à Wiesbaden. Pauline y retrouve bientôt son père, le général Ostrovski, qu'une dévorante passion du jeu entraîne tous les soirs au casino de la ville. Le militaire, presque ruiné, est contraint d'accorder la main de sa fille au directeur du casino pour effacer ses dettes. Bien résolu à sauver Pauline de ce triste sort, Fédor tente lui aussi sa chance au jeu. Il se trouve rapidement pris par la fatale et infernale passion...

        Passion fatale est avant tout une histoire sombre et malsaine sur des menteurs, tous obsédés par l’argent. Même la folie atteindra Fédor et la transformation du calme Gregory Peck en suant névrosé du jeu est particulièrement hallucinante. C’est à ce moment que Siodmak excelle le plus en instaurant une atmosphère expressionisante grâce à des cadrages impressionnants et à une photographie en noir et blanc très contrastée. Notons aussi que la reconstitution de Wiesbaden au XIXème siècle est tout à fait remarquable.

        La concentration des meilleurs techniciens de la MGM et d’une bonne brochette d’acteurs (parmi lesquels, en seconds rôles, Melvyn Douglas, Walter Huston, Ethel Barrymore, Frank Morgan et Agnès Moorhead) font de Passion fatale un merveilleux film de studio.
        Outre deux versions de Crime et Châtiment (celle de 1935 par Joseph Von Stenberg et celle de 1959 par Denis Sanders), Hollywood s’emparera de nouveau de Dostoïevski avec l’adaptation des Frères Karamazov par Richard Brooks en 1958, année même où la Qualité française allait aussi s’attaquer au Joueur avec le film éponyme de Claude Autant-Lara.


08.07.08.

samedi 5 juillet 2008

Serpico (1973) de Sidney Lumet



        Après une escapade anglaise avec Sean Connery pour deux films (Le gang Anderson en 1971 et The Offence en 1972) et un succès mitigé lors de son retour aux Etats-Unis avec Les Yeux de Satan (1972), Sidney Lumet quitte les huis clos théâtraux et étouffants pour les grandes artères de New York, la ville dans laquelle il est né et a toujours vécu. Serpico est donc un polar urbain qui, comme French Connection (1971) de William Friedkin, s’inspire d’une histoire vraie. Il s’agit de la lutte contre la corruption menée par l’inspecteur de police Frank Serpico qui détient une même force de conviction que son homologue Popeye Doyle, tout aussi solitaire, mais qui diffère cependant de Serpico par une constante nécessité d’action. Uniquement centré sur le personnage éponyme du film, Serpico nous présente en effet un être tragique et absurde, victime d’une totale impuissance.


        Le film de Lumet insiste avant tout sur l’humanité du personnage véridique de Frank Serpico. D’origine italienne, Serpico est un flic intègre : drôle et fantasque, il est plus à l'aise dans les soirées branchées de la jeunesse contestataire que parmi ses collègues policiers. Il habite Greenwich Village et épouse progressivement le style vestimentaire du mouvement hippie, convaincu que la police doit ressembler à ceux qu'elle surveille. Entêté et très idéaliste, il est donc très déçu lorsqu’il découvre avec effroi la corruption de ses pairs qui extorquent des pots-de-vin aux criminels. En s’opposant ouvertement à ces méthodes, Serpico connaît donc l’animosité de tous les policiers de New York.
        Ses collègues finiront enfin par le trahir lors d'une opération de rue où il frôle la mort en recevant un projectile d'arme à feu à la figure. C’est sur l’arrivée aux urgences d’un Serpico blessé que s’ouvre le film dont la construction se fera dès lors en flash-back. Déshabillé sur la table d’opération, Serpico est mis à nu : difficile de ne pas apercevoir une figure christique dans ce visage encadré par une barbe et des cheveux longs. L'intransigeance du héros le hisse en effet au rang de martyre : rejeté par les siens (les policiers), il l’est aussi par ses proches (sa vie conjugale se détériore).
        Mais avant d’être un héros tragique, Serpico est un héros absurde qui se bat contre des moulins à vents. En effet, le film de Lumet n’est pas l’histoire d’un homme en lutte contre la corruption de la police mais celle d’un policier qui tente de trouver vainement une police des polices non corrompue. Même lorsqu’il il révèlera au grand jour le scandale en le racontant au New York Times, l'affaire sera étouffée. Après l’échec de sa croisade, il décide de se réfugier en Suisse. Le film se clôt sur le plan de Serpico attendant son départ sur un embarcadère, seul avec son chien.
        Le caractère absurde cette histoire kafkaïenne d’un être en guerre dérisoire contre la société trouve d’une certaine façon son prolongement dans le décalage complet que provoque l’étonnante musique grecque de Mikis Theodorakis, plutôt inappropriée.

        Avec ses scènes d’interpellations, d’arrestations et de filatures, Serpico joue la carte du réalisme et la caméra nerveuse de Lumet n’oublie pas de filmer avec une frappante authenticité l’agitation de la ville de New York. Quant à Al Pacino (dont ce n’est que le cinquième film !), il est bien évidement hallucinant dans le rôle de Serpico. Pour sa brillante composition, il fut cité à l'Oscar du meilleur acteur en 1974, sa seconde nomination après celle du Parrain en 1973. Il remporta néanmoins le Golden Globe du meilleur acteur. Notons aussi que le film fut également cité à l'Oscar du meilleur scénario.


        Film captivant et sans défaut, Serpico est donc un film incontournable du cinéma américain des années 70. Le film connut un tel succès qu’il engendra même une éphémère série TV en 1976. Quant à Sidney Lumet, il allait retrouver Al Pacino en 1975 pour Un Après-midi de chien et aborder de nouveau le thème de la corruption dans la police avec Le Prince de New York (1981), Contre-enquête (1990) et Dans l’ombre de Manhattan (1997).

05.07.08.