dimanche 9 septembre 2012

The Hitch-Hiker / Le Voyage de la Peur (1953) d'Ida Lupino


            En 1949, Ida Lupino, actrice sous contrat à la Warner Bros, surnommée la "Bette Davis du pauvre", fonde avec le soutien de Collier Young, ancien patron de la Columbia et mari de la comédienne, la « Emerald » qui devient en 1950 « The Filmmakers ». Avec Dorothy Arzner, Lupino devient l'une des premières réalisatrices de l'histoire du cinéma. Lupino aborde des sujets durs et originaux: Outrage (1950) s’intéresse au destin d’une jeune fille violée; Never Fear (1950) décrit le désespoir mental d’une femme gravement malade, Hard Fast and Beautiful (1951) dénonce l’exploitation professionnelle d’une joueuse de tennis.
            Après ces projets ambitieux, elle réalise Le Voyage de la Peur (1953), qui demeure peut-être son film le plus connu. Ce film criminel, réalisé dans des décors naturels avec un petit budget, met en scène un duo d'amis sous l'emprise d'un auto-stoppeur inquiétant, un meurtrier en fuite. La figure de lauto-stoppeur  avait déjà inspiré le cauchemardesque Detour (1945) d'Edgar G. Ulmer[1]. Dans Le Voyage de la Peur, l'autostoppeur a les paupières paralysées et terrorise ses otage: ces derniers ne peuvent donc pas le surprendre lors de son sommeil à cause de son regard inflexible.
            Si Le Voyage de la Peur semble parfois flirter avec le police documentary et prétend montrer un fait réel, le film se présente surtout comme un thriller dont l'objectif est de tenir en haleine le public pendant les 70 minutes de film. Les deux otages s'avèrent deux citoyens lambda auxquels les spectateurs sont sensés s'identifier: mariés, sans problème, les deux amis, un dessinateur et un garagiste, étaient simplement partis pécher. Le physique banal de leurs interprètes, Edmond O'Brien et Frank Lovejoy, vient souligner le côté américain moyen des personnages.
            A l'inverse, le tueur inquiétant, campé par William Talman, incarne la menace pour l’Amérique et la négation des fondements de la société. On apprend ainsi qu’il a été délaissé par ses parents à sa naissance. Le tueur dénonce donc une société médiocre, too "soft", plein de bons sentiments. Il déclare être libre parce que, lui, il ne doit rien à personne alors que ses otages pourraient s'enfuir s'ils arrêtaient de dépendre l'un de l'autre. La charge critique du Voyage de la Peur, écrit par un scénariste blacklisté non crédité au générique (Daniel Mainwaring), est néanmoins balancée par la folie du personnage du tueur, véritable névrosé. 

            Original et intelligent, fauché et efficace, Le Voyage de La Peur apparaît comme un excellent film noir, une série B de qualité. 

23.08.2012.



[1]D'autres films reprendront la trame du Voyage de La Peur, le thriller sur l'auto-stoppeur menaçant. Citons parmi eux Autostop rosso sangue (1977) de Pasquale Festa Campanille, The Hitcher (1987) de Robert Harmon qui a fait l'objet d'une suite en 2003 et d'un remake en 2007 ou encore The Pass (1998) de Kurt Ross.
 


Fu Chou / Vengeance (2009) de Johnnie To


            L'influence qu'exercent les films de Jean-Pierre Melville est considérable sur le cinéma français mais aussi sur le cinéma étranger. Elle s'étend même au cinéma asiatique comme le prouvent certaines œuvres de Kinji Fukasaku ou de John Woo. Pour son polar Vengeance, Johnnie To avait ainsi proposé le rôle principal à Alain Delon. Mais suite au refus de ce dernier, le réalisateur hongkongais a fait appel à une autre icône française, Johnny Hallyday[1].
 

            Notre Johnny national incarne ainsi un français qui débarque à Macao pour venger sa fille (Sylvie Testud), victime d'une triade mafieuse. Il s'appelle Costello, comme Delon dans Le Samouraï (1967), et engage un trio d'assassins locaux pour liquider les coupables. Froid et silencieux, le solitaire Costello est un ancien tueur à gages, affublé d'un feutre et d'un vieil imper, un personnage dans la droite ligne de ceux que propose le cinéma de Melville.
            Avec son histoire banale, Vengeance s'apparente à une série B qui flirte parfois avec le nanar. Le film s'ouvre directement sur l'agression de la famille de Costello pour laquelle le spectateur n'a pas eu le temps de développer une véritable affection. Mutique, Johnny Hallyday convainc parfois en vieux lion vengeur mais sombre dans le ridicule lorsqu'il s'agit pour lui d'exprimer la moindre émotion. Vengeance s'enfonce même gravement dans le grotesque lorsque Johnny-Costello prie sur une plage et voit apparaitre les fantômes de sa famille décimée. Johnny a une tête de crétin fini et cela ne s'arrange pas par la suite, surtout lorsque son personnage perd la mémoire, devenant robotique, l'ombre de lui-même. Pourquoi se venger lorsqu'on n'a plus de mémoire ? La question n'était pourtant pas idiote. 

            Comme The Killer (1989) de John Woo, autre film hongkongais inspiré par l'œuvre de Melville, Vengeance est esthétiquement plus proche du cinéma de Douglas Sirk que de celui du réalisateur du Cercle rouge. Johnnie To accumule les scènes hyper-stylisées, alternant des scènes dominées par un bleu glacial avec des séquences imprégnées d'un rouge chaud. Johnnie To se livre à un véritable exercice de style et, comme souvent dans le cinéma hongkongais, privilégie le lyrisme accentué par la musique et les ralentis.
            Vengeance regorge de bonnes idées scénaristiques et visuelles et certaines scènes sont remarquables. On se souvient plus particulièrement d'une scène de règlements de comptes de nuit dans une forêt irréaliste de studio mais aussi d'un affrontement aux allures "médiévales" dans une décharge où les gunfighters se réfugient derrières des meules de détritus alors que le vent fait virevolter les déchets. Dans une autre séquence, Costello, perdu dans une foule et sous la pluie, tente de retrouver ses alliés en faisant coïncider leurs portraits photos avec le visage des passants. Plus tard, pour aider Johnny l'amnésique, on a soigneusement mis des stickers sur la veste du méchant et inscrit son nom sur son flingue.
 

            Malgré ses qualités esthétiques et scénaristiques, le Vengeance de Johnnie To frise souvent le nanar en raison du jeu pathétique de Johnny Hallyday et du premier degré constant du film. Dommage car il y avait vraiment de bonnes idées.

 

30.08.2012.
 


[1] En 2008, Johnnie To a également émis le souhait de réaliser un remake du Cercle rouge (1970). Le projet semble être depuis tombé à l'eau.


samedi 8 septembre 2012

Magic Mike (2012) de Steven Soderbergh


            Cette année, le prolifique Steven Soderbergh a sorti deux films et révélé deux comédiens. Le premier, Piégée, propose une énergique version féminine de Jason Bourne avec Gina Carano, une athlète d'arts martiaux. Le second, Magic Mike, s'inspire du passé de l'acteur Channing Tatum, qui était strip-teaseur dans sa jeunesse.
            Eclectique, Soderbergh avait déjà abordé des "sujets de société" aussi variés que la drogue (Traffic, 2000), le scandale des eaux empoisonnées et cancérigènes (Erin Brokovich, 1999) ou encore la prostitution de luxe (The Girlfriend Experience, 2009). Ici, le strip-tease n'est pas un sujet de comédie comme dans The Full Monty (1997, Peter Cattaneo) mais s'apparente davantage à un drame social: en suivant l'initiation d'un jeune homme au strip-tease, le spectateur découvre un monde qui lui est plutôt étranger et se forge peu à peu une opinion. 

            Au premier abord, le strip-tease est tout simplement un spectacle qui excite les femmes bien qu'il puisse mettre mal à l'aise les hommes. En effet, les shows paraissent souvent de mauvais goût: la mise en scène, la sur-sexualisation, les costumes grotesques (pompiers, soldats...). Mais l'univers du strip-tease semble libre: le sexe y est normalisé, omniprésent certes, mais sans complexe.
            L'envers du décors, c'est que le strip-tease est le fruit d'un travail. En effet, il s'agit d'un business sérieux et rentable, organisé par des professionnels qui savent comment danser pour plaire aux femmes, entretenir leur désir sans pour autant leur succomber. L'une des règles déontologiques est d'ailleurs la suivante: ne jamais embrasser de cliente. 

            Le strip-tease est donc un un monde en soi avec des règles et des professionnels mais s'agit-t-il pour autant d'un secteur d’activité comme les autres ? Le revers de la médaille a  de quoi dégouter. Au monde diurne aux teintes sépia (le jaune est la couleur de l'indécision, d'un monde plus complexe) Soderbergh oppose le monde factice de la nuit, filmé avec des couleurs bleues et artificielles. Les motivations d'Adam, le jeune homme qu'initie Mike, sont ainsi superficielles: l'enrichissement, la célébrité, la vie facile. L'univers de la nuit, c'est aussi un monde interlope, de drogue et de vie dissolue.
            Magic Mike s'avère donc un film très moralisateur. Comme la boxe, le métier de strip-teaseur est une activité du prolétaire qui donne son corps parce que c’est pour lui le seul moyen de gagner de l’argent. Le danger est alors celui de l'aliénation.  C'est ce que comprend Mike qui finit par renoncer à sa vie nocturne: à la horde de femmes déchainées, il préfère la vertueuse sœur d'Adam, pale et fragile. En déclarant que ce qu'il fait ne conditionne pas ce qu'il est, Mike décrédibilise son travail.
            Vendre son corps est une chose, être quelqu'un en est une autre. Le soir, Mike fait rêver les femmes mais ne parvient pas à développer une relation sérieuse avec une fille et ne sait même plus quelles études elle fait. C'est pourquoi Mike, déjà trentenaire, envisage autre chose: il rêve d'être un entrepreneur, de monter une boite de vente de meubles. Il est temps pour Mike de se reconvertir, de construire du vrai à défaut de faire rêver à partir du faux. 

22.08.2012.

Hanyo / La Servante (1960) de Kim-Ki Young



            Depuis le début des années 2000, le cinéma coréen rencontre un certain succès auprès du public occidental avec une nouvelle vague de réalisateurs tel que Park Chan-Wook (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy), Bong Joon-Ho (The Host, Mother), Kim Jee-Woon (A bittersweet life, Le bon, la brute et le cinglé ou encore J'ai rencontré le diable). L'œuvre révérée par de nombreux auteurs coréens contemporains est La Servante de Kim Ki-Young. Preuve de son influence, il a fait l'objet d'un remake en 2010 par Iam Sang-Soo (The President's last bang). Récemment restauré par la Martin Scorsese Foundation, La Servante ressort sous nos écrans. Voilà l'occasion de découvrir le film de Kim Ki-Young, souvent considéré comme l'un des meilleurs films du cinéma coréen, comme un film fondateur. 

            Le départ du scénario de La Servante est le suivant: suite à un déménagement dans une maison plus grande, un professeur de musique fait appel à une domestique pour s'occuper de ses deux enfants et soulager son épouse enceinte. Mais l'initiative tourne au cauchemar: la servante, introduite dans le quotidien d'une famille apparemment structurée, y introduit la discorde.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, La Servante n’apparait pas très étranger au spectateur occidental, le film empruntant beaucoup des codes du film d'horreur gothique. La Servante se déroule presqu'entièrement dans la demeure familiale, sorte de modernisation du manoir maléfique, rongé par des rats qui symbolisent la gangrène, la pourriture qui gagnent la petite société bourgeoise.
De même, les apparitions de la servante sont ainsi très fantomatiques: la nuit, elle surgit brusquement de dehors, du balcon inondé par de violentes averses. La servante semble de plus une pure incarnation du mal dont les motivations véritables sont tues : elle désire le maître, et semble bien décidée à détruire cet univers dans lequel elle a réussi à pénétrer et pour lequel elle qui est issue des classes populaires, éprouve un mélange d’attirance et de répulsion.  

            La Servante mobilise ces archétypes du cinéma gothique au service d’une charge féroce contre la société coréenne. L'achat du nouvel appartement, plus grand, entraine le recrutement d’une servante, un évènement déclencheur qui va mener à la déchéance de la famille: c'est bien le consumérisme, la cupidité de la classe bourgeoise, ainsi que le recours à un servage moderne, qui vont sceller leur perte.
            Apparemment heureuse et sans problème, la famille bourgeoise que nous montre Ki-Young est en réalité fissurée. Le maître, professeur de musique, nous est présenté dans les premières scènes comme un être d’une grande dignité morale : il repousse les avances d’une de ses élèves. Mais, plus tard, il succombera à la tentation de l'adultère quand la servante se jette dans ses bras et il la met enceinte.
La maitresse de maison, elle, est prête à accepter toutes les compromissions pour éviter que le scandale de cette liaison n’éclate et que son mari soit licencié : elle laisse son mari à la servante, elle la soigne et la sert. Elle finira même par taire l’assassinat de son fils. Monstrueuse, elle n’hésitera pas à essayer d’assassiner la servante. Les enfants du couple sont eux aussi révélateurs de la névrose bourgeoise: le fils est une véritable petite peste alors que la jeune fille est handicapée, signe d’une société incomplète, imparfaite.  

La Servante, on le voit, met en scène des situations particulièrement choquantes et parle de façon très explicite de sexe. Durant près de deux heures, les pires crimes sont commis, chacun des habitants cherchant à éliminer les autres. La Servante sombre crescendo dans le désespoir et l'autodestruction: l'accumulation de péripéties frise parfois le grotesque. Le film se clôt par le double suicide du mari et de la servante.  Cette outrance trouve en fait une explication logique, propre à faire ressortir la morale du film et révélée dans une séquence finale malicieuse, qu’il convient de ne pas révéler dans cette analyse…
            Le critique Jean-Michel Frodon a comparé à La Servante, centré sur la dialectique du maitre et de l’esclave, au cinéma de Buñuel. Du réalisateur de Belle de Jour, on retrouve également la rationalisation finale de ce qui nous a été montré, présenté comme un rêve. Cependant, le sadisme du film de Ki-Young fait plutôt penser à The Servant de Joseph Losey, qui sortira trois ans après: le film joue également sur le renversement des situations et voit le personnage du domestique esclavager ceux qu'il servait. De même que Le Salon de Musique préfigurait Le Guépard de Visconti, La Servante, par son rapport avec Buñuel et Losey, illustre l’universalité des sujets et des concepts.

 

22.08.2012.

The Downhill Racer / La Descente infernale (1969) de Michael Ritchie



            Comme plusieurs de ses contemporains (Sidney Lumet, Daniel Mann, Martin Ritt, Sidney Pollack, John Frankenheimer, Arthur Penn, Robert Mulligan ou encore Fielder Cook), Michael Ritchie est  issu d'une génération de réalisateurs qui ont fait leurs preuves à la télévision. Ritchie a ainsi tourné des épisodes de séries telles que La Grande Vallée ou The Man from UNCLE.
            La Descente infernale, son premier film de cinéma, frappe par l'originalité de son sujet (le monde des skieurs de compétition) mais aussi de sa forme. Rejetant les conventions du film de sport et tentant de surpasser les possibilités du filmage télévisuel, La Descente infernale crée un style qui, à la sortie du film, devait paraitre profondément nouveau.

            Dans La Descente infernale, Robert Redford interprète David Chappelet, un skieur ambitieux de l'équipe américaine qui compte tenter sa chance lors des jeux olympiques. Le film de Ritchie suit le quotidien du sportif: son entrainement, sa rivalité avec les autres membres de l'équipe américaine, sa volonté d'être bien placé, ses disputes avec l'entraineur. Le film pourrait obéir aux canons du film de sport, véritable genre du cinéma hollywoodien, mais il n’y souscrit pas, à l’exception du personnage extrêmement stéréotypé du « coach » exigeant, dur, interprété par Gene Hackman.
            Comme dans plusieurs films de sport de l'époque[1], La Descente infernale se définit également par son rapport avec les images proposées par la télévision.En mêlant ses personnages à des évènements ayant réellement lieu (ici les JO de 1968 à Grenoble), le film de Ritchie insuffle un sentiment de réalité, de vérité que l'on retrouvera dans Votez McKay (1972) sur des élections sénatoriales. [2]
Mais rejetant les codes de la retransmission filmée et du film de sport, La Descente infernale propose une nouvelle voie. D’un point de vue visuel, Michael Ritchie a recours à des procédés techniques à la limite de l'expérimental, à la façon de John Frankenheimer dans Grand Prix (1966): les effets de mise en scène (dont des ralentis et des caméras subjectives) viennent ainsi souligner la grandeur, magnifier du geste sportif. 
Du point de vue de la narration, le film aborde son personnage de l’extérieur, comme une personne véritable et non comme un archétype de l’athlète ambitieux, et évite tout au long du film les dialogues explicatifs. David Chappelet gagne ainsi paradoxalement en densité: on n’accède pas à sa pensée, on se contente de regarder leurs actions. Les motivations du personnage ne sont qu'évoquées que dans une scène où Chappelet retourne dans son Colorado natal aux côtés d'un père solitaire et maussade: les deux hommes peinent à se parler et il ressort de leur discussion que l'homme cherche avant tout à être connu.         

            La Descente infernale va plus loin encore et témoigne d’une évidente absence d'intrigue. Le scénario de James Salter[3] comprend ainsi une romance sans intérêt du skieur avec une jeune femme (Camilla Sparv[4]) et l’enjeu du film se réduit donc à cette question: Chappelet va-t-il ou non gagner ? Mais, comme le film se situe antipodes de la narration hollywoodienne classique et se rapproche donc des œuvres du Nouvel Hollywood, l’issue du film n’apparait pas nécessairement, aux yeux du spectateur, comme la victoire. Le résultat de cette nouvelle dramaturgie créée par James Salter et Michael Ritchie, c’est que l’échec semble bel et bien jusqu’au dernier moment une possibilité. Ainsi, bien que David Chappelet accomplisse le meilleur temps de la course, un rival manque de le battre alors que notre héros fête déjà sa victoire. Chappelet a remporté la course mais l la gloire, ne tenant qu'au hasard, est éphémère. Avec ce final entre deux, le film s’avère donc un film-charnière entre l’ancien Hollywood et le nouvel Hollywood.

 

18.08.2012.
 



[1] D'autres "films de ski" suivront La Descente infernale: citons parmi eux The Snow Job (1972) de George Englund avec Jean-Claude Killy ou encore The Ultimate Thrill (1974) de Robert Butler.
Beaucoup de films de Michael Ritchie tournent autour du sport: The Bad News Bears (1976) et The Scout (1994), le baseball; Semi Tough (1977) et Wild Cats (1986) et The Positively True Adventures of the Alleged Texas Cheerleader-Murdering Mom (1993), le football américain (1977); Diggstown (1992), la boxe. Par ailleurs, le personnage du politique joué par Robert Redford dans The Candidate (1972) se retrouve également dans un climat de compétition.
[2] La photographie est signée par le britannique Brian Probyn, le directeur de la photo de The War Game (1965) de Peter Watkins.
[3] James Salter est un ancien militaire reconverti dans l'écriture. Son roman The Hunters (1956) sur l'aviation américaine pendant la guerre de Corée a donné lieu au film Flammes sur l'Asie (1958) de Dick Powell avec Robert Mitchum et Robert Wagner. En plus du scénario de La Descente infernale, il a écrit celui de The Appointment (1969) de Sidney Lumet. En 1969, il a également réalisé un long métrage intitulé Three, un film avec Charlotte Rampling sur un ménage à trois.
[4] Camilla Sparv, actrice d'origine suédoise, fut mariée un court temps au producteur Robert Evans. Elle joue dans le Matt Helm The Murder's row (1966) d'Henry Levin, The Troubles with Angels (1966) d'Ida Lupino, Un Truand (1966) de Bernard Girard ou encore L'Or de Mackenna (1969) de Jack Lee Thompson.

L'important c'est d'aimer (1974) d'Andrzej Zulawski

           
            Comme d'autres réalisateurs polonais (Roman Polanski, Andrzej Wajda ou Krzysztof Kieslowski), Andrzej Zulawski est associé à la France. Après des études cinématographiques à Paris (IDHEC), Zulawski retourne en Pologne et devient l'assistant de Wajda (sur Samson et sur Cendres). Sa deuxième réalisation, Le Diable (1972) est interdite par la censure polonaise en raison de la violence de certaines scènes. De retour en France, il signe L'important c'est d'aimer, une histoire passionnelle portant un regard sombre sur le métier de comédien.
 
 
            Le début de L'important, c'est d'aimer frappe fort: Romy Schneider tient le rôle de Nadine, une médiocre actrice de cinéma érotique, incapable de dire "Je t'aime" à un partenaire couvert d'hémoglobine et ce, malgré les invectives d'une réalisatrice dictatoriale. Un paparazzi parvient à photographier la détresse de son visage rempli de larmes: à force de jouer des rôles, Nadine n'est plus personne, ne sait plus où elle en est: elle est complètement paumée. Et, quoi qu'elle en dise, Nadine, la cinquantaine passée, ne parvient pas à nous convaincre qu'elle a encore trente ans.
            Le monde des acteurs et du show business que nous montre Zulawski est sordide. Nadine joue dans une adaptation avant-gardiste de Richard III dirigée par un metteur en scène capricieux, une caricature de "folle". Un autre membre de la troupe, interprété par Klaus Kinski, inquiète par son physique dérageant, ses convulsions systématiques et son comportement emporté. Sur scène, il est grandiloquent mais, le soir, il se réveille la nuit hors du lit où il a couché avec deux inconnues pour aller pleurer nu devant la fenêtre.
            La mise en abyme du cinéma au début du film ainsi que l’insistance sur la douleur, sur l’ angoisse de ceux qui vivent de cet artfont penser au Mépris. La musique du film de Zulawski est également signée par Georges Delerue et ressemble beaucoup à celle du film de Godard. Le personnage de Jacques le cinéphile, le mari de Nadine, semble lui aussi se rappeler du film de JLG: dans une scène, il retrouve Nadine dans un café et lui demande si elle le méprise. L'important c'est d'aimer ressemble à un Mépris inversé où ce serait l'homme qui laisserait volontairement un autre rentrer dans son couple et le laisserait le détruire.
 
            La perdition et la fragilité de Nadine vont nous être révélées à travers ses hésitations sentimentales. D'un côté, elle est mariée à Jacques (Dutronc!), un être tendre dont elle sent redevable car il l'aurait sorti d'une grave dépression. Néanmoins, Jacques a un comportement fantasque et enfantin: il fuit les réalités de la vie à travers une passion fanatique pour le cinéma. La vision amusée d'une cinéphilie maladive est proche de celle avancée par Bertolucci dans Le Dernier Tango à Paris quand il peint le personnage du jeune réalisateur. On sous-entend aussi dans plusieurs scènes que Jacques est impuissant.
            De l'autre côté, Nadine est attirée par le photographe, le beau et grand Servais, interprété par le gigantesque Fabio Testi. Nadine est intriguée par ce beau gosse qu'elle ne laisse pas indifférent mais qui se refuse à lui. En effet, Servais hésite et ne sait comment s'y prendre avec Nadine, actrice dépressive à qui il veut apporter plus qu'un réconfort sexuel, plus qu'un instant de tendresse.
 
            Centré sur ce trio, L'important c'est d'aimer développe une narration elliptique, mystérieuse, et le spectateur peine parfois à comprendre les relations complexes entre les personnages. Nadine, femme de toutes les convoitises, paraît insaisissable car seul son malheur est perceptible. Peut-être que L'important c'est d'aimer refuse de rationaliser, d'expliquer le sentiment amoureux. Derrière le titre niais du film, se cache une vérité plus dure: on a beau aimer une personne, la comprendre en est une autre. Ainsi, les motifs du suicide de Jacques ne sont pas clairement établis: est-ce qu'il se sacrifie ? Ou bien refuse-t-il le fait que Nadine ne l'aime plus ? Ou bien simplement n'a-t-il plus confiance en elle ?
            La complexité des relations amoureuses est de surcroit renforcée par l’abondance des histoires annexes et des personnages secondaires. Comme dans Le Dernier Tango à Paris, le photographe rend visite à l'ancien mari de sa femme car ce dernier semble l'un des seuls à pouvoir le comprendre. Militant de gauche déçu, l'ancien amant est devenu alcoolique. La vie du photographe est par ailleurs éclairée par ses rapports avec deux figures paternelles: son père biologique, un cinquantenaire pathétique, vient constamment lui réclamer de l'argent alors que sa mère vit avec un escroc cynique qui photographie en secret des soirées bourgeoises décadentes. Endetté, Servais aura finalement affaire aux sbires de son beau-père, véritable gangster.
 
 
            L'important c'est d'aimer intrigue. Si la mise en scène mobile de Zulawski et le jeu subtil des acteurs convainquent, le spectateur peine à tout comprendre: le récit se perd parfois dans des intrigues annexes et les relations entre les personnages ainsi que les dialogues demeurent complexes.
 
20.08.2012.

Gas-s-s-s ! (1971) de Roger Corman

 
            Easy Rider sort en juillet 1969, donnant naissance au Nouvel Hollywood. Roger Corman a fortement contribué à l'avènement de cette génération en lançant la carrière de réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Peter Bogdanovich ou encore Monte Hellman ainsi que d'acteurs tel que Jack Nicholson ou Peter Fonda.
            En bon cinéaste d’exploitation, Cormansait épouser les aspirations du public de son époque et dans la deuxième partie des années 60,  produit des films sur et pour les "jeunes". D'un côté, il crée la vogue des films de bikers avec The Wild Angels (1966), qui sera suivi par Devil's Angels (1967) de Daniel Haller, The Glory Stompers (1967) d'Anthony M. Lanza, The Born Losers (1967) de T.C. Frank et Naked Angels (1969) de Bruce D. Clark. De l'autre, Corman "exploite" la scène hippie et psychédélique avec des films comme The Trip (1967) Riot on Sunset Strip (1967) d'Arthur Dreifuss, Wild in the Streets (1968) de Barry Shear, Maryjane (1968) de Maury Dexter ou encore Psych-Out (1968) de Richard Rush. 
            Gas-s-s-s ! fait partie de ce deuxième corpus de films. Dans Wild in the Streets, un sénateur abaisse le droit de vote à 14 ans et une pop star, élue président des États-Unis, crée des camps de concentration où sont enfermés les plus de 35 ans. Dans Gas-s-s-s !, un gaz mortel anéantit la population âgée de plus de 25 ans[1]. L'Amérique devient alors un terrain d'opposition entre hippies et jeunes réacs.
            Partant d'un concept aussi loufoque qu'absurde, Gas-s-s-s ! s'avère une comédie apocalyptique qui parle des peurs de l’Amérique. Le film s'ouvre par un dessin animé : un général dont la voix parodie celle de John Wayne explique comment la course à l’armement nucléaire et chimique a mené à une bavure regrettable… Gas-s-s-s ! plante ensuite sa caméra dans un campus en proie à la contestation étudiante : le héros, armé d’une arbalète, est poursuivi par la police à travers une université. Le film montre une Amérique malade et évoque même une des origines de ce malaise : l’assassinat de Kennedy.
            Au fil des années, le meurtre de Dallas était devenu un élément de la culture populaire, tout spécialement auprès des jeunes. Dans les universités américaines, le film d’Abraham Zapruder fut en effet montré et étudié. Comme Greetings (1968) de Brian DePalama, le film de Corman n’a pas peur de rigoler de ce traumatisme. Tourné au Texas, Gas-s-s-s ! inclut une brève séquence, précédée du bruit de trois coups de feu, où la voiture des héros passe devant le Texas School Book Depository et traverse Dealey Plaza, lieux du crime...
            Le film transpose les conflits de la société américaine dans le microcosme de la jeunesse. Désormais, d’un côté, les conservateurs sont des footballeurs fascistes, arrogants et intolérants. De l’autre, les hippies sont des adolescents immatures, obsédés par le sexe, sur lesquels Corman porte un regard volontiers ironique. Les jeunes survivants du monde nouveau s'amusent comme des enfants en jouant aux cow-boys et aux indiens.
Le féminisme, la religion, les programmes d’assurance maladie, le radicalisme des black panthers, le réactionnaire des Hell’s Angels, la nécessité des jeunes de se fier à des oracles, l’amour de la musique pop sont quelques unes des cibles du fiel de Corman  Le ton bouffon du film fleure bon le cartoon ravageur, façon Robert Crumb. D’ailleurs, les affrontements prennent la forme de duels verbaux (dans le cimetière de voitures), de course-poursuites burlesques et absurdes (avec les footballeurs ou les Hell’s Angels, où les balles de golf tiennent lieu de bombes). Le film s’achève d’ailleurs par une joyeuse réconciliation des hippies et de leurs adversaires.
            Gas-s-s-s ! apparaît comme une caricature de film sixties où l'on veut voir le trio gagnant: sexe, drogue et rock'n'roll. En plus d'une bo électrique (signée par Country Joe and The Fish), le film réutilise la syntaxe duroad movie (les héros se dirigent vers une communauté idyllique) et ose même reprendre l'effet de montage transitionnel d'Easy Rider (trois plans de la séquence prochaine interrompent la fin de la précédente) Le film propose une esthétique volontiers pop, comme en témoigne la séquence d’amour durant un concert, marquée par des effets visuels psychédéliques. Parmi les jeunes errant de Gas-s-s-s !, on trouve Bud Cort, le suicidaire Harold du film d'Ashby, ainsi que Talia Shire, la jeune sœur de Francis Ford Coppola.         
Déjanté,  Gas-s-s-s ! Voit Corman faire preuve d’un humour inattendu et adresse même un clin à son propre cinéma en introduisant, en guise de narrateur, un Edgar Allan Poe à moto accompagné d’un corbeau…
24.08.2012.


[1] La fiction apocalyptique basée sur la mort des adultes sera reprise dans L'Age de Cristal (1976) de Michael Anderson et dans la série tv Jeremiah (2002-2004).

Expendables II: Unité spéciale (2012) de Simon West


            Stallone, un has been ? Après Copland (1997) de James Mangold, Sylvester Stallone enchaine les échecs commerciaux avec des films comme Driven (2001) de Renny Harlin ou Get Carter (2001) de Stephen Kay. La cinquantaine passée, l'ancienne star des années 80 sort de sa traversée du désert en réalisant en 2006 un nouvel opus de Rocky baptisé Rocky Balboa. Stallone, acteur-réalisateur-scénariste, enchaîne avec un nouveau Rambo (2008) puis connait un autre succès avec Expendables (2010).  
Ce film ressuscite les recettes du cinéma d’action des années 80, proposant séquences de baston sur séquences de baston et mettant en scène une ribambelle de vedettes has-been du genre. Cette surenchère dans la castagne et le choix d’un « all-star-cast » traduit la volonté de doper le cinéma d’action traditionnel. Et elle s’accompagne d’une nostalgie et d’une ironie pour cette forme qui parait aujourd’hui bel et bien dépassée. La suite, dirigée non plus par Stallone en personne mais par Simon West, le réalisateur du Mechanic (2011), avec Jason Statham, ressert le même cocktail que le premier opus.

            Les héros sont de retour. Dans le premier Expendables, Stallone dirigeait une bande de mercenaires parmi lesquels  on trouvait déjà des vétérans du film d'action comme Eric Roberts, Dolph Lundgren, Jet Li, Mickey Rourke, Gary Daniels, mais aussi des nouveaux visages comme Randy Couture, Jason Statham, Terry Crews, ou Steve Austin, qui pouvaient faire figure d’héritiers de la génération de Stallone et de ses amis. Bruce Willis et Arnold Schwarzenegger, qui se cantonnaient à une brève apparition dans le premier volet, trouvent des rôles plus conséquents dans le second. Le casting de la suite est quelque peu modifié: le départ de quelques acteurs (Eric Roberts, Steve Austin et Mickey Rourke) est compensé par l'arrivée de deux légendes du cinéma d’action, Chuck Norris et de Jean-Claude Van Damme.
            Comme dans le premier Expendables, Stallone propose un film viril: les héros sont réunis par une fraternité indéfectible, un amour des flingues et des motos, et un relent de misogynie. L’ensemble des mercenaires ne doivent pas dépasser le QI d’un lycéen, ils échangent de leurs voix épaisses des vannes stupides et ils affichent des biscotos de bodybuilders confirmés. Bref, les « expendables » sont des hommes, des vrais, des durs, des tatoués, sans qu’il puisse y avoir de doute à ce sujet.          

De l’action à foison. Les personnages n’existent que dans l’action. Rarement film aura présenté autant d’explosions, de destructions. Les combats d’Expendables témoignent de changements notables depuis les années 80. Tout d’abord, elles fonctionnent sur une logique héritée du jeu vidéo, où la vitesse et le mouvement sont essentiels et où, comme dans un « niveau » de jeu de shoot, les protagonistes zigouillent des adversaires pour progresser vers un lieu ou un « boss » final. Les personnages s’exfiltrent ainsi sur une tyrolienne au début du film et dézinguent à tout va des ennemis tout en étant suspendus à un fil. Plus tard, ils saccagent un aéroport pour enfin accéder au face-à-face avec le chef des méchants.
Ensuite, les effets spéciaux permettent de condenser, à moindre frais, des dizaines de séquences ultra-spectaculaires dans un seul film. Les techniques « à l’ancienne » subsistent tout de même, comme le rappelle la mort d’un cascadeur durant le tournage. Dans ces films barbares emmenés par une BO dopée par un rock volontiers « oldies », le sang coule à flot, les têtes giclent, et les méchants sont abattus par centaines à l’arme lourde. Mais le spectacle est d'une violence tellement outrancière et grotesque qu'un sentiment d'irréalisme s'empare du public. Les Expendables ne sont pas bien sérieux: il s'agit plus d'une BD à feuilleter pour s’amuser que d’un film captivant, dont on suivrait en haletant chacun des développements. 

            La tentation du sérieux. Mais n’est ce vraiment qu’un divertissement gratuit ? Dans le deuxième volet de la série, les mercenaires de Stallone doivent récupérer le plan de mines de plutonium en Albanie, tombé entre les mains d'un méchant français, opportunément nommé Vilain (!), interprété par notre JCVD national. Vilain exploite la population locale et force même femmes et enfants à participer à l'extraction. L’équilibre du monde est mis en danger par ces substances atomiques et la bande de Stallone va remettre bon ordre dans tout cela, libérant de l’esclavage les peuplades opprimées de l'Europe de l’Est, manifestement imaginées par les cinéastes comme appartenant au tiers-monde.
            Derrière le déluge de balles et la succession d’explosions, le film, comme jadis l’expédition afghane de Rambo III, présente les Américains comme les « good guys » éternels, sauveteurs de la veuve et de l’orphelin dans un monde obéissant à une géopolitique aussi dépassée et périmée que le genre cinématographie que ressuscite le film. Le film trahit un penchant pour le registre pathétique qui traverse la filmographie de Stallone. Celui-ci n’a jamais eu peur de se prendre au sérieux. A la mort de sa jeune recrue, un vétéran de guerre d’Irak, Stallone élucubre ainsi sur le sens de la Vie: pourquoi les gens biens meurent-ils ? Pourquoi les méchants survivent-ils ?           

Un adieu humoristique. Mais le lyrisme affligeant du discours laisse bientôt la place à l’autoparodie joyeuse. Stallone explique ainsi ses intentions pour venger cette perte :  :"le plan est le suivant: traquer Vilain, le trouver, le tuer". En fait, là où Expendables II convainc vraiment, c'est lorsque l'humour est volontaire. Expendables II cultive le second degré: on se moque de Dolph Lundgren en lui demandant s'il sait lire ; Chuck Norris apparait, comme dans La Fureur du Dragon, au son du Bon, La Brute et le Truand et énonce quelques « facts » ; Schwarzenegger et  Willis s’échangent des répliques et Stallone déclare, en clin d'œil à Indiana Jones, que sa place à lui et ses copains, c'est dans un musée (du film d'action).  
Ce film bête et méchant remet une dernière fois en scène des héros qui ont conscience de leur âge (Stallone a 66 ans) et des attentes du public (un film de bastos, rien de plus). Une des ultimes séquences voit Stallone saluer de la main la caméra qui s’éloigne. Bye bye, les héros que nous aimions. Expendables 2 a des airs de dernière séance.

 

27.08.2012.