dimanche 24 août 2008

National Treasure: Book of Secrets / Benjamin Gates et le Livre des Secrets (2008) de Jon Turteltaub


        On ne compte plus les imitations d’Indiana Jones tant elles deviennent nombreuses. Benjamin Gates et le Livre des Secrets, la copie la plus récente, tente même de rivaliser avec l’original, ou presque. Il vient de sortir cinq mois (trois pour la France) avant le dernier opus de la série de Spielberg et Lucas, Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal. Cependant, même si la dernière apparition du célèbre archéologue n’était pas la meilleure, la comparaison ne tient pas une seconde la route. En effet, le deuxième volet de la série des Benjamin Gates correspond parfaitement à la définition du mot ersatz : c’est la même chose, mais en moins bien, en beaucoup moins bien…


        Dans Benjamin Gates et le Trésor des Templiers (2004), premier épisode de la saga déjà réalisée par Jon Turteltaub (auteur de comédies dans les années 90), la quête de l’aventurier interprété par Nicholas Cage était déjà comprise dans le titre. Maintenant, dans Benjamin Gates et le Livre des Secrets, la chasse au trésor va mener notre héros sur les traces de la franc-maçonnerie, de la Guerre de Sécession, d’une possible conspiration britannique contre les Etats Unis, pour aboutir enfin à un trésor aztèque d’une mystérieuse cité d’or. Ai-je oublié quelqu’un dans cette révision de l’Histoire ?
        En effet, Gates tente d'innocenter son ancêtre, accusé (injustement bien entendu) d'avoir participé à l'assassinat du président Abraham Lincoln. L'enquête le conduit, lui et ses comparses, aux abords de la Seine à Paris, au cœur de Buckingham Palace à Londres, tout en passant par le bureau ovale de la Maison Blanche et le mont Rushmore. Bref, même si les destinations ne sont pas aussi exotiques que dans Indiana Jones, le spectateur moyen en aura pour son argent : dans Benjamin Gates, on voyage !

        « Cela va nous mener au plus grand trésor de tous les temps ! » énonce à un moment Nicholas Cage, sans aucune ride, d’un ton hyper sérieux. On regrette les intonations désabusées et ironiques d’Harrison Ford ainsi que son inimitable sourire en coin. Car avouons-le : Benjamin Gates se prend trop au sérieux.
        D’ailleurs, chose amusante, Benjamin Gates a aussi hérité des énigmes historico-fumeuses du Da Vinci Code (2006), Nicholas Cage s’amusant à jouer les profs de conférence avec rétroprojections comme Tom Hanks dans le film de Ron Howard.
        On sourit lorsque Gates feuillette le livre secret de tous les présidents américains (contenant des révélations sur tous les grands mystères du pays) et explique à son partenaire qu’il est trop pressé et ne peut pas s’attarder sur le chapitre consacré à l’assassinat du président Kennedy. Justin Bartha (acteur de télé principalement), le « side-kick » de Nicholas Cage, sort deux ou trois vannes marrantes mais, dans l’ensemble, Benjamin Gates n’est pas très drôle.

        Beaucoup d’éléments qui faisaient la réussite d’Indiana Jones manquent donc à son pauvre et lointain cousin. Non seulement la cocasserie a disparu, mais, en plus, le rythme de l’action est très mauvais (montage vraiment trop rapide) et, après une captivante première demi-heure, on décroche facilement. Le film paraît long et l’on en sort en soupirant, fatigué par le final d’effets spéciaux puant le numérique, qui ne vaut pas le moins du monde les tendres trucages des anciens Indiana Jones, manuels et artisanaux, complètement artificiels.

        Enfin, on réalise que Benjamin Gates, avec ses courses-poursuites en grosses voitures noires et ses ordinateurs sophistiqués et ultramodernes, a perdu du charme en modernisant le côté rétro années 30 et exotique d’Indiana Jones. Jerry Bruckeimer a en fait pondu une grosse superproduction comme il sait si bien le faire et nous a modelé un Indiana Jones aseptisé. Produit par Disney, Benjamin Gates et le Livre des Secrets baigne même dans un esprit très familial.
        La série des Indiana Jones était au contraire, non pas un film pour enfants, mais un film pour adolescents. En effet, le rythme de l’action des épisodes est épuisant et excitant et le deuxième épisode apparaît particulièrement sombre et violent (il fut interdit aux moins de 13 ans aux Etats-Unis lors de sa sortie). Dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue, on voyait d’ailleurs Indiana pousser un méchant vers un avion en marche et sa tête était décapitée dans une scène, certes non dénuée d’humour, mais somme toute, assez sanglante et brutale. Dans Benjamin Gates, on verra en aucun cas ce genre de chose.

        Destiné à un large public, Benjamin Gates et le Livre des Secrets véhicule un état d’esprit rassurant, très américain. Il doit d’ailleurs être l’unique film du moment à présenter une figure positive d’un président en cette fin de mandat de George W. Bush. En effet, lors d’une scène rocambolesque, Gates prend en otage le président des Etats-Unis pour l’interroger afin de connaître l’emplacement confidentiel du fameux livre des secrets. Le séquestré agit avec complaisance, comprenant très bien que Gates soit prêt à tout pour laver l’honneur de son arrière-arrière grand-père qui a été insulté. Avec son titre original (National treasure), Benjamin Gates semble en effet être un film d’institution nationale, une marque d’état…

        On regrette donc que beaucoup de stars se soient fourvoyées dans cette (més)aventure naïve. Ainsi, au casting du premier opus (l’allemande Diane Kruger en copine de Benjamin Gates, Harvey Keitel en flic admiratif et Jon Voight[1] en papa affectueux), s'ajoutent les noms d’Helen Mirren, ex-Queen, en maman érudite[2], et d’Ed Harris en rival glacial, vraiment très méchant.

        Benjamin Gates et le Livre des Secrets est un petit divertissement sympathique mais qui fait peine à voir puisqu’il prouve par son succès commercial que le cinéma hollywoodien contemporain n’est qu’une machine à merde, recyclant et servant sans cesse les mêmes plats (en les modernisant tout de même) à un public débile, qui ne s’en lasse jamais. Mais une chose est sûre : Benjamin Gates n’a pas et n’aura jamais la saveur d’Indiana Jones. Pourtant, il est pratiquement certain que tôt ou tard Jon Turteldaube, euh Turteltaub pardon, va récidiver pour signer l’inévitable troisième aventure (incident, plutôt) de Benjamin Gates. Mais si l’aventure a un nom, cela restera à jamais celui d’Indiana Jones.

24.08.08.


[1] Si l’on réfléchit bien, on peut constater que John Voight est déjà en quelque sorte parent d’une autre copie d’Indiana Jones. C’est en effet le père d’Angelina Jolie, seule actrice à avoir incarné avec la série des Lara Croft, un pendant féminin du célèbre archéologue inventé par Georges Lucas. Cependant, John Voight ne jouait pas dans ces films-là.
[2] En rajoutant le personnage de la mère, les auteurs du film tentent comme dans les Indiana Jones de jouer sur les relations familiales.

samedi 23 août 2008

Into the Wild (2008) de Sean Penn

        Into the Wild est le cinquième film de l’acteur Sean Penn en tant que réalisateur. Sean Penn, éternel baroudeur (dans tous les sens du terme) s’est beaucoup investi dans ce projet qui lui tenait à cœur. Il a produit lui-même le film et en a écrit le scénario. Il s’inspire de l’idéologie des films des années 60-70 et signe avec Into the Wild une quintessence du road movie.


        Inspiré d’une histoire vraie, Into the Wild s’intéresse à l’odyssée de Christopher McCandless, un jeune idéaliste qui traversa toute l’Amérique à partir de 1992 jusqu'à sa mort en 1994. En tenant régulièrement un journal et en prenant des photos, Chris a laissé beaucoup de traces de son voyage, ce qui explique le fort réalisme du film.

        Le début d’Into the Wild ressemble au Lauréat (1967) de Mike Nichols : sortant diplômé de l’université, Chris devient vite dégouté par l’avenir brillant et facile qui lui est tout tracé. Son père, ingénieur à la NASA, lui parle d’argent, de nouvelle voiture, de carrière alors que cette vie matérialiste l’insupporte. Chris, qui a soif de liberté, décide alors de tout quitter.

        Obstiné et courageux, il va laisser derrière lui sa famille et son compte bancaire, changer d’identité en se faisant appeler Alex Supertramp et prendre la route, le sac sur le dos. Son but ultime devient alors d’atteindre l’Alaska pour vivre en harmonie avec la Nature. Mais on s’en doute : le périple s’avérera tant spatial qu’intérieur.

        La construction du film, rigoureusement chapitré, n’est pas chronologique (il y a d’ailleurs de nombreux flashbacks visant à éclaircir l’enfance de Chris) mais suit une dramatisation linéaire. Elle fonctionne surtout en suivant la syntaxe du road movie.
        Ici, il n'y pas l’idée de la rencontre finale avec un double, un alter ego, mais plutôt celle d’une découverte de soi. Seul sur la route, se retrouvant face-à-face avec lui-même, Chris va devoir se « dépasser », c’est-à-dire aller plus loin que lui-même.

        Into the Wild aborde bien entendu le thème de la route. On assiste en effet à la scène quasi-obligatoire du passage à tabac ainsi qu’aux nombreuses rencontres que va faire Chris sur son chemin. Il semble trouver une nouvelle famille : une pseudo-fiancée en la personne d’une jeune chanteuse folk, un couple de parents hippies, un grand père solitaire abandonné. Avec ce portrait attendri de la communauté hippie, Sean Penn semble vouloir démontrer que les vrais Américains sont les marginaux. Comme les bikers d'Easy Rider (1968) de Dennis Hopper, seuls eux détiennent la vraie liberté.

                La question essentielle d’Into the Wild et de nombreux road movies, celle de L'Odyssée, jalonne tout le film : fallait-il vraiment partir alors que le bonheur était déjà à portée de main ? Lorsque Chris s’imagine dans la peau d’un citadin, cadre bien payé et sans histoire, la réponse lui paraît vite très claire. Si sa sœur lui manque tout de même un peu, il ne regrette pas ses parents qui se disputaient tout le temps et vivaient dans le mensonge.

        A la fin du film, lorsque Chris, sur le point de mourir (il a mangé une herbe non comestible) se retrouve reclus dans la carcasse d’un bus en pleine montagne, la question de la réussite de son expérience se pose pourtant de nouveau et c’est alors surtout l’échec qui semble l’emporter : sur la devanture de son "magic bus", n’a-t-il pas écrit son véritable nom au lieu de son pseudonyme ?
        En fait, parti dans la nature pour trouver la solitude, Chris réalise qu’il ne parvient pas à la supporter. Il ne peut survivre sans société et écrit dans son journal intime que le bonheur est fait pour être partagé. La boucle du road movie est bouclée: on ne peut s'échapper.

        Cependant, le message de Penn reste plus ambigu que cela. En effet, la dernière phrase que Chris murmure avant de quitter le monde demeure : « ils n'ont pas vu ce que j'ai vu ». Mais quoi ? The Wild, bien sûr : les paysages grandioses, la beauté de la nature que Penn parvient si bien à filmer avec Eric Gautier, son chef opérateur français[1].

        Dans le discours écologique d’Into the Wild (titre qui nous évoque d’ailleurs Jack London), Penn souligne à quel point l’homme s’est éloigné de cette nature tout en laissant des traces de son passage (le bus, par exemple). L’avion que voit Chris dans le ciel confirme en effet cette idée que l’homme survole cette nature, qu’il a conscience de son existence mais qu’il préfère toujours vivre en dehors, comme si la nature était un autre espace.

        Malgré la splendeur de la photographie, la mise en scène du film cache néanmoins quelques défauts. Alors que les plans en hélicoptère sont très impressionnants, le générique aux lettres vertes fluo est d’un assez mauvais goût et quelques effets (les ralentis notamment) ne sont pas toujours probants. Toutefois, le film gagne beaucoup dans son interprétation. En effet, la performance d’Emile Hirsch (il a 22 ans, l’âge de Chris) qui « la joue un peu à la DiCaprio » est particulièrement convaincante.


        Avec Into the Wild, Penn prouve qu’il a très bien saisi les enjeux du road movie. Mais, si les 2h30 du film sont dans l’ensemble très émouvantes, il faut avouer que le film de Penn sombre parfois dans le grandiloquent, un peu trop naïf et exalté. Il y a malgré tout un certain souffle dans ce film intelligent qui pose somme toute d’importantes questions existentielles au spectateur. Rappelons enfin qu’Into the Wild a été nominé à deux reprises à la dernière cérémonie des oscars (meilleur montage pour Jay Cassidy et meilleur second rôle masculin pour Hal Holbrook) mais n’a remporté aucune récompense.

23.08.08.


[1] Sean Penn a choisi Eric Gautier pour la direction de la photographie de son film puisque ce dernier avait été le chef opérateur d’un autre road movie, Carnets de Voyage (2004) de Walter Salles.

lundi 18 août 2008

There Will be Blood (2008) de Paul Thomas Anderson

        Pour son cinquième film, Paul Thomas Anderson change de cap et d’échelle de film. Avec There Will be Blood, il réalise une œuvre ambitieuse, un grand film, tant par son sujet que par son budget, plutôt important pour un film d’un représentant du cinéma américain indépendant. C’est une réussite incontestable qui semble justifier l’unanime acclamation des critiques lors de sa sortie.


        Très largement inspiré de Pétrole ! (1927) d’Upton Sainclair, There Will be Blood tente de revisiter les fondements de la société américaine. Dès le premier plan du film, Paul Thomas Anderson fait table rase du passé en nous montrant un majestueux et silencieux paysage désertique. Cette terre, c’est tout simplement l’Amérique.
        Le décor planté, la grande fresque sur la Californie allant de 1898 à 1927 peut alors commencer. Le film, qui dure plus de 2h30, prend son temps. Il faudra d’ailleurs attendre une bonne quinzaine de minutes pour entendre le son d’une voix. Le début, muet donc, nous présente l’acharnement d’un chercheur d’or qui creuse seul dans une galerie souterraine. Avec une caméra aussi brute que celle du Trou (1960) de Jacques Becker, Paul Thomas Anderson nous rappelle alors la puissance des images et affirme la capacité du cinéma à tout représenter.

        Ce chercheur d’or déterminé n’est autre que Daniel Plainview qui montre autant par sa propre sécheresse que par son nom qu’il est attaché à cette terre aride. Au lieu du précieux métal doré, il va finir par vraiment trouver de l’or noir cette fois-ci. De simple piocheur, il va ensuite s’élever au rang d’entrepreneur et de patron grâce à son acharnement. Avec une ambition de conquérant, il va progressivement s’approprier toutes les terres avoisinantes. Il rencontrera cependant une opposition, celle d’un fade homme d’église non convaincu par la sincérité de celui qui propose de construire une église en contrepartie d’un terrain.

        Sourire en coin, Plainview, se plaît à se présenter comme un « oilman ». Mais, malgré sa fine moustache et son air respectable d’honnête notable qui se promène constamment avec son jeune garçon, Plainview est un éternel manipulateur et menteur. Bref, cet amoureux de l’argent et de la notion de « propriété » se révèle la personnification même du capitalisme. Face à lui, Eli est aussi un habile manipulateur des esprits et des âmes. Prêchant au nom de sa foi, il ne parvient pas non plus à cacher son hypocrisie. Pratiquant des séances d’exorcisme et interpellant son dieu de façon ridicule, Eli est un véritable charlatan, à la façon d’Elmer Gantry.
        Si There Will be Blood parle de l’Amérique, c’est parce qu’il évoque aussi l’antagonisme constant entre capitalisme et religion qui a toujours marqué l’histoire de ce pays et ce, depuis le tout début, depuis la construction même de l’Ouest. Avec ce propos, Paul Thomas Anderson jette un œil nouveau sur la fondation des Etats-Unis dans le sens où il va plus loin que l’idée très westernienne d’un pays qui se bâtit tôt ou tard par la violence. Ici, il ne s’agit plus d’une lutte du bien contre le mal mais d’une opposition entre différentes valeurs.

        L’édification de l’Amérique par la violence se retrouve aussi en effet dans There Will be Blood. Le titre du film, très shakespearien, n’est d’ailleurs pas le plus exact : il devrait être plutôt « Oil appeals blood ». There Will be Blood est en fait placé sous l’ombre de Shakespeare et donc, par boule de neige cinématographique, sous celle de Welles et de son Citizen Kane (1941), autre grand film démesuré.
        Comme Citizen Kane, There Will be Blood raconte l’ascension, puis la chute d’un être géant, un personnage bigger than life. Sur la route de la réussite, Plainview va sombrer dans la paranoïa, devenir totalement associable. Il va perdre ses amis, son fils[1] et même son âme. Comme Kane, il finira sa vie, reclus dans un immense palace, vide comme le désert qui l’a toujours accompagné. Ici, le puzzle a été remplacé par une salle de jeu où, dans un final opératique à la Coppola, il assassinera de façon sauvage, en hurlant, le malingre pasteur à coups de boule de bowling.

        Cependant, on peut voir dans There Will be Blood plus qu’un simple film révisionniste sur l’Amérique, ce qui en soit était déjà pas mal. En effet, le film vise à suivre son époque et à dénoncer les grands magnats du pétrole qui, dans leur soif d’or noir, n’hésitent pas à envahir d’autres terres que les leurs, quelque part au Moyen Orient par exemple. Avouons qu’il est difficile en regardant There Will be Blood de ne pas faire un rapprochement avec l’actualité.

        Ambitieux donc dans ses desseins, There Will be Blood l’est évidemment aussi à des niveaux techniques, cinématographiquement parlant : la sublime photographie, signée par Robert Elswit, le chef opérateur désormais attitré du réalisateur, relève de la maniaquerie des austères films de Kubrick et la musique stridente et décalée de Johnny Greenwood du groupe Radio Head se révèle très avant-gardiste. Dans ce tableau lent et intimiste, Paul Thomas Anderson ne renonce d’ailleurs pas au spectaculaire, comme le prouve la scène très impressionnante de l’incendie du forage.
        Notons enfin que la réussite du film tient beaucoup à sa brillante distribution. Daniel Day Lewis, acteur caméléon prouve en incarnant Plainview qu’il est un digne héritier de Marlon Brando. Quant à Eli, il est interprété par le très prometteur Paul Dano, l’adolescent mutique adepte de Nietzche dans Little Miss Sunshine (2006) de Jonathan Dayton.


        Même s’il paraît marqué par l’ombre de Citizen Kane, There Will be Blood nous semble cependant assez neuf par bien d’autres aspects. Ce n’est pas le chef d’œuvre complet que toutes les critiques avaient annoncé, mais c’est un film parfait, qui justifie ses nombreuses récompenses et nominations à la dernière cérémonie des oscars[2].

18.08.08.


[1] Le thème de la relation filiale était déjà abordé dans Magnolia (1999).
[2] There Will be blood a remporté l’oscar de la meilleure photographie (Robert Elswit) et du meilleur acteur [Daniel Day Lewis gagne son second oscar après celui qu’il avait reçu pour son rôle de peintre handicapé dans My left foot (1989) de Jim Sheridan] et a été nominé pour celui du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario adapté, du meilleur montage sonore, du meilleur montage et aussi pour celui des meilleurs décors.

No Country for Old Men /No Country for Old Men: Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (2008) de Joel et Ethan Coen



        Délaissant la pure comédie, les frères Coen reviennent à leur veine du rire grinçant et de l’humour noir, très noir. Et cette fois-ci, les réalisateurs, grands admirateurs de film noir, abordent enfin (et il était temps) le deuxième genre cinématographique spécifiquement américain qu’est le western. Avec No Country for Old Men, les Coen font donc preuve de maturité artistique, préférant plutôt explorer la confluence des genres que s’inscrire sous la paternité d’autres auteurs, dans un climat résolument référenciel.

        Tiré d’un best-seller de Cormac McCarthy[1] sorti en 2005, No Country for Old Men est un polar noir à l’intrigue très épurée. Il s’agit d’une poursuite haletante entre Moss (Josh Brolin[2]), un cow-boy nonchalant, Chigurh (Javier Bardem), un effroyable tueur à gages et Bell (Tommy Lee Jones[3]), le vieux shérif du comté.
        Dans le même désert qui semble ne pas avoir bougé depuis cent ans, à la frontière entre le Texas et le Mexique, Moss trouve un butin sur une scène de crime : sur le sol aride gisent les cadavres de dealers chicanos dévorés par les rapaces. Les picks-ups ont désormais remplacé les chevaux et les trafics de drogue les règlements de compte entre truands, les vols de diligence et les attaques d’indiens. Plus tard, le shérif va se rendre sur les lieux du massacre pour étudier la situation. Mais en fait, rien n’a changé : tout n’est pour l’instant que modernisation du cadre westernien.


        Moss est un mélange de personnages archétypaux. Avec son stetson, sa moustache rustique et son fusil de chasse, Moss s’apparente à un véritable cow-boy de western. Cependant, cet homme un peu naïf et courageux, qui ne cesse d’accumuler erreur sur erreur dans le but de quitter son misérable mobil home, n’est autre qu’un de ces losers magnifiques de films noirs qu’adorent les Coen.
        Mais alors que le spectateur s’habitue à un cadre et à un personnage, les Coen vont s’amuser à nous troubler et à nous faire rire jaune. Dans ce tableau bien défini, va arriver un être « ovni » : Chigurh (le nom est d’ailleurs étrange), un dangereux psychopathe tout de noir vêtu, un ange de la Mort terrifiant aux fantomatiques apparitions et disparitions. Ce Droopy taciturne se promène avec une bonbonne à air comprimé pour tuer des bœufs. C’est pourtant lui l’animal bestial qui multiplie les meurtres sauvages et gratuits, alimentés par de stupides jeux de pile ou face avec une pièce de monnaie pour décider de l’existence de ses victimes.

        Le personnage de Chigurh permet de satisfaire le goût pour l’absurde des Coen, toujours non loin du surréalisme, du loufoque et du cartoon. Le personnage de Chigurh est donc l’intrus, l’étranger, tant par son rôle que par son apparition dans le cinéma des frères Coen et même dans le cinéma américain tout court puisque l’acteur, Javier Bardem, est de nationalité espagnole.

        Le comportement de l’inexpressif Chigurh est incompréhensible et les traces de sang qu’il laisse derrière lui restent inconcevables. Bell, le vieux shérif fatigué, chargé de l’enquête, se perd dans ses rêves mystérieux et morbides et dans son propre pays qu’il ne reconnait plus. Les « bells », le glas sonne en fait pour lui.

        Les Coen modifient donc un peu le sens classique du simple western crépusculaire qui était annoncé par le titre apocalyptique du film. Certes, les héros n’ont plus leur place dans ces temps résolument changés, mais dans No Country for Old Men, la raison de ce décalage n’est plus seulement la modernité mais c’est une valeur (?) inconnue, mystérieuse, incarnée par l’impénétrable Chigurh.

        Cependant, la réponse peut se trouver dans l’explosion de brutalité inouïe qui submerge l’écran et qui fait d’ailleurs de No Country for Old Men le film assurément le plus violent et le plus angoissant des Coen. Il faut avouer que les scènes où Chigurh retrouve la trace de Moss dans un minable motel sont particulièrement impressionnantes. Clouant nerveusement le spectateur à son siège grâce à l’art du cadre (fameux plan du sang coulant sur la chaussure), les Coen parviennent à maîtriser un suspense hitchcockien et exploitent royalement les ficelles du thriller.

        Mais revenons sur le titre très crépusculaire du film. Notons que No Country for Old Men, film d’action très prenant, est une œuvre plutôt étonnante dans la filmographie des Coen. Et si les Coen étaient en fait lesdits « Old Men », forcés de faire des polars nerveux pour suivre leur temps ? Comme avec No Country for Old Men, les Coen, au sommet de leur art, signent un film parfait, nous ne répondrons donc volontairement pas à la question.


        No Country for Old Men étant sûrement l’un des meilleurs films des deux frères, la pluie d’oscars[4] qu’il a accumulés se trouve donc justifiée. Après cette œuvre impeccablement sombre, on attend avec impatience Burn after Reading, le prochain film des Coen, qui marquera leur retour à la comédie.

18.08.08.




[1] Cormac McCarthy (né en 1933) est l’auteur de romans à succès qui se déroulent souvent dans le Nouveau Mexique et qui jouent sur le folklore westernien. Billy Bob Thornton, ami des Coen avait déjà adapté un de ses livres avec De Si Jolis Chevaux (2000).
[2] Josh Brolin jouait le cow-boy déjà nonchalant qui ne savait pas quoi voir au cinéma dans « World Cinema », le sketch de Chacun son cinéma (2007) réalisé par les frères Coen.
[3] Tommy Lee Jones semble incarner une ancienne figure du western. En effet, il a joué dans la série TV Lonesome Dove (1989) de Simon Wincer aux côtés de Robert Duvall et dans Les Disparues (2003) de Ron Howard. Enfin, le téléfilm The Good Old Boys (1995) et le film Trois Enterrements (2005), ses deux uniques réalisations (dans lesquelles il joue), sont eux aussi des westerns.
[4] No Country for Old Men a remporté l’oscar du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scenario adapté, du meilleur second rôle (Javier Bardem). Il a aussi été nominé à l’oscar de la meilleure photographie, du meilleur son, du meilleur montage sonore et du meilleur montage.